Cela fait longtemps que médias et opérateurs privés dénoncent l’invasion des produits turcs du marché tunisien; une invasion qui correspond plus à une conquête qu’à des rapports d’échanges commerciaux équilibrés entre deux pays qui traitent et se traitent d’égal à égal.
Zied Laadhari, ministre du Commerce et de l’Industrie, rétorque à chaque fois qu’on lui en fait la remarque que l’accord de libre-échange entre la Tunisie et la Turquie a été signé depuis 2004. Cela ne l’absout pas cependant de l’impératif de défendre notre pays contre la voracité ottomane.
Les objectifs de l’accord visaient en effet «à renforcer la coopération économique entre les Parties pour élever le niveau de vie des populations dans les deux pays», et non à servir les intérêts d’un peuple aux dépens de l’autre.
C’est ce que devrait, normalement, rappeler Zied Laadhari à son homologue turc, Nihat Zeybelci, ministre de l’Economie, vendredi 21 juillet lors de la table ronde qu’abrite l’UTICA avec pour thème : «Les voies et les moyens de rééquilibrer la balance commerciale bilatérale».
Car les largesses de la Troïka, conduite par Ennahdha entre fin 2011 et fin 2013 envers la Turquie, ont dépassé l’entendement. Tout était permis pour les Turcs, y compris dans l’octroi des marchés publics où ils ont mis leurs empreintes très discrètement, mais ceci est une autre histoire.
Au niveau du volet commercial, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
La balance commerciale tuniso-turque est largement déficitaire, s’élevant à 1,838 milliard de dinars en 2016 d’exportations de la Turquie sur le marché tunisien -comprenant les fameuses glibettes blanches (sic)- contre 416 MDT d’importations en 2006. Quant aux exportations tunisiennes en direction de la Turquie, elles n’ont pas dépassé les 366 MDT en 2016, alors qu’elles étaient de l’ordre de 161 MDT en 2006.
Lire aussi: Commerce : La Tunisie interdit l’importation des “glibettes blanches” de Turquie
Le taux de couverture est passé de 39% en 2006 à 19% en 2016, ce qui fait de la Turquie l’un des pays avec lequel la Tunisie a le plus grand déficit.
Normal entre frères…musulmans. Après tout, les plus proches sont ceux qui méritent le plus nos largesses. Une philosophie mise en application à la perfection, sauf que les plus proches dans le cas de l’espèce ne sont pas les entreprises tunisiennes qui souffrent le martyr de la concurrence turque.
M. Laadhari, qui est, rappelons-le, ministre TUNISIEN du Commerce, devrait peut-être savoir qu’un accord de libre-échange n’implique pas forcément l’ouverture des vannes du marché tunisien de manière absolue et illimitée. Chaque pays use de mesures protectionnistes et de subterfuges de légalité car l’intérêt de la nation prévaut et non celui des amis «idéologiques».
Nous voudrions lui rappeler également que l’accord de 2004 prévoit une élimination progressive des difficultés et des restrictions, et cela va dans les deux sens. Or, à partir du moment où la Tunisie était passée d’un régime à l’autre entre 2011 et 2011, il aurait fallu que les nouveaux gouvernants calment leurs ardeurs pour ne pas causer des douleurs économiques au pays et fragiliser encore plus une balance commerciale en situation précaire.
Notre ministre du Commerce pourrait par exemple négocier avec son homologue turc d’égal à égal, si possible, que les produits tunisiens accèdent plus facilement au marché turc. C’est le cas pour plusieurs produits tunisiens présents en Europe.
Il pourrait également recourir à l’article 17 de l’Accord d’association qui stipule, entre autres, que des mesures exceptionnelles d’une durée limitée dérogeant aux dispositions de l’article 5 peuvent être prises par la Tunisie sous forme d’un relèvement des droits de douane.
«Ces mesures ne peuvent viser que des industries naissantes ou certains secteurs en cours de restructuration ou connaissant de graves difficultés, en particulier lorsque ces difficultés causent des problèmes sociaux importants. Les droits de douane à l’importation applicables en Tunisie à des produits originaires de Turquie, introduits par ces mesures, ne peuvent pas excéder 25 pour cent ad valorem et doivent maintenir un élément de préférence pour les produits originaires de Turquie. La valeur totale des importations de produits qui sont assujetties à ces mesures ne peut pas dépasser 20 pour cent de la valeur totale des produits industriels importés de Turquie -tels qu’ils sont définis à l’article 4- pendant la dernière année pour laquelle des statistiques sont disponibles.
Ces mesures sont appliquées pour une période n’excédant pas cinq ans à moins qu’une durée plus longue ne soit autorisée par le Comité d’association. Elles cessent de s’appliquer au plus tard à l’expiration de la période de transition».
L’application de cet article peut être demandée aux Turcs, si, toutefois, les froisser n’est pas considéré comme un acte plus grave que celui de préserver notre économie et les intérêts de nos opérateurs privés.
Erdogan fait tout pour renforcer la puissance de frappe économique d’une Turquie beaucoup plus forte et moins vulnérables que la Tunisie.
Quoi de plus normal dans ce cas que de voir nos ministres s’investir dans la défense de nos intérêts beaucoup plus que des alliances politiques entre partis de même obédience idéologique.
Zied Laadhari défendra-t-il notre balance commerciale plutôt que les alliances politiques Ghannouchi-Erdogan?
Wait and see.
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