Un discours attendu avec impatience que celui du président de la République en ce mercredi 10 mai. Certains s’attendaient même à ce que le chef de l’Etat use de ses prérogatives pour mettre en application l’article 80 de la Constitution qui stipule qu’en «cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle…»
Le suspense a été levé. Le discours a été hautement politique, le volet économique y ayant été abordé très timidement sauf dans celui touchant la Loi sur la réconciliation nationale.
Par contre, Béji Caïd Essebsi a pris soin de rappeler à nouveau le rôle des jeunes dans la révolution de 2011 qui n’étaient pas affiliés à des partis et qui n’avaient pas d’orientations idéologiques, avant de revenir sur ce qui s’est passé à Kamour à Tataouine qu’il considère comme inacceptable: «Nous comprenons la colère de certains jeunes, mais nous savons que ces manifestations n’ont pas été initiées par des personnes qui avaient des revendications uniquement socioéconomiques. Je suis attentivement les informations et les communiqués, et j’ai lu avec beaucoup d’attention les communiqués publiés par Abdelkrim El Harouni et Ali Larayedh»…
Le président de la République a aussi cité à l’assistance quelques messages échangés entre les jeunes activistes à Kamour où il était question de faire plier l’échine de l’Etat et dans lesquels les sit-ineurs se sont dits les héritiers d’Ali Ben Ghdahem et Dagbéji. «Les revendications de ces jeunes étaient inacceptables, les ressources du pays appartiennent à l’Etat qui représente tous les Tunisiens, et il revient à l’Etat d’agir dans l’intérêt du pays».
Le président de la République a averti quant aux risques de pareilles pratiques nourries par des électrons libres ou des partis et leurs conséquences sur le processus démocratique : «Il y a eu des élections transparentes qui ont porté pour vainqueurs des partis qui n’existaient pas auparavant. D’autres partis ont reculé ou n’ont pas été représentés. Il faut respecter les règles du jeu et admettre que dans une démocratie, il y a des instances et des espaces où la chose publique peut être débattue sans pour autant prendre, à chaque fois, la rue pour témoin ou arène… C’est facile d’accuser tout le monde de corruption. Il y en a qui considèrent que c’est la bataille à mener, c’est triste, mais pour notre infortune, nous nous trouvons face à ces personnages (akoubet allah) (punition de Dieu). Par contre, nous appelons les uns et les autres au respect des institutions et ceux qui les représentent à l’échelle nationale et internationale. Les interlocuteurs de ceux qui dénigrent les dirigeants de leur pays, la Tunisie les méprise. En sont-ils seulement conscients?».
Restructuration du ministère de l’Intérieur !
Dans cet ordre d’idées, le ministère de l’Intérieur sera restructuré, a annoncé BCE dans son discours. Et même s’il ne l’a pas dit clairement, cela renvoie aux défaillances sécuritaire lors de la visite du chef du gouvernement à Tataouine où les mesures de sécurité n’ont pas été à la hauteur de la qualité et du haut niveau de la délégation qui s’est déplacée sur place pour écouter les doléances des protestataires.
Caïd Essebsi a, sur un tout autre volet, prévenu les contestataires s’opposant à la loi sur la réconciliation, sur le risque de leurs agissements sur l’économie nationale. «J’ai eu affaire à un investisseur qui était prêt à investir 500 million d’euros en Tunisie. J’ai su ensuite que cet investisseur est parti ailleurs, je lui ai posé la question et la réponse a été : “Le climat d’affaires n’est pas encourageant parce que l’administration bloque tout”. J’ai voulu en connaître les raisons et la réponse a été : “l’administration ne suit pas parce qu’elle est trop frileuse face aux exactions dont elle est victime”. Explication des hauts commis de l’Etat, “si nous voulons faire des efforts ou nous soumettre aux instructions, nous risquons de nous retrouver devant des juges d’instruction!”. Jusqu’à quand le pays devra supporter cette situation et le rejet de toute initiative visant à le sortir de l’ornière où il se débat?».
BCE a rappelé que par peur des représailles, l’administration travaille à hauteur de 50% de son potentiel, alors que rien qu’au Maroc, avec beaucoup moins de fonctionnaires, la productivité est de loin plus importante. «Il me paraît tout naturel d’initier une loi pour sauver le pays de la crise, une loi qui libère l’administration et permet de négocier avec les contrevenants ou ceux qui ont abusé de leurs postes ou de leur situation afin de rapatrier les biens se trouvant à l’étranger dans notre pays ou encore récupérer l’argent de ceux qui s’y trouvent en ne lésant pas l’Etat ou les intérêts de nos concitoyens, et ce dans le respect de la loi. Je rappelle de nouveau que lorsqu’on est en démocratie, on n’occupe pas la rue automatiquement pour protester. Il y a l’ARP pour cela et c’est le lieu idéal pour les arguments et contre-arguments. Je voudrais également rappeler que le droit cesse lorsque l’abus commence».
L’armée à la rescousse…
Le président de la République a déclaré que la décision a été prise pour charger l’armée de protéger les sites de production dans le pays tout en prévenant toute personne qui ne respecte pas loi aux conséquences de ses actes. Il n’est plus question non plus de bloquer les routes ou les accès à ces sites au risque d’en subir les effets: «Ne dites pas que je ne vous ai pas prévenu, on ne joue pas avec l’armée».
Etonné de la démission du président de l’ISIE
BCE a aussi affirmé avoir été surpris par la démission impromptue du président de l’ISIE, dont le timing n’était pas approprié: «Monsieur le président de l’ISIE aurait pu prendre le téléphone pour m’en parler tout d’abord ou est-ce que cela ne lui paraissait pas important?».
L’accord du Bristol
Béji Caïd Essebssi a également parlé de l’accord du Bristol à Paris avec Rached Ghannouchi: «Il n y a pas eu d’accord secret au Bristol : nous nous sommes entendus sur deux axes: le fait que les intérêts du pays doivent être placés au-dessus de toute allégeance partisane le deuxième s’engager à résoudre tous les conflits ou les désaccords par le biais de la négociation. Rached Ghannouchi est là assis devant moi, qu’il témoigne de la véracité ou de l’exactitude de ce que je viens de dire».
Des médias responsables
Le président de la République a appelé les médias à mettre en avant les progrès réalisés par la Tunisie ces derniers mois : «Le pays est sur la bonne voie, les intentions d’investissements se sont considérablement améliorées, la production du phosphate a augmenté de 45% et nous nous attendons à une augmentation du nombre de touristes de l’ordre de 34% dont 21% en provenance de l’Europe. 44.000 demandes contrat Dignité ont été acceptées et 67.000 sont en attente. Rappelons que l’Etat verse aux bénéficiaires la somme de 400 Dt/mois et les privés 200 Dt/mois».
En guise de conclusion, Béji Caïd Essebsi a évoqué la responsabilité de tous les Tunisiens dans la préservation des acquis démocratiques. Il a averti aux dangers d’épuiser les forces de l’ordre: «Il y a deux semaines, 10.000 policiers étaient au Stade de Rades et 5.000 à Sfax. Les gens oublient que nous devons préserver notre potentiel sécuritaire pour lutter contre le terrorisme parce que le terrorisme est encore bien là. Il n’a pas disparu d’un seul coup».
En définitive, l’article 80 de la Constitution n’a pas été cité et nous aurions rarement vu le président de la République discourant généralement avec beaucoup de sang froid teinté d’un zeste d’ironie, s’exprimant avec autant de colère. Une colère qui frise l’exacerbation.
Pendant longtemps, nous avons entendu pareils discours où les actes ne suivent pas les paroles. Nombre d’observateurs nous ont, aujourd’hui, assuré que le discours de BCE se traduira sur terrain: «Ne vous étonnez pas si le président de la République passe à une autre étape la prochaine fois et qui sera, peut-être, l’article 80. Si les choses ne se tassent pas et si les émeutes fomentées par certaines parties qui ne veulent pas de la stabilité du pays ou du bien-être de notre peuple continuent, le processus démocratique risque d’être réellement ébranlé, et il reviendrait alors à l’Etat de le protéger par tous les moyens», nous a indiqué un observateur avisé.
Wait and see.
Amel Belhadj Ali
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