TunisAir vient de recevoir, des mains du responsable de la direction
générale de l’aviation française, sa certification Jar 145. Une
“distinction” qui lui est nécessaire pour continuer à fréquenter les
aéroports européens et nécessaire à sa survie. Cette certification mettra
certainement du baume aux difficultés, financières surtout, dans lesquelles
elle se débat depuis maintenant 3 années et qui semblent ne pas vouloir
s’arrêter de sitôt.
L’affaire avait débuté lorsqu’un quotidien de la place publie, presque en
totalité, une note sur la situation financière et les perspectives jusqu’en
2006, que l’entreprise avait fait circuler auprès de ses cadres, accompagnée
d’une autre note sur la situation du secteur aéronautique à l’échelle
internationale, dans l’espoir de les sensibiliser aux défis qu’affronte leur
entreprise.
La
note, reprise un peu partout par les médias et jamais démentie par
l’entreprise en question, commence en indiquant que Tunisair “connaît une
situation économique en détérioration et qu’elle a enregistré des pertes de
100 MDT au 31.12.2001 et qu’il est attendu que ce déficit atteigne 170 MDT à
la fin de l’année 2002“, ce qui représente plus de deux fois le capital
social de l’entreprise. Précisons que ce déficit est bien sûr un cumul pour
les années 2000, 2001 et 2002.
Le contenu de cette note, au moins pour les premiers chiffres concernant les
pertes, sera par la suite confirmé lors de la rencontre du Pdg M. Rafaa
Dkhil avec les intermédiaires en bourse, à la demande de leur association.
Celui-ci affirmera même, au cours de la même rencontre, que “la société
connaîtra au meilleur des cas une croissance de 12,5 % de l’activité (en
nombre de passagers) en 2003 et 3,3 % au cours de la période 2004/2006,
ce qui entraînerait un cumul de pertes de 370 MDT“.
La note donne par ailleurs d’importantes informations quant au développement
de certains ratios de l’entreprise. On découvre ainsi que l’entreprise a
connu, au cours de la période 1997/2001, une augmentation de 65 % du prix de
la tonne de kérosène, une augmentation annuelle de 6,1 % des salaires, un
endettement de 625 MDT qui s’est ainsi multiplié par 3 durant la même
période. Mais aussi des charges financières de 40 MDT à cause de
l’accroissement de la dette et un amortissement de 155 MDT dû à l’achat de
nouveaux avions.
Face à cela, d’autres indicateurs en perte de vitesse comme la recette par
passager et par kilomètre qui n’évolue que de 1,5 % contre une progression
de 4,5 % des dépenses par passager au kilomètre. Cela est certainement à
lier au nombre d’employés par avion qui est de 240 chez Tunisair, contre 80
à 170 pour les compagnies concurrentes et une durée moyenne d’utilisation
des avions qui est de 8 heures par jour à Tunisair, contre 12 heures par
jour chez la concurrence et un taux de remplissage de 68% pour ses avions
contre une moyenne de 75% pour la concurrence.
D’autres ratios, intéressants, se trouvent dans cette note d’où sont
extraits les autres ratios donnés par le Pdg de Tunisair aux intermédiaires.
Vaches grasses & vaches maigres
A
tout cela, il faut ajouter les 1000 MDT qu’a investit Tunisair dans l’achat
de 18 nouveaux avions. Un investissement fait dans des circonstances, certes
caractérisées par une croissance de 6,5% du nombre de passagers et 6,7% en
nombre de voyageurs par kilomètre au cours de la période de 1997/2002.
Lors d’une interview à la Radio tunisienne, M.Rafaa Dkhil a expliqué la
situation actuelle de l’entreprise dont il n’a que depuis quelques mois la
charge, en indiquant que “pendant plusieurs années, l’entreprise a
travaillé dans une situation de monopole ce qui lui a permis de faire
d’énormes bénéfices. Aujourd’hui les choses ont changé, la concurrence est
là par l’ouverture de notre espace aérien“.
Chiffres
en MDT
1997
1998
1999
2000
2001
2002
(previsions)
Chiffre d’affaires
536,1
581,2
588,4
614
648,5
263,5 (au30.6.2002)
Résultat
Net
25,1
22,5
12,7
-34
-59,6
-70
Résultat
de l’activité transport
-2,5
2,7
-36,4
-97,3
-96,3
-78
Résultat
des activités d’appui
12,2
13
13,8
15,5
14,7
11
Les
interêts financiers
32,3
27,1
25,5
24,2
20
13
Concernant ces achats de nouveaux avions et l’ouverture de nouvelles lignes,
pas toujours rentables, à un moment où l’entreprise traverse une phase des
plus critiques de sa vie, M.Rafaa Dkhil précise, dans la même interview, que
“le programme d’achat est antérieur aux difficultés de l’entreprise qui
ont débuté en l’an 2000. Il est cependant vrai que l’entreprise n’a pas su
bouger, à temps et d’une manière effective, pour faire face à la nouvelle
donnée internationale et à la concurrence. Sur le plan commercial, il s’agit
pour Tunisair d’étudier la rentabilité de ses lignes et de voir comment
améliorer les différents ratios de l’activité commerciale“.
Et malgré un déficit de communication (Tunisair n’a pas encore communiqué
son bilan provisoire pour l’année 2002, en dépit de l’obligation faite aux
sociétés cotées à la bourse de Tunis de fournir ces états financiers avant
le 31 janvier 2003 ), l’actuelle direction reste très sensible à la
situation critique par laquelle passe l’entreprise. Un programme de
restructuration est ainsi mis au point. Ce premier programme de
restructuration qui devait entrer en exécution depuis 1997, ne l’a été que
depuis la fin de l’année 2002 et qui se traduit par l’introduction de
Tunisair à la Carep (Commission d’assainissement et de restructuration
des entreprises publiques). M. Rafaa Dkhil qui précise que c’est un
programme de restructuration et d’intégration dans la mondialisation, ajoute
que “le programme de restructuration ne va pas à l’encontre du fait que
la société restera encore une entreprise publique“. L’affirmation du
caractère public de cette entreprise, a été par ailleurs confirmée par le
ministre Sadok Rabah lors de la cérémonie de remise de la certification Jar.
En référence à l’âge du parc d’avions de sa société et des infrastructures
et des outils techniques les plus modernes dont l’a dotée l’Etat, le Pdg de
Tunisair précise qu’ ” il y a un effort à faire de la part des deux
parties. L’état a fait le sien dans la mesure où il a toujours porté un
intérêt constant pour l’entreprise“. Il place ensuite la balle dans le
camp des employés et des cadres de Tunisair, en précisant que ceux-ci “ont
maintenant le devoir et la responsabilité, de s’insérer dans la
mondialisation comme l’ont déjà fait la grande majorité des sociétés de
transport aérien, tant en occident que dans le monde arabe“. Il est vrai
la société est actuellement dans une phase cruciale des négociations
sociales, surtout, mais aussi financières. Et de préciser ensuite que ce
dont a besoin Tunisair actuellement, “c’est une maîtrise plus accrue des
coûts et des charges et une amélioration des services et des produits et
cela reste encore à la portée de ses employés et cadres“.
Avec les intermédiaires en bourse, il indiquera ainsi que le plan de
restructuration comportera au moins trois volets. D’abord les ressources
humaines, par une amélioration du taux d’encadrement, qui ne dépasserait pas
les 5 % selon la note citée plus haut contre une moyenne de 15 % pour la
concurrence, mais aussi et surtout par un plan social. On citera à ce propos
un article de presse, paru le 30 janvier de cette année, dans un journal
arabe paraissant à l’étranger, pour indiquer que ce plan social, selon un
document officiel dont l’agence de presse Reuter détiendrait copie,
ramènerait le nombre d’employés de Tunisair de 7163 actuellement, à environ
5000, réparti à hauteur de 2500 dans les différentes filiales et prés de
2500 resteraient dans la fonction transport aérien (Airline). Un plan social
qui ne sera pas sans coût, bien sûr, si l’on sait que le premier plan social
pour le départ de 960 employés, déjà réalisé par l’entreprise, lui avait
coûté 65 MDT, selon la note sus citée.
Le plan de restructuration comprend aussi l’externalisation des activités
annexes. Questionné à ce propos, M. Rafaa Dkhil précise dans son interview à
la radio tunisienne, que “cela a déjà été fait pour le catering où la
société a déjà été constituée, fonctionne et Tunisair y est majoritaire“.
Il ajoutera que “on ne remet pas en cause cette démarche, mais on reverra
peut-être la structure des sociétés à créer pour les autres services et
activités. Mais tout cela est encore prématuré, nous en sommes encore au
stade des négociations avec les parties sociales et les cadres de
l’entreprise pour étudier tout ce qui est de nature à conférer plus de
rentabilité à ses services tout en sachant que Tunisair demeurera le maître
à bord de tous les services“.
Le second volet sera la compression des coûts. M. Rafaa Dkhil indique, dans
son interview à la radio tunisienne que les coûts des services de Tunisair
sont très élevés en estimant que c’est là une question essentielle à régler,
en précisant que cela se fera par “une étude, comparative et rationnelle,
des ratios des entreprises concurrentes. Cela nécessitera du courage, des
sacrifices et je crois que nous en sommes capables pour réussir à relever
les défis et faire face à la mauvaise situation financière et améliorer la
rentabilité économique de l’entreprise” indique-t-il dans la même
interview.
Le troisième volet du plan de restructuration, tel que l’indique le Pdg de
Tunisair devant les intermédiaires en bourse, sera la restructuration du
portefeuille titres et du patrimoine foncier de l’entreprise. Il est à
remarquer à ce sujet que les placements à court terme pour l’année 2001 de
Tunisair, sont estimés à 196,6 MDT alors que les produits de placements,
réalisés pour la même année, sont estimés à 19,956 MDT.
Tunisair et ses actionnaires
Reste à parler de ceux qui ont fait confiance au transporteur national,
lorsqu’il a décidé d’entrer en bourse. Ils sont plus de 15 500 actionnaires,
détenant 20 % d’une entreprise dont le capital social est d’un peu plus de
77,5 MDT. Des actionnaires qui ont vu la valeur de leur action, acquise dans
l’euphorie et la fierté de participer au capital de la première grande
entreprise publique qui s’ouvrait à l’investissement privé, fondre comme
neige au soleil. Cela dans l’indifférence générale et sans qu’aucune des
directions successives de Tunisair daigne intervenir pour la soutenir, comme
le leur permet l’article 19 de la loi 1994 relative au marché financier.
Elle ne vaut actuellement même plus son nominal de 5 dinars. Le dernier
dividende, de moins de 1 dinar par action, plus exactement 950 millimes,
remonte à l’année 1999.
Evolution du cours de l’action TunisAir depuis le 02/01/2001
Le montant des pertes cumulées,
de 170 MDT, représente plus de deux fois le capital social de l’entreprise.
Ce même motif avait été invoqué par le CMF (Conseil du Marché Financier)
pour radier Batam de la cote électronique. Peu de choses sont dites sur la
situation de l’entreprise et ses perspectives, ce qui n’arrange pas les
choses à la BVMT.
Le 6 janvier 2003, le CMF publiait un communiqué adressé aux sociétés
admises à la cote de la Bourse, leur rappelant qu’elles sont tenues, en
vertu de la loi de 1994 portant réorganisation du marché financier, de
fournir au CMF et à la BVMT, leurs états financiers provisoires arrêtés au
31 décembre 2002, établis sous la responsabilité du conseil d’administration
ou du directoire et accompagnés de l’avis du commissaire aux comptes sur les
résultats provisoires et ce, au plus tard le 31 janvier 2003. Au jour
d’aujourd’hui, les bilans, mêmes provisoires, de Tunisair ne sont pas rendus
public et encore moins les prévisions et la stratégie commerciale de
l’entreprise, pour l’année difficile qui s’annonce. Il est vrai que
l’article 21 de la loi de 1994 ne prévoit aucune sanction pour les
entreprises contrevenantes.