La justice tunisienne vient de réhabiliter Abdelmajid Bouden, en effaçant tous les jugements prononcés contre ce banquier pendant l’ère Ben Ali. En effet, l’Instance de Règlement des Différends relatifs à l’application des dispositions du décret-loi n°2011-1 relatif à l’amnistie générale a décidé d’en faire bénéficier l’ancien président du conseil d’ABCI, société de droit britannique, actionnaire majoritaire depuis 1982 de la Banque franco-tunisienne. Ce tournant a été rendu possible par la décision du chef du contentieux de l’Etat, en septembre 2012, d’interpréter cette loi d’une manière extensive permettant d’en faire bénéficier Abdelmajid Bouden sur la base de la qualification politique des infractions qui lui ont été imputées à l’initiative du gouvernement d’avant le 14 janvier 2011.
Se fondant sur cette interprétation, la Cour de cassation a reconnu –une première dans l’histoire de la Tunisie- que les poursuites pénales et les jugements infligés au représentant d’ABCI ont eu lieu en conséquence de l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif dans le but, dans un premier temps, de contraindre la société britannique à céder le contrôle de sa filiale tunisienne au rabais.
Ce jugement a été rendu par la Chambre de conseil de la Cour de cassation présidée par son premier président, Brahim Mejri, des présidents de Chambre Fatma Azzahra Ben Mahmoud et Youssef Zaghdoudi, membres, et en présence du représentant du ministère public, le Substitut du Procureur général de l’Etat Mohsen Hajji.
Sur le fond de cette affaire, la Cour de cassation a avancé plusieurs motifs à sa décision de faire bénéficier Abdelmajid Bouden de l’amnistie générale.
La première est que cette amnistie «s’étend également à tous ceux qui ont été condamnés pour des infractions de droit commun ou militaires, lorsque les poursuites ont été effectuées sur la base d’une activité syndicale ou politique» et que bien qu’elle «s’insère dans le cadre de procédures spéciales, elle se fonde sur une philosophie de réconciliation entre l’instance publique qui dispose de l’action publique et une partie de catégories spéciales concernant un type d’infractions, ou un fait déterminé d’infractions à travers la suppression de l’infraction et de ses conséquences, ce qui implique l’interprétation et l’application des dispositions du texte législatif portant amnistie générale sur cette base, sans être tenu aux règles générales d’interprétation du texte pénal, qui se fondent sur la consécration de l’infraction et non sur sa suppression».
Et cette interprétation paraît d’autant plus adaptée au décret-loi sur l’amnistie générale que celle-ci s’insère, estime la Cour de cassation, «dans le cadre du changement qu’a connu le pays à l’occasion de la révolution du 14 janvier, ce qui implique sa considération comme étant un mécanisme de réconciliation entre la société et l’Etat pour garantir la continuité de l’Etat en sécurité».
La Cour de cassation a également rendu justice à ABCI, l’actionnaire majoritaire de la BFT. En affirmant haut et fort que les faits qui «avaient constitué les fondements des poursuites et les bases des condamnations» d’Abdelmajid Bouden, en sa qualité de représentant de l’investisseur étranger, la société ABCI –faveur à une société au détriment d’une autre, au sens de l’article 86 du Code du Commerce, infraction à la loi de change, en créant une obligation dont découle un transfert d’argent vers l’étranger sans autorisation de la Banque centrale de Tunisie au sens de la loi du 21 janvier 1976, en rapport avec le recours de l’investisseur à l’arbitrage international auprès de la Chambre de Commerce Internationale de Paris- «ne sortent pas du cadre d’une opération d’investissement international, qui avait suivi les étapes de demande et d’obtention de l’agrément pour sa réalisation et les autorisations de transfert de ses revenus des autorités compétentes de l’Etat». Et que si ces vérités ont été travesties c’est parce que «le climat qui régnait à l’époque avait conduit à l’emploi du pouvoir de poursuite pénale et des procédures juridictionnelles au service des objectifs et malversations de quelques personnes au pouvoir».
En clair, la Cour de cassation est arrivée à la conclusion que les poursuites engagées contre M. Bouden et ABCI sont le fruit d’une instrumentalisation «de l’action publique», en l’occurrence de la justice, «aux fins de l’exécution des objectifs de la corruption politique qui menace la sécurité économique du pays».
A suivre : Genèse et différentes phases de l’affaire de la BFT