Mr Slah Ladjimi

Par : Autres

Le président du Conseil de la
BVMT
: Le salut ne viendra que des institutionnels

    

Management &
Nouvelles Technologies – Magazine
On-Line : 06-01-2003 à
08:00

   

 

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Mr
Slah Ladjimi est à la tête de la société COFIB-Capital, intermédiaire
en bourse, et se trouve, depuis moins d’un an président du
Conseil de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis dont le
DG est Mr Ahmed Hadouej. Une position qui lui permet d’avoir une opinion, à la fois
objective et impliquée sur ce qui se passe dans cette
importante composante du marché financier. Entretien sur des
questions comme la transparence, le cas BATAM et d’autres
sujets.
 

Quelle est, en tant que président du conseil de la BVMT, votre opinion sur l’état de la bourse
?
 

Je ne vous
apprendrai rien en vous disant qu’il est morose en cette
période de l’année. Reste à savoir pourquoi il est dans cette
situation.
 

Cette situation n’est tout de même pas inhérente à la période
de fin d’année ! Il l’a, au contraire été toute l’année.
 

C’est vrai, mais
l’année n’est pas figée et si on remonte dans le temps on peut
faire une autre analyse du marché. On a eu une excellente
année 2000 où le marché a très bien fonctionné et les indices
ont explosé. Trois valeurs, la SFBT, la SOTETEL et la SIAME
ont poussé le marché vers le haut.

 

L’année 2001
beaucoup moins riche où les indices ont baissé de quelque 11
%. La cause en est que les investisseurs ont compris qu’il
était temps de réaliser les bénéfices et se sont mis à vendre,
surtout que les plus-values étaient intéressantes.

 

La même année, il
y avait des problèmes sur les bourses d’Egypte et de Turquie
et certains fonds étrangers en besoin de liquidité se sont mis
à sortir des marchés où ils avaient réalisé des plus-values,
comme la Tunisie. Il faut dire qu’à cet instant, le marché a
bien réagit et que les investisseurs Tunisiens se sont portés
contrepartie et ont acheté. Cela est excellent pour le marché
car ça montre que le marché tunisien est liquide. Mais là où
le bat blesse, c’est que le marché Tunisien est un marché de
petits porteurs, un marché de particuliers et nous n’avons
pas en Tunisie des institutionnels capables de jouer le rôle
de “contrepartistes”
. Notre marché n’aurait alors pas
connu ces chutes.

 

Qu’est-ce qui ne va pas dans ce marché tunisien ? Pourquoi
n’arrive-t-il pas à se stabiliser et à émerger ? Quelles sont
ses points faibles ou ses talons d’Achille ?

 

Je répondrai à deux niveaux. D’abord
remettre les choses dans leur contexte qui est la situation
économique intérieure et internationale en citant notamment
les événements du 11 septembre, celle de Djerba, les affaires Enron et autres.
 

Je vous
rappelle que nous avons quand même un marché déconnecté et les
investissements étrangers à la bourse ne représentent pas
grand-chose par rapport au reste !
 

Il n’est pas
complètement déconnecté et nous avons été touchés par ce qui
s’est passé en dehors de nos frontières. S’est ensuite ajouté
et c’est là le second niveau de ma réponse, le problème de la
transparence des comptes de certaines sociétés
. Notre marché
péche donc par un manque de liquidité, de profondeur, d’institutionnels et la prédominance de petits porteurs

n’arrange pas les choses.
 

 

Vous-vous êtes toujours plaints de la profondeur du marché,
mais qu’avez-vous fait pour aller convaincre les entreprises
d’entrer en bourse? Ne donnez-vous
pas l’impression de vous contenter de gérer la situation qui
existe ?
 

Ce n’est pas
juste. L’intermédiaire a toujours bon dos. Les intermédiaires
vont vers les entreprises. Encore faut-il qu’elles soient
convaincues de cette nécessité. La bourse a été, par exemple
cette année à Sfax et y a rencontré des hommes d’affaires pour
les sensibiliser aux avantages du financement par la bourse et
les convaincre de venir sur le marché. Elle a aussi
dernièrement réuni, à l’occasion d’un séminaire sur les
groupements d’entreprise, nombre d’hommes d’affaires. Certains
intermédiaires ont eu des démarches individuelles auprès de
certaines entreprises. Or entre le moment où l’on réussit à
convaincre et l’entrée en bourse, il se passe généralement au
moins 2 années
.
 

Maintenant, il ne
faut pas non plus oublier le problème des banques. Les taux de
crédits étant ce qu’ils sont, les grosses entreprises ayant
toujours réussit à avoir les crédits qu’il leur faut à des
taux très intéressants, pourquoi voulez-vous qu’une entreprise
vienne à la bourse?
 

Comment pensez-vous que ce marché puisse se développer et
sortir de sa léthargie ?
 

Si nous voulons
que ce marché se développe et intéresse les grands
investisseurs, dont les étrangers, il faut qu’il y ait des
institutionnels, ceux qui font l’épargne longue et qui ont
pour métier de fructifier l’épargne qui leur est confiée,
comme les compagnies d’assurance. Elles font de l’assurance-vie qui est une épargne longue et devraient, à notre sens,
intervenir un peu plus sur le marché.
 

Ont-elles été démarchées dans ce but et sensibilisées dans ce
sens par les intermédiaires ou par les responsables de la
bourse et ont refusé ?
 

Elles ont été
démarchées. Mais même sans l’être, elles savent très bien que
le marché est capable de leur permettre de rentabiliser leur
épargne.
 

Quelles ont été leurs réactions alors ?
 

La plus part sont
sur le marché et y ont été investisseurs. Leur
problème est qu’elles sont obligées de provisionner leur perte
et moins values et cela touche les résultats de ces compagnies
d’assurance. Pour qu’elles reviennent sur le marché, il
faudrait trouver un autre système qui tienne, par exemple,
compte de la situation de l’ensemble du portefeuille de la
compagnie d’assurance, dont éventuellement son actif
immobilier. La dévalorisation du portefeuille global serait
alors moins importante ou pas du tout et le provisionnement
aussi et les compagnies d’assurances seraient plus enclin à
aller sur le marché boursier.
 

A vous entendre, on croirait qu’il n’y a que l’assurance vie
et les compagnies d’assurances qui pourraient sauver la bourse.
N’en oubliez-vous pas d’autres comme les caisses de retraite
ou les fonds étrangers ?

 

Lorsque je
parle d’institutionnels, il y a aussi la CNSS qui fait aussi
de l’épargne longue, qui devrait intervenir et qui a encore du
mal à se décider et considère que le marché est encore à
risque.

Avez-vous approché cette caisse de
retraite et avez-vous discuté avec ses premiers responsables
et à quel niveau ?
 

Il y a eu
des réunions entre le PDG de la CNSS et les gens de la
profession. C’est encore au stade de la discussion et de la
réflexion à leur niveau. Ils ont été longuement sensibilisés,
mais leur grande peur reste de perdre de l’argent et que leur
épargne soit diminuée par des moins values, alors que la CNSS
a plutôt l’habitude de placements sûrs et à des taux
intéressants, chez les banques.


La Proparco (Agence filiale de l’Agence Française de
Développement) a d’autre part émis le souhait d’intervenir sur
le marché financier Tunisien. Après une analyse qui a confirmé
le manque de liquidité et de profondeur, il a été décidé de
créer un fond qui viendrait palier à ces défaillances et elle
y travaille avec deux opérateurs, choisis sur appel d’offre,
qui sont BNA-capitaux et Cofibcapital finance. Ce comité
tripartite, BNA-capitaux, Cofib et Proparco fera les
propositions nécessaires. Ce qui a été décidé, c’est que ce
fond soit opérationnel à la fin 2003 et trouvera le moyen de
garantir le capital et la liquidité, ce qui aidera
certainement des compagnies, comme les assurances et la CNSS,
à rentrer sur le marché à travers ce fond.
 

Il faudra
donc attendre 2004 pour que ce marché se réveille et retrouve
ses couleurs ?
 

S’il ne s’y
passe rien de particulier oui ! Le détonateur salvateur
pourrait être l’introduction d’entreprises, comme Tunisie-Télécom, à un prix intéressant pour le marché. On devra aussi
régler le problème de la transparence.
 

Où sont
les responsabilités dans cette affaire de transparence, des
entreprises et du marché ?
 

Elle est
partagée. Les entreprises privées cotées étaient familiales.
Il y a certes des progrès qui ont été faits en matière de
transparence, mais on reste loin du compte. Il en est de même
pour les entreprises publiques qui ne communiquent pas assez
en quantité d’informations et dans le temps. Il en résulte un
manque de visibilité qui n’encourage pas l’investissement.
 

Est-ce que ce
n’est pas aussi votre responsabilité d’exiger et de veiller à
cette transparence pour les entreprises acceptées sur la cote
?
 

Nous travaillons
sur des comptes supposés être audités et certifiés par les
commissaires au compte. Nous n’avons pas mission d’auditer les
comptes des entreprises.
 

Au vu de
certains exemples, est-ce qu’il n’est pas temps de s’asseoir
avec l’Ordre des experts comptables et demander à la
profession de faire son travail et le ménage ?
 

Je crois
effectivement qu’ils devraient aller un peu plus au fond des
choses. Mais je considère aussi que des progrès ont été faits
et les commissaires au compte sont un peu plus vigilants. Mais
le chemin est encore long et les scandales que nous vivons,
tant à l’étranger qu’en Tunisie devraient pousser les experts
comptables à regarder les comptes différemment et aller un peu
plus au fond des choses. Et ce n’est que par la transparence
et une coopération entre nos deux métiers qu’on pourrait faire
évoluer le marché.
 

Vous aviez
évoqué, sans le citer, le cas Batam. Qu’en pensez-vous et
croyez-vous possible que cette entreprise cotée à la bourse
soit “guérie” ?
 

Cette entreprise
est arrivée là où elle en est à cause de l’absence de
transparence. Je pense ensuite que les banques, en lui
accordant des crédits beaucoup plus importants qu’elle ne le
méritait, ont leur part de responsabilité dans cette
situation. Batam peut cependant être sauvée moyennant des
sacrifices de ses créanciers.

 

De la
part des actionnaires et investisseurs en bourse aussi ?


Je souhaiterai que non. Mais je crois
qu’il ne reste plus maintenant beaucoup de petits porteurs
actionnaires de Batam.
 

 

06-01-2003


Khaled
BOUMIZA