On est sensé fêter ces jours-ci le premier anniversaire des premières élections libres et pluralistes que le pays a connues depuis son indépendance. On était et on est encore tous fiers de ce que nous avons accompli juste après une révolution brève et exemplaire qui a ouvert la voie pour nous et pour nos frères arabes vers des nouveaux horizons de liberté jamais atteint dans nos contré…
Cependant, il y a lieu de se poser des questions sur le bilan de cette année merveilleuse par ces soubresauts, ses espoirs et ses craintes …
Le bilan ne peut que commencer et s’axer sur le travail de l’Assemblée nationale constituante, la seule vraie institution issue des ses élections et dont notre avenir politique dépend entièrement. Les membres de l’ANC peuvent targuer du fait qu’ils n’ont même pas fini leur première année au Bardo et c’est vrai, mais le «Majliss» est le symbole de tous les espoirs et de toutes les peurs aussi… C’est le laboratoire grandeur nature de notre maturité politique, de notre expérience parlementaire et aussi de nos déboires et échecs…
L’ANC avait pour première mission de nous fournir une Constitution nouvelle inspirée des idéaux de la révolution et répondant aux aspirations de notre peuple pour construire une démocratie moderne et mature. Sur ce point, les résultats sont discutables. Beaucoup de travail a été certes accompli par les diverses commissions de l’Assemblée, et aujourd’hui on est en possession d’un brouillon de Constitution qui peut servir comme base de travail sérieuse afin de rédiger la Constitution.
Certains points de litiges qui ont retardé le consensus, comme la nature du régime politique, la place de la Chariaâ, la religion de l’Etat, les droits de la femme ou encore les droits fondamentaux de l’homme, sont maintenant en voie d’être résolus dans un esprit de consensus et dans le sens souhaité par la majorité des Tunisiens. Mais il n’en demeure pas vrai que le retard est là et que le travail doit maintenant être rapidement terminé.
La proposition, présentée comme un rêve par Moncef Marzoukli, d’offrir aux Tunisiens une nouvelle Constitution au 14 janvier 2013, et sans passer par le referendum que certains partis escomptent, est défendable et souhaitable afin de pallier le retard enregistré.
Maintenant, si nous jaugeons le reste du travail de l’ANC et les comportements des constituants, toutes étiquettes politiques confondues, on peut être obligé de revoir sérieusement l’avis majoritairement favorable chez les Tunisiens pour le régime parlementaire.
En effet, la vie, le travail, et les comportements des élus de l’ANC constituent un avant-goût d’une Assemblée parlementaire avec sa majorité et son opposition, ses indépendants et ses frasques…
La carte du Majliss est-il aujourd’hui très différente de celle que nous avons connue le 24 octobre? Les élus ont changé d’étiquette deux fois, parfois trois fois en moins d’un an. Si la majorité a perdu certains de ses députés, l’opposition a également vu son groupe parlementaire réduit de presque la moitié. D’autres, comme Al Aridha, a carrément perdu son groupe parlementaire après avoir été le deuxième parti par le nombre d’élus. Des nouveaux groupes se sont organisés, des partis se sont installés au Bardo sans avoir passé par les urnes comme c’est le cas de Nida Tounes; d’autres élus n’ont jamais prononcé un mot depuis leur arrivé au palais l’année dernière, certains autres élus sont devenus les champions de l’absentéisme … Ceci sans compter les «batailles» homériques à propos du salaire, des indemnités et de la retraite des membres de l’Assemblée.
L’image des élus chez le citoyen lambda est catastrophique. Certaines régions ont carrément limogé symboliquement leurs élus en contestation de leur manque de défense des intérêts de la région.
Bref, l’expérience est désastreuse de ce point de vue, et le futur Parlement sera jugé à l’aune de ses errements enregistrés à tous les niveaux de la Constituante, du président Ben Jaafar jusqu’au dernier élu, en passant par les commissions dormantes, le refus de dialogue, la hargne de réponse, l’ignorance manifeste de certains élus et les approximations désastreuses de certains autres!
On peut toujours targuer du fait que cette première expérience d’une vie parlementaire libre ne pouvait pas se passer sans casse et que ce que nous avons appris sera utile pour l’avenir. Certes, mais il ne faut pas minimiser l’importance de ses dégâts et il faut que les partis politiques en tirent toutes les conséquences afin de bien préparer la nouvelle Assemblée parlementaire et parer à toutes les dérives qui restent toujours possibles …
Nous nous acheminons vers un régime semi-parlementaire et l’Assemblée sera dans ce régime une institution clé dans notre système politique vu l’importance des pouvoirs qui lui seront accordés. Nous devons faire le nécessaire afin de ne pas revoir ce que l’ANC nous a fait vivre!