La fondation Mc ARTHUR Finance les nouveaux EINSTEIN
Actuel
– Décembre 1983
Papa
McArthur avait de l’argent. Beaucoup. Cinquième fortune américaine il y a de
quoi faire. Ce qui, pourtant, ne l’empêcha pas d’être, heu, bon. Oui, bon.
Tenez, lorsqu’on découvrir son testament, on pu y lire cette phrase : « J’ai
fait ce que je savais faire le mieux : gagner de l’argent. A présent, mes
amis, à vous de le dépenser au mieux.»
Roderick, son fils, avait pas mal bourlingué, et même gagné quelques
milliards sans jouer les fils à papa, en montant le Bradford Exchange, une
bourse d’assiettes de collection. Roderick est lui aussi, on l’aura deviné
un homme bon. Pour respecter la volonté de son père, il décida de créer la
fondation la plus insensée d’Amérique. Où il s’agissait de choisir des
individus talentueux – biologistes, historiens, chimistes architectes,
philosophes, mathématiciens, ou poètes, peu importe, mais en tout cas leur
offrir entre 25.000 et 60.000 dollars par an, et ce durant cinq ans. Ne
jamais leur demander de comptes, ni au sujet de l’utilisation de cet argent,
ni au sujet de l’utilisation de cet argent, ni au sujet de leur travail. Et
attendre patiemment qu’un Einstein sorte du lot. Voilà.
Roderick s’explique : « Nous voulons libérer nos lauréats de toutes les
contraintes matérielles qui gênent leur travail. Ainsi, ils peuvent se
lancer dans la recherche pure, ou creuser à fond une idée, même s’ils ne
voient pas très bien où elle mène. Ou bien poursuivre des travaux qui ne
s’inscrivent pas dans un modèle immédiatement rentable, ou carrément tout
arrêter pour prendre le temps de réfléchir, s’ils le désirent.»
Les bourses des fondations américaines à la Rockefeller sont attribuées
uniquement pour un projet précis. Résultat : les chercheurs ont tendance à
dissimuler leurs découvertes, ils prétendent être seulement proches du but
afin d’obtenir de l’argent qui servira, en fait, à d’autres travaux pour
lesquels on aurait refusé de les aider. Roderick : « Aurait-on fait
confiance à Einstein quand il travaillait sur la théorie de la relativité ?
» CQFD. Mais comment trouver les futurs lauréats ? Comment les sélectionner
? Pas facile, la chasse au génie. Car c’est de ce sobriquet ironique que les
sceptiques affublent aussitôt la Fondation.
Pourtant, c’est du sérieux. Voici comment ça marche. Inutile de présenter
soi-même sa candidature à la Fondation. Cent vingt « talent-scouts »
anonymes, des personnalités scientifiques et artistiques choisies pour leur
anti-conformisme, repèrent des candidats possibles et exposent les raisons
de leur choix. Après enquête et discussion, le Comité de sélection décide.
Et Roderick McArthur n’a plus qu’à téléphoner aux élus pour leur apprendre
la bonne nouvelle… et les convaincre qu’il ne s’agit pas d’une blague !
Le
montant de la rente annuelle dépend de l’âge du lauréat. Par exemple, Julia
Robinson, une mathématicienne de 63 ans, reçoit 57.600 dollars par an tandis
que Mark Wrighton, un chimiste de 33 ans, n’en reçoit « que » 33.600. La
Fondation McArthur a même prévu le cas de créatifs très âgés : pour les
encourager à poursuivre leurs travaux, pour que le savoir accumulé durant
toute une vie puisse continuer à fructifier, les Prize Fellow Lauréates
(trois jusqu’à présent) bénéficient pour le reste de leur vie d’une rente
annuelle de 60.000 dollars. Dov Goitein, un historien de 82 ans, est ainsi
devenu en janvier 1983 le doyen de la Fondation.
«
Mais nous cherchons surtout à aider les jeunes, dit Roderick McArthur. Ils
se heurtent au conformisme des mandarins et leur jeunesse même les empêche
de faire leurs preuves. D’où l’importance de nos détecteurs de créatifs : à
eux de discerner les promesses. La Fondation parie sur l’avenir et nous
n’hésitons pas à prendre des risques : en juin 1981 nous avons primé Stephen
Wolfram, un physicien de 21 ans, et en janvier 1983 Peter Sellars, un type
de 25 ans qui met en scène du théâtre et de l’opéra… C’est assez américain
de faire confiance aux gens sans contre-partie. »
Depuis l’attribution des premiers prix, en mai 81, la Fondation McArthur
a déjà craqué près de 20 millions de dollars et primé une centaine de
lauréats. Roderick McArthur voit-il
enfin poindre à l’horizon l’ombre d’un génie ?
« Patience ! N’oubliez pas que certains lauréats ont carrément changé de
domaine d’étude en recevant leur prix. Par exemple Shelly Errington, une
anthropologiste primée en 1981, s’est lancée dans l’architecture. D’autres
explorent de nouveaux champs pluridisciplinaires, comme Brad Leithauser qui
travaille à la fois le droit et la poésie. Nous avions décidé de privilégier
les individus plus que les projets : les résultats sont imprévisibles mais
j’imagine que d’ici une dizaine d’années nous verrons des choses
surprenantes.»
Cet
article ayant été publié dans la revue ACTUEL, il y a plus de 19 ans
(décembre 1983); nous avons eu envie d’en savoir plus. Nous avons commencer
par effectuer des recherches sur le web; pas très difficile, la fondation
existe toujours, continue a accorder des subventions “… aux fins
d’appuyer les efforts de groupes ou d’individus qui visent à encourager
l’amélioration durable de la condition humaine. La Fondation recherche le
développement d’individus sains et de communautés efficaces, la paix dans et
entre les nations, les choix responsables quant à la reproduction humaine et
un système écologique global capable de soutenir des sociétés humaines
saines. La Fondation poursuit cette mission en apportant son appui à la
recherche, au développement de politiques, à la dissémination, à l’éducation
et à la formation et la pratique de terrain…”
On n’a
pas voulu s’arrêter là, et on a poser, par E-mail, cette même question
“La fondation McArthur voit-il enfin poindre à l’horizon l’ombre d’un
génie?“