Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée constituante et secrétaire général du parti Ettakatol –de centre gauche- a représenté la Tunisie aux cérémonies du 14 juillet à Paris. A cette occasion, il a donné une interview à nos confrères du JDD pour évoquer, essentiellement, l’avenir des relations entre la Tunisie et la France, la Troïka et Ennahdha… Voici quelques extraits.
Au prime abord, il estime que, après le froid diplomatique survenu dans les relations entre les deux pays, suite à la révolution, “… il fallait tirer un trait sur la politique ambiguë de la France (en Tunisie, NDLR). Nous avions senti un manque de solidarité démocratique“. Puis d’ajouter: “La page est désormais tournée. L’importance des intérêts communs entre les deux pays fait que nous devons aller de l’avant“.
A la question “Est-ce l’arrivée de la gauche au pouvoir en France qui a permis de tourner cette nouvelle page?“, M. Ben Jaafar a répondu sans hésiter : “Certainement. La gauche en France nous ouvre des horizons plus prometteurs. Nous espérons ce renouveau et nous avons confiance en nos amis français en général et socialistes en particulier“.
Ensuite, le président de la Constituante souligne que le fait que le nouveau président de l’Assemblée française soit né en Tunisie, “… c’est une touche supplémentaire. Si les socialistes ne l’ont bien sûr pas choisi en fonction de ses origines, ce symbole nous rapproche davantage“.
Par ailleurs, Ben Jaafar affirme qu’“aujourd’hui, le processus démocratique en Tunisie est, globalement, sur les rails“, tout en indiquant cependant qu’il existe une “menace“ qui “est de deux natures“, à savoir la possibilité d’un retour des forces du passé et la question sociale: “le taux de chômage est élevé, les disparités régionales sont grandes…“. Pour lui donc, “la Tunisie à elle seule ne peut faire face à ces difficultés. La France, comme d’autres pays amis, peut apporter une contribution en soutenant l’économie tunisienne, en incitant les Français à venir davantage dans notre pays, ou en jouant au sein de l’Europe un rôle particulier pour pousser ses partenaires à nous faire confiance“.
Dans ce cas, “apercevez-vous ces signaux?“, l’interroge-t-on. Et Ben Jaafar de réponde : “Dans les contacts que nous avons, oui. Mais les contributions concrètes ne viennent pas. Or, il y a urgence“. Et quand on lui dit que la France semble plus tournée vers l’Union européenne…, le président du Parlement tunisien estime que “la France ne peut pas être exclusivement tournée vers l’Est. La Méditerranée est presque son espace vital… L’avenir ne peut être une réussite que si l’Allemagne s’intéresse également à la rive sud de la Méditerranée, ce qui semble d’ailleurs être le cas aujourd’hui“.
A la question “Votre partenaire islamiste au sein de la coalition, Ennahdha, a-t-il fait ses preuves?“, Ben Jaafar a répondu que “oui, l’Ennahdha d’il y a 30 ans n’est plus celui d’aujourd’hui. La pratique du pouvoir est un long cheminement. Nous vivons tous un apprentissage de la démocratie, et cela ne concerne pas seulement cette formation. Dans ce nouvel exercice, nous faisons de grands pas chaque jour dans cette recherche du consensus permanent“.
Pour autant “cela n’a pas empêché récemment de vives tensions…“, rappelle le journaliste du JDD. “Pas du tout, répond Ben Jaafar. Les tensions sont parfois amplifiées par les médias tunisiens… Les crises politiques font partie de la vie démocratique. Cela ne remet pas en cause la Troïka. Nous souhaitons même l’élargissement de cette coalition“.
Par ailleurs, quand on lui demande quelle est son opinion sur un régime parlementaire, voulu et de plus en plus défendu par Ennahdha, Ben Jaafar assure que “sur ce sujet, Ennahdha est isolé. Mais je reste optimiste pour que l’on arrive à un compromis, qui je pense tournera autour d’un régime présidentiel mixte. Nous demandons que le chef de l’Etat soit élu au suffrage universel direct et l’exécutif doit être plus équilibré qu’aujourd’hui“.
Mais le journaliste insiste pour dire “pourquoi pensez-vous que la position d’Ennahdha ne l’emportera pas?“: “Elle est minoritaire. Nous pourrons éventuellement organiser un référendum pour décider, même si personnellement je ne le souhaite pas. Et il n’est pas sûr que le peuple veuille vraiment d’un régime parlementaire“.