La constitution toute récente du Front de Salut et du Progrès ne vise pas à consolider le bloc des députés «Almachrou3» à l’ARP, mais plutôt à former une force politique capable de sauver un pays qui sombre, estime Mohsen Marzouk, président dudit parti.
Mohsen Marzouk, qui pourrait appeler à des élections législatives anticipées, déplore les mauvaises pratiques qui règnent dans certains milieux politiques ainsi que l’absence d’une gouvernance réelle au niveau des organes de l’Etat parce que, «quand tout le monde gouverne, personne ne gouverne et personne n’est responsable».
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
WMC : Machrou3 Tounes ce qui se traduit par «Un Projet pour la Tunisie» est le nom de votre parti. Quel est votre projet pour notre pays et quelles sont les clés de la réussite que vous préconisez dans un pays où la vision fait défaut?
Mohsen Marzouk : Je n’approuve pas ceux qui disent que la crise de la Tunisie est une crise de projet et de vision. Elle se rapporte plutôt à la gouvernance. En 2011, le problème était l’instabilité politique du pays et après la promulgation de la nouvelle Constitution en 2014, nous avons réalisé que le système politique que nous avons développé ainsi que le mode de scrutin font de notre Tunisie un pays presque ingouvernable.
La vision est conçue par un leadership et est développée et vulgarisée aux électeurs par des argumentations convaincantes suivant une approche pédagogique. S’il n’y a pas un leadership et une bonne gouvernance, il est impossible de parler de vision. Pour preuve, il y a d’excellentes initiatives, mais pas de leadership aux rennes du pouvoir et pas un système de gouvernance pour passer des visions aux réalisations.
“Nous avons soumis un projet pour rétablir le régime présidentiel“
En tant que Machrou3 Tounes -et je suppose que nos partenaires dans le Front de salut nous approuveront-, la priorité actuellement est la réforme du système de gouvernance. Nous avons soumis un projet pour rétablir le régime présidentiel. Un régime présidentiel constitutionnel, doté de tous les instruments institutionnels d’un système présidentiel existant dans des pays démocratiques.
Auparavant, la Tunisie était dotée d’un régime présidentiel autoritaire, cela ne sera plus le cas et quelle que soit sa forme, un régime présidentiel, dans une phase aussi fragile que celle par laquelle passe aujourd’hui notre pays, est la meilleure forme de gouvernance. Il permettra de recentrer la prise de décisions et donnera plus de force et d’efficacité à la gestion politique et socioéconomique du pays.
Le régime parlementaire en place peut convenir à la Tunisie de la 2ème République mais pas à celle qui vient de subir des changements aussi importants en si peu de temps.
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Les promesses du régime parlementaire? Tu parles!
Deuxième grand chantier à attaquer est le mode de scrutin. Le mode actuel paralyse le système politique et ne permet pas de conduire un vainqueur et un seul au centre du pouvoir. Donc, aucune des parties élues n’assume totalement la responsabilité des décisions politiques ou autres. En un mot, cela se traduit par “tout le monde est responsable et tout le monde est irresponsable“.
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Et donc comment envisagez-vous, vous-même, les choses partant de ces constats?
Il s’agit d’élaborer un véritable programme adossé à des choix judicieux et impliquant la responsabilité du parti vainqueur aux élections. Il est inadmissible de gouverner à trois et à quatre, ce qui dissout totalement, comme je l’ai mentionné plus haut, la responsabilité des uns et des autres dans la gestion des affaires du pays. Il faut que les élus soient jugés en fonction de la qualité de leur gouvernance. S’ils ont bien fait, ils sont reconduits, sinon ils sont sanctionnés par les urnes.
Il y a un autre facteur important : c’est l’Etat de droit. Comment assurer une bonne gouvernance dans un Etat de non droit?
Personne ne peut gouverner dans les transitions où l’Etat de droit n’existe pas et où on ne fait rien pour faire respecter la loi. Dans les transitions qui ont réussi, l’Etat pouvait être faible mais on a toujours fait en sorte de s’adosser aux institutions pour faire respecter la loi et l’appliquer avec le soutien des élites.
Dans le contexte tunisien actuel, nous sommes en train de tout négocier aux dépens du respect des institutions et celui des lois. Nous ne pouvons continuer à observer systématiquement une posture de négociateurs invétérés pour des consensus interminables. Nous ne pourrons même pas mettre fin à la corruption de cette manière.
“Dans les transitions démocratiques, il y a des forces qui essaient de faire main basse sur l’Etat…“
Dans les périodes de transition, il y a toujours des risques de “mafiatisation“ de l’Etat, ou de sa désinstitutionalisation. Dans les transitions démocratiques, il y a des forces qui essaient de faire main basse sur l’Etat, et d’autres qui prétendent avoir fait la révolution et qui briguent un droit supra-Etat. C’est l’un des aspects d’une guerre plus dangereuse que d’autres, parce que ces deux acteurs de la scène publique existent dans toutes les composantes politiques et œuvrent pour que des compromis se fassent sur la base non pas des intérêts du pays mais des leurs.
Est-ce que les intérêts des uns et des autres empêchent la réconciliation nationale?
La réconciliation nationale est incontournable pour avancer. Et ce qui se passe actuellement en Tunisie, c’est tout sauf une véritable réconciliation nationale. C’est une vendetta. L’aspect vengeance est conjugué à celui du racket et de l’exploitation de la vulnérabilité des gens pour les soumettre à des chantages. Si nous continuons dans cet état d’esprit, nous créerons des fractures dans notre Tunisie qui se transformera en îlots.
Il faut qu’il y ait réconciliation nationale et que l’on soit juste et équitable dans le traitement de tous les dossiers. La justice doit être aveugle et pas politisée. L’administration tunisienne est traumatisée à cause des règlements de comptes.
“Du temps de Ben Ali, il y avait une véritable vision économique pour la Tunisie. J’ai eu l’occasion de lire l’étude prospective Tunisie 2030…“
Il y a eu révolution contre un mauvais mode de gouvernance. Nous nous retrouvons malheureusement au point de départ. Nous pouvons avoir les meilleures visions au monde, mais la Tunisie n’avancera pas avec une administration minée et paralysée par la peur. Du temps de Ben Ali, il y avait une véritable vision économique pour la Tunisie. J’ai eu l’occasion de lire l’étude prospective “Tunisie 2030“ élaborée par des experts tunisiens et d’autres des Nations unies. Je puis vous assurer que si jamais vous éliminez la couleur mauve et les éloges à l’adresse de Ben Ali, vous réaliserez que nous disposons déjà d’une étude stratégique extraordinaire pour la Tunisie. C’est une vision pour la Tunisie, qui se base sur la décentralisation, et l’autonomisation des régions avec un pouvoir central fort, mais surtout une autonomie économique.
“Nous n’allons pas réinventer la roue pour que la Tunisie réussisse, il nous faut libérer les énergies et l’initiative“
Et par rapport au développement régional, l’objectif est de libérer les énergies et les initiatives. Ce qui est évident. Nous n’allons pas réinventer la roue pour que la Tunisie réussisse, il nous faut libérer les énergies et l’initiative.
Notre pays est passé par deux grandes phases. La première a été menée par Bourguiba -qui a misé sur l’enseignement, le savoir et la libération des femmes. Il a réussi à libérer des énergies exceptionnelles. Maintenant, il nous faut entamer la phase de la libération des initiatives sociales, civiles, privées, encourager les opérateurs économiques et les groupes qui veulent investir dans notre pays, qu’il s’agisse de nationaux ou d’internationaux.
“Le mot clé de la Tunisie dans les 30 années à venir, c’est la libération des énergies“
Le mot clé de la Tunisie dans les 30 années à venir, c’est la libération des énergies. Je précise “libération“ et non “libéralisme“. Ceci ne peut être réalisé que quand nous ferons une révision des cadres légaux et procéduriers dont certains remontent aux années 70.
L’exemple le plus édifiant en est le système foncier tunisien, mais il y a aussi les réglementations nécessaires à la constitution d’une société et les autorisations préalables au démarrage d’une activité économique quelconque. Il faut oser changer le système, l’assouplir davantage, encourager la création et l’implantation d’entreprises et instaurer un système de contrôle a posteriori.
Il faut également réformer l’administration, la moderniser, numériser toutes les formalités administratives et adopter une fois pour toutes l’approche e-gouvernement qui ne doit pas rester lettre morte.
Vous vous positionnez en tant que parti libéral?
A titre personnel, je ne crois pas en ces concepts. Des concepts dépassés par les nouvelles réalités et les changements surprenants qui adviennent dans le monde. Nous ne pouvons être définitivement fixés en ce qui concerne les orientations du parti que lorsque nous aurons dépassé totalement et réellement la phase transitoire pour aborder une autre: celle d’un pays stable. A ce moment-là, nous pouvons choisir une politique économique bien définie. Mais nous nous sommes pragmatiques et nous devons nous adapter: adopter une stratégie de politique sociale quand il le faut et libérale quand il le faut. Sociale -pour calmer les tensions-, et libérale -pour assurer l’essor économique et la création des richesses.
“Dans notre Tunisie actuelle, nous souffrons de l’absence de création de richesses beaucoup plus que de celui de leur juste répartition“
Nous ne pouvons pas nous permettre d’être libéraux à 100%, nous ne pouvons qu’être pragmatiques. Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique, a dit un jour: «Il n’y a pas de politique économique de droite et une autre de gauche, mais plutôt une bonne politique économique ou une mauvaise politique économique». Dans notre Tunisie actuelle, nous souffrons de l’absence de création de richesses beaucoup plus que de celui de leur juste répartition. En fait, il faut les créer pour les partager.
Est-ce que vous, dans vos programmes et dans votre discours, vous allez axer vos messages sur la valeur travail et productivité pour la création des richesses?
Dans chaque transition démocratique, il y a un aspect qui se distingue, celui des valeurs. Parce que la transition ne repose pas uniquement sur la mise en place d’un bon programme économique mais plutôt sur un paradigme. Et le paradigme que nous proposons est la libération des énergies.
Evidemment, la libération n’a rien à voir avec l’anarchie que nous voyons aujourd’hui. Il faut canaliser les énergies et les orienter dans le bons sens pour servir au mieux notre pays.
“Dès qu’il y a un mouvement social, on donne aux travailleurs des chantiers 150 dinars tunisiens, à d’autres 100 dinars, aux chômeurs 200 dinars…“
L’une des valeurs que nous défendons est celle du travail, et le travail veut dire “discipline, réussite et ambition“. Alors que ce que nous vivons depuis la révolution c’est un populisme politique à n’en plus finir. Dès qu’il y a un mouvement social, on donne aux travailleurs des chantiers 150 dinars tunisiens, à d’autres 100 dinars, aux chômeurs 200 dinars, et on se met à discourir à propos de ces pseudo-revendications satisfaites au nom des libertés et le droit au travail et à la santé.
Le peuple tunisien est intelligent et il est plein de bon sens. Si nous parlions aux concernés et nous leur expliquons où commencent leurs libertés et où elles finissent et pourquoi et comment ils doivent assumer leurs responsabilités par rapport à l’Etat et au pays, nous pourrions les convaincre et gagner leur adhésion. Sinon, nous souffrirons toujours des problèmes de productivité et de discipline tant que la politique populiste continue.
Oui mais qu’en est-il de la responsabilité des partenaires sociaux, l’UGTT et l’UTICA, dans la relance économique?
Nous avons également un problème de transition au niveau de ces organisations. La question est: quel rôle doivent-elles jouer dans des circonstances exceptionnelles après les changements aussi importants advenus dans notre pays? Doivent-elles continuer à agir comme elles l’ont toujours fait?
“Maintenant, elles doivent axer leurs efforts sur le syndicalisme et ne pas continuer à agir comme des acteurs politiques“
Nous avons fait appel à elles lors de la crise gouvernementale de 2013 pour qu’elles interviennent dans le cadre du dialogue national. Elles ont réussi leur mission. Maintenant, elles doivent axer leurs efforts sur le syndicalisme et ne pas continuer à agir comme des acteurs politiques. Personne ne leur a demandé d’institutionnaliser leur posture d’acteurs politiques car ça serait néfaste pour l’Etat.
Nous avons, en ce qui nous concerne, émis des propositions aux partenaires sociaux en ce qui concerne, justement, le volet social, malheureusement, il y a des résistances au sein de ces institutions qui veulent aussi pratiquer le populisme. Elles refusent de s’engager dans un débat sur la valeur travail bien qu’elles dénoncent toutes les deux la propagation du secteur informel.
“Le pire est que le gouvernement n’a pas eu le courage de dire que la crise socioéconomique en Tunisie ne tient pas uniquement de l’instabilité sociale…“
Le pire est que le gouvernement n’a pas eu le courage de dire que la crise socioéconomique en Tunisie ne tient pas uniquement de l’instabilité sociale -bien qu’il y ait eu des améliorations notables à ce niveau-, mais du secteur informel qui tient 50% de l’économie tunisienne. Notre ennemie est la contrebande, et personne ne veut en parler. Pourquoi n’arrête-t-on pas les contrebandiers commercialisant le gasoil libyen? Pourquoi n’arrête-t-on pas cette hémorragie? On est en train de le commercialiser au vu et au su de tout le monde.
“L’Etat souffre de problèmes de liquidités autant qu’il crée une zone franche au lieu de laisser des individus, tel que le député d’Ennahdha, Ahmed Laamari, légaliser la contrebande des carburants vers la Tunisie…“
L’Etat souffre de problèmes de liquidités autant qu’il crée une zone franche au lieu de laisser des individus, tel que le député d’Ennahdha, Ahmed Laamari, légaliser la contrebande des carburants vers la Tunisie en signant des mémorandums d’entente comme s’il en avait le droit! Où est l’Etat dans ce cas-là? C’est une entente entre des hors-la-loi, et aucune partie n’a réagi, ni le ministère des Affaires étrangères, ni celui du Commerce, ni le gouvernement, ni le parquet.
Comment pouvons-nous accepter que Kerkennah soit hors contrôle et est-ce que les syndicats laissent faire?
L’UTICA assume aussi une certaine responsabilité dans ce qui arrive sur le plan social. Elle n’est pas proactive et souffre et se positionne quelque part dans l’assistanat. C’est ce que nombre de patrons ont toujours vécu sous Ben Ali. Ce que je veux dire, c’est que tout le monde, à part quelques exceptions, est responsable de ce qui se passe actuellement dans l’espace économique.
Ne pensez-vous pas qu’il doit y avoir un cadre indépendant représentatif du gouvernement et des partenaires sociaux pour anticiper les crises, proposer des solutions et lancer des études stratégiques?
Du temps de Ben Ali, il y avait un système de régulation, même s’il y avait des dépassements. Aujourd’hui, le Conseil du dialogue social doit démarrer pour gérer tout cela, mais j’espère qu’il ne se limitera pas à la gestion des conflits parce que nous avons malheureusement pris l’habitude de nous réunir juste pour résoudre les problèmes. J’espère qu’avec ce conseil nous pourrons discuter surtout de visions.
En Slovénie, la transition n’a duré qu’une année, et pour gérer le problème de la relance, on n’a pas eu peur de faire appel à des experts internationaux, et également d’avoir deux cadres de discussions, un qui réunit les décideurs politiques élus au suffrage universel, et un autre qui réunit tous les partenaires sociaux pour les impliquer dans les débats et gagner leur adhésion. Pensez-vous qu’en Tunisie on peut tenter une expérience similaire?
Evidemment, si nous le voulons. Créer en Tunisie des institutions durables pour gérer les crises et les conflits est possible, mais il ne faut pas oublier que le mode de scrutin bloque totalement toute possibilité d’envisager cela.
Amin Mahfoudh a résumé la situation en ces termes: «Moi je ne gouverne pas, toi non plus, et tous les deux, nous ne laisserons personne gouverner».
“Nidaa Tounes, le parti gagnant des élections, souffre d’une mort clinique“
Le mode de scrutin adopté nous a donné un pouvoir dont on ne connaîtra jamais, et réellement les gouvernants avec lesquels nous ne saurons jamais qui gouverne le pays. Imaginez des partis qui font partie du gouvernement en place aujourd’hui et qui s’opposent à ses politiques et ses décisions. Nidaa Tounes, le parti gagnant des élections, souffre d’une mort clinique. Il continue tout juste à respirer à travers quelques parlementaires et quelques membres du gouvernement. D’ailleurs, nous ne pouvons plus considérer que c’est un parti. Nous avons bien vu comment ses membres se conduisent avec le chef du gouvernement qui est l’un des leurs. Personne ne le défend. Pareil pour Ennahdha qui fait partie également du gouvernement.
“J’ai fait 20 gouvernorat en 4 mois, et à chaque fois que je tombe sur des manifestations, je trouve les bases d’Ennahdha en plein dedans…“
J’ai fait 20 gouvernorat en 4 mois, et à chaque fois que je tombe sur des manifestations, et des sit-in, je trouve les bases d’Ennahdha en plein dedans et parfois même à l’origine des troubles. Mais de quoi parle-t-on là, est-ce qu’il y a un gouvernement solidaire soutenu par les partis qui le constituent ou pas?
En parlant d’Ennahdha, on prétend que vous êtes parti rencontrer le général Haftar en Libye sur instructions de Rached Ghannouchi. Simples commérages?
Je n’ai jamais reçu des instructions de qui que ce soit. Je suis le président d’un parti. La rencontre avec le général Haftar a été décidée démocratiquement en interne par les membres du Machrou3. J’ai été voir Haftar parce que lui et les Libyens de l’Est sont des acteurs principaux dans la résolution de la crise libyenne. Lors de notre rencontre, il m’a dit: “vous êtes la première personnalité tunisienne qui demande à me voir et la première délégation tunisienne que je reçois depuis le début de la crise“.
“Est-il normal que Ghannouchi coordonne avec les ikhwens libyens et que nous, nous ne participions pas à la résolution de cette crise…“
Est-il normal que Ghannouchi coordonne avec les ikhwens libyens et que nous, nous ne participions pas à la résolution de cette crise en coordonnant avec l’une des parties avec laquelle nous nous sentons proches?
Nous ne sommes ni proches des Ikhwens en Libye, ni de ceux de la Syrie ou de la Turquie et encore moins de ceux d’Egypte. Nous sommes issus d’une école différente et nous avons une orientation idéologique différente. En Libye d’aujourd’hui et dans ces circonstances exceptionnelles, il y a plusieurs intervenants. A titre d’exemple, l’Algérie qui joue un rôle important et même essentiel. Parce que notre pays et l’Algérie ont des intérêts communs pour ce qui est de la question libyenne précisément. Nous avons des frontières communes, et le rôle tuniso-algérien dans le désamorçage de la crise libyenne doit être cohérent tout à fait comme on l’entend actuellement.
Mais il revient à l’Etat tunisien d’agir et non à un parti ou un acteur politique qui dépasse le cadre de notre Etat. Quand nous avons rencontré Haftar, nous ne nous sommes pas immiscés dans les affaires internes libyennes mais nous avons plutôt exprimé notre position à propos de certaines questions et nous l’avons écouté exprimer la sienne.
“Rached Ghannouchi n’a rien à voir avec notre mission, et je ne pense pas qu’il soit content de notre rencontre“
Quand il a parlé de la proposition tunisienne pour une réconciliation en Libye, nous avons rétorqué que seul le président de la République est habilité à en discuter et décider. Nous l’avons également précisé dans notre communiqué. Rached Ghannouchi n’a rien à voir avec notre mission, et je ne pense pas qu’il soit content de notre rencontre.
Nous ne sommes pas non plus contents de ses rencontres avec les groupuscules radicaux et des personnes impliqués directement dans des actes terroristes et criminels.
“Béji Caïd Essebsi… avait promis que Nidaa et Ennahdha constituaient deux lignes parallèles qui ne se rencontreraient jamais“
Nous lançons, à l’occasion, un appel au gouvernement pour qu’il procède à une véritable enquête à propos de tous ceux coupables d’avoir organisé les expéditions criminelles des jeunes vers la Syrie et la Libye. Nous tenons absolument à ce que ceux qui en sont responsables soient jugés.
Béji Caïd Essebsi, à l’époque président de Nidaa Tounes, avait promis que Nidaa et Ennahdha constituaient deux lignes parallèles qui ne se rencontreraient jamais. Il a dû composer, pour nombre de raisons.
Dans votre famille politique, y a-t-il une éventualité qu’il y ait cette union pour raisons d’Etat comme l’a expliqué BCE après les élections? Est-ce que vous pouvez donner un engagement ferme pour une Tunisie laïque, républicaine, moderne, et qui ne se ralliera jamais aux thèses islamistes?
C’est un engagement et une décision pris par tous les membres du parti. C’est une décision stratégique. Si jamais les Tunisiens nous font confiance et si jamais nous sommes élus, nous ne ferons jamais, au grand jamais, de ralliement avec Ennahdha. Nous ne pouvons gouverner qu’avec ceux qui sont proches de notre vision du modèle sociétal tunisien. Si Ennahdha gagne la majorité, elle gouvernera seule. Après les prochaines échéances, chaque parti doit assumer ses responsabilités et jusqu’au bout. Il n’est pas question qu’il y ait un consensus.
“Les forces démocratiques et progressistes tunisiennes n’ont jamais pensé à recourir à la violence pour arriver à leur objectif“
C’est quoi un consensus? Nous vivons aujourd’hui dans un pays malade qu’on soigne aux antalgiques à n’en plus finir! La Troïka a gouverné seule et, de son temps, y a-t-il eu guerre civile? Nous avons été là à observer les dépassements et débordements de toutes parts et c’est tout. Nous avons été disciplinés et respectueux du choix du peuple. Quand nous, à l’époque au Nidaa Tounes, nous avons gagné les élections, y a-t-il eu une guerre civile? Non plus. Les forces démocratiques et progressistes tunisiennes n’ont jamais pensé à recourir à la violence pour arriver à leur objectif. Elles ont toujours prôné le pacifisme dans leurs actions. Devons-nous subir les chantages du style: “je gouverne avec vous ou c’est la guerre civile“?
“Ce pourrissement est illustré par une guerre silencieuse et secrète à propos des nominations des gouverneurs, des présidents d’arrondissements“
Aux prochaines élections, si nous sommes élus, nous ne ferons pas de cohabitation avec Ennahdha. Nous sommes dans un système de gouvernance guidé par une entente qui s’apparente plus à la compromission qu’au compromis. Le pays est paralysé, et dans la vie des peuples, la paralysie entraîne un pourrissement. Ce pourrissement est illustré par une guerre silencieuse et secrète à propos des nominations des gouverneurs, des présidents d’arrondissements, et des responsables régionaux, des hauts commis de l’Etat et j’en passe.
“Nidaa Tounes est un fantôme derrière lequel se cache le parti islamiste pour dire que je suis en train de gouverner avec Nidaa“
Dans l’apparence, chaque clan fait semblant de vouloir mettre l’autre KO. Dans la réalité, le véritable pouvoir est détenu par Ennahdha. Nidaa Tounes est un fantôme derrière lequel se cache le parti islamiste pour dire que je suis en train de gouverner avec Nidaa. Tout le monde sait que Nidaa n’existe plus.
Maintenant, les prétendus nidaistes sont heureux d’être encore là parce qu’ils ont choisi d’être les collabos d’Ennahdha qui est forte. Ennahdha est heureuse parce qu’elle sait qu’elle tient les rênes du pouvoir.
“…si nous arrivons à vaincre cette vague de populisme qui fausse tout débat politique à propos d’un projet sociétal…“
En fait, la vie politique tunisienne sera animée par deux courants: ceux qui exploitent la religion pour des fins politiques et de pouvoir, et ceux qui portent un projet moderniste progressiste bourguibien, laïque démocratique. Et si nous arrivons à vaincre cette vague de populisme qui fausse tout débat politique à propos d’un projet sociétal qui préserve notre modèle tel que nous l’avons toujours connu. Si nous arrivons à résoudre les querelles dénuées de sens entre les tendances politiques appartenant au même bord -et c’est ce que nous essayons de faire à travers le Front de salut-, la bataille électorale sera plus claire.
Au Machrou3, nous travaillons sur la mise en place de nos structures et essayons de construire un grand parti. Nous avons fait le tour de 20 gouvernorats en 4 mois, et nous espérons avoir d’ici fin avril 350 bureaux locaux opérationnels.
“Nous prévoyons de faire une campagne de porte à porte dans 500 mille foyers d’ici le mois d’août pour expliquer notre projet sociétal et le vulgariser“
C’est pour cela également que nous avons créé un think tank interne formé d’experts. Nous prévoyons de faire une campagne de porte à porte dans 500 mille foyers d’ici le mois d’août pour expliquer notre projet sociétal et le vulgariser. Nous voulons avoir un dialogue à cœur ouvert avec nos concitoyens et leur donner plus d’espoir.
On ne peut pas construire un Etat sans une justice impartiale et des médias patriotes.
En Tunisie, nous savons qu’il y a une crise profonde dans les médias et entre autres le mercenariat. Il y a une crise profonde dans le corps de la justice aussi. Comment gérer ce genre de situation?
Comme je l’ai déjà mentionné, il faut appliquer la loi, il faut appliquer la loi dans le quotidien des citoyens. J’ai vu un citoyen au Kef qui m’a dit quelque chose que j’ai adoré. Il m’a dit: «yelzem edawla tadhreb aliya we tadhrabni kif yelzem» (il faut que l’Etat me protège mais me sanctionne si je dépasse la loi). Ce qui se passe actuellement dans notre pays est un déni total de la loi. S’il y a des dépassements et des abus, il faut sévir, mais il ne faut pas s’en servir pour intenter des procès politiques comme ce fut le cas pour Kamel Haj Sassi.
“Il faut bien que les médias assument leurs rôles : informer, critiquer et dénoncer bien sûr, mais surtout ne pas tomber dans le buzz payant…“
La loi doit être appliquée contre les contrebandiers, contre ceux qui transgressent la loi et ceux qui menacent l’Etat et son intégrité. Quand on critique un ministre c’est une chose mais quand on menace un ministre ou que qu’on est irrespectueux à son égard, c’est l’Etat qui est atteint. La loi doit être appliquée et c’est tout. Nous souffrons d’une crise de valeurs et je l’ai déjà dit.
Quant aux médias, il faut bien qu’ils assument leurs rôles, informer oui, critiquer et dénoncer bien sûr, mais surtout ne pas tomber dans le buzz payant… Il faut avoir le courage de reconnaître nos erreurs et essayer de rectifier le tir pour pouvoir avancer.
La vidéo :
Aujourd’hui, pour garantir la stabilité de la Tunisie, la révision constitutionnelle s’impose.
Dernière question : comment peut-on décrire les rapports de Mohsen Marzouk, l’enfant chéri de BCE, à l’époque président de Nidaa Tounes, avec BCE président de la Tunisie aujourd’hui?
Ce sont des rapports très cordiaux. Je l’ai vu après avoir vu le général Haftar, malgré le communiqué diffusé par ses conseillers qui l’ont mal informé. Je suis resté avec lui près de deux bonnes heures. Je l’ai vu à l’occasion du Conseil économique. Tout le monde sait que nous avons eu plusieurs désaccords à propos de point de vues politiques différents, nous entretenons entre nous un débat franc.
“Il y avait certaines forces modernistes, entre guillemets, qui ont refusé d’être avec nous dans le gouvernement si jamais Ennahdha n’en faisait pas partie…”
Nos différends ont commencé avec la coalition forcée avec Ennahdha car nous ne pouvions former un gouvernement au lendemain de la victoire de Nidaa aux élections. Il y avait certaines “forces modernistes“ qui ont refusé d’être avec nous dans le gouvernement si jamais Ennahdha n’en faisait pas partie. Beaucoup ne le savent pas ça, mais que cette coalition devienne une alliance stratégique, je ne pouvais l’admettre.
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