IFRI
(Institut Français des Relations Internationales) : Le rapport annuel de l’IFRI,
sous la direction de Thierry de Montbrial et de Philippe Moreau Defarges
Marque : DUNOD
190 x 255 mm – 376 pages – 2002
ISBN : 2100063693 – Code : 46369
Prix : 35 €
L’IFRI présente dans ce Ramses 2003 une analyse des grandes tendances du
monde, ainsi que des repères pour l’actualité.
Interview de l’auteur :
RAMSES 2003 : Bilan et
perspectives un an après le 11 septembre
Un
an après les attentats du 11 septembre 2001 et dans une actualité
internationale troublée, la parution du RAMSES (Rapport annuel mondial sur
le système économique et les stratégies), réalisé par les chercheurs de
l’Institut français des Relations internationales (IFRI), permet de
s’arrêter sur l’actualité internationale de l’année écoulée, en mêlant une
analyse de fond des événements et une documentation encyclopédique
particulièrement utile aux professionnels et aux étudiants. Thierry de
Montbrial, directeur de l’IFRI, revient sur les grandes orientations du
RAMSES 2003.
Un an après le 11 septembre 2001, comment analysez-vous les répercussions
de cet événement aux États-Unis ?
Avant tout, ce fut pour le pays un choc psychologique énorme et surtout un
brutal sentiment de vulnérabilité. Pourtant, cet événement était en fait
très prévisible : on a dit qu’il était imprévisible, mais cela est faux,
sinon dans le détail, à tout le moins dans les grandes lignes. Car la nature
humaine est telle qu’elle ne prend au sérieux les menaces que lorsqu’elles
se réalisent.
Une fois le premier choc émotionnel passé, ce qui est très frappant, c’est
la résurgence du sentiment patriotique américain : la distinction est
d’ailleurs moins tranchée qu’on ne le dit avec le nationalisme.
Un autre élément essentiel est celui de la remise en cause de la conception
des libertés civiles : pour lutter contre le terrorisme, il faut être
beaucoup plus intrusif. Le fait que les terroristes aient pu prendre des
cours de pilotage sans présenter de pièces d’identité et en payant cash en
est le parfait exemple : ceci aurait tout simplement été impossible en
France. Alors, où commencent les limites à poser aux libertés individuelles
? C’est un des très nombreux débats de l’après-11 septembre aux États-Unis,
mais aussi dans de nombreux autres pays.
Quels changements ces attentats ont-ils entraîné dans les relations
internationales ?
Contrairement à de nombreux commentateurs, je dirais que cet événement a vu
le retour des États. D’abord, la guerre contre l’Afghanistan a été une
guerre classique : on a parlé d’une guerre contre les Talibans, mais, en
termes corrects, c’était une guerre contre l’Afghanistan pour éliminer le
régime Taliban. Si les États-Unis font une guerre contre Saddam Hussein, ce
sera une guerre contre l’Irak, dont le but sera d’éliminer le régime de
Saddam Hussein. Mais les victimes seront bien irakiennes.
Je constate qu’il y a eu aussi un renforcement des relations
américano-russes : les États-Unis sont, en conséquence, beaucoup moins
regardants sur la question de la Tchétchénie. Il en va de même des relations
sino-américaines, la Chine ayant encouragé son allié pakistanais à soutenir
les États-Unis. Ainsi, on s’est rapidement retrouvé dans une configuration
inter-étatique relativement classique.
Les États-Unis se retrouvent donc aujourd’hui dans une situation délicate,
car ils se voient obligés de soutenir des régimes assez éloignés des régimes
dits démocratiques. Et, disant cela, je pense aussi à l’attitude extrêmement
ambiguë de l’Arabie Saoudite.
Un autre changement est lié au conflit israélo-palestinien : il serait
illégitime d’établir un lien direct entre ce conflit et les attentats du 11
septembre, mais il s’agit là d’un terreau qui va nourrir la haine d’un
certain nombre de gens désespérés. Le fait que les États-Unis ne s’attellent
pas à la recherche d’une solution décente nourrit cet anti-américanisme et
renforce notamment les partisans de Ben Laden, les États-Unis apparaissant
faire deux poids, deux mesures en demandant l’application stricte de
certaines résolutions de l’ONU et en en ignorant d’autres.
De même, je suis de ceux qui pensent que Ben Laden est un sous-produit de la
guerre d’Irak de 1991. Ben Laden, milliardaire saoudien, a pu développer ses
activités criminelles en exploitant le sentiment d’hostilité anti-américain
né de l’intervention de 1991 et surtout de ce qui a suivi : contrairement à
leur engagement initial, les Américains sont restés sur le sol saoudien.
J’en profite pout faire une remarque générale sur les États-Unis : une de
leurs caractéristiques est d’intervenir par la force, de façon parfois
extrêmement violente, en fonction de leurs intérêts, et ensuite de se
désintéresser des problèmes. Ainsi ont-ils soutenu les moudjahidin contre
l’URSS, mais, dès le retrait soviétique, ils se sont désintéressés de la
question du jour au lendemain, faisant le jeu des Talibans.
Dans un des articles du RAMSES 2003, Michel Wievorka explique que le
terrorisme à la Ben Laden est un terrorisme global : qu’en pensez-vous ?
La caractéristique de la mondialisation est que toutes les activités tendent
à être globales : cela vaut pour les entreprises comme pour les terroristes.
La notion de globalisation n’est donc pas une notion économique, elle est
liée à l’activité. Aujourd’hui, le théâtre des opérations tend à être
mondial et les terroristes, les trafiquants de drogue ou d’armes opèrent à
un niveau mondial.
Cela est un effet de la technologie de l’information, mais aussi un effet
des changements géopolitiques : la disparition de l’URSS et le
décloisonnement de l’Asie centrale notamment font qu’il y a un marché
mondial des activités criminelles, et une opération comme celle du 11
septembre correspond effectivement à cette notion de terrorisme global, où
un attentat est préparé par des individus situés en Asie, en Allemagne, aux
États-Unis ou ailleurs.
Les attentats du 11 septembre ont fait prendre conscience de
l’imbrication du terrorisme et du blanchiment d’argent : peut-on parler
d’une géopolitique de l’argent sale ?
L’activité bancaire et financière, elle aussi, est globale, voire même à
l’origine de la mondialisation. En matière de blanchiment d’argent, le
problème est que les grands établissements bancaires et financiers ne sont
pas en Afghanistan ni même en Arabie Saoudite, mais dans les pays
occidentaux en conséquence, on ne peut lutter contre cet aspect du
terrorisme et de la criminalité internationale sans avoir des politiques
beaucoup moins permissives, beaucoup moins libertaires. Mais on se heurte
ici à des oppositions énormes, et les Anglo-saxons étaient, par exemple,
extrêmement hostiles à toute idée de lutte contre les paradis fiscaux.
Comme on ne bombarde pas un compte en banque, il faut des modes d’approches
totalement nouveaux et, aujourd’hui, c’est aux États-Unis un problème majeur
car il y a énormément de failles dans le contrôle de cet argent.
La crise argentine illustre-t-elle l’absence de gestion économique
planétaire ?
En réalité, ce problème d’absence de gestion économique mondiale est lié au
fait que le marché a l’inconvénient d’avoir une grande propension aux bulles
: or, si l’on constate une bulle en Amérique Latine, on peut avoir intérêt à
participer à cette bulle. Toute la question est de savoir se retirer au bon
moment, et c’est donc un jeu extrêmement dangereux.
Dès lors, il faut des régulations assez efficaces pour éviter les grands
dysfonctionnements et suffisamment peu contraignantes pour ne pas priver
l’institution du marché de son efficacité.
Cela étant, pour ce qui concerne l’Argentine, les reproches adressés au FMI
ne sont pas totalement dénués de raison. Je crois que ce pays a été poussé
au bord du gouffre par des demandes, pour certaines, absurdes.
On peut aussi estimer que l’Argentine a été abandonnée, en particulier par
les États-Unis qui, après avoir voulu bâtir un espace de marché avec
l’Amérique du Sud, s’en sont désintéressés après le 11 septembre. Je crois
donc que la gouvernance économique internationale a besoin d’un lifting.
Vous consacrez tout un chapitre à la Chine : quelle est sa situation ?
D’abord, RAMSES est une saga de plus de vingt ans – ce qui est exceptionnel,
soit dit au passage !
Nous ne cherchons donc pas à tout couvrir chaque année. Sur la Chine, il y a
toujours des choses à dire, mais il nous semblait particulièrement opportun
d’en parler cette année. Nous arrivons à la 4e génération de dirigeants
chinois ; la Chine a obtenu l’organisation des J.O. 2008, ce que je pense
être une bonne chose ; enfin, depuis la crise financière en Asie de 1997, la
Chine a continué sur sa remarquable lancée malgré toutes les craintes.
Certes, c’est un régime autoritaire qui s’apparente de plus en plus aux
anciens régimes sud-américains, mais ce pays rassemble le cinquième de la
population mondiale, il rentre dans l’OMC, ce qui est un fort signe
d’intégration. Il était donc normal de lui accorder un chapitre entier qui
fasse un véritable point d’ensemble.
Quelles seront, selon vous, les grandes tendances qui marqueront la fin
2002 et l’année 2003 ?
Dans ce futur proche, beaucoup dépendra de la solution apportée à deux
qestions : celle de l’Irak, tout d’abord, sur laquelle il règne un désaccord
international profond ; celle du conflit israélo-palestinien ensuite, qui
est un abcès qu’il faut crever et au sujet duquel les États-Unis doivent
assumer leur rôle et intervenir de façon plus efficace. Et d’ailleurs, en
Israël même, on sent un malaise de plus en plus grand.
Enfin, l’Amérique Latine mérite aussi un regard particulier, avec la
situation de l’Argentine, l’avenir du Brésil après les élections
présidentielles et la position du Venezuela. Ce que l’on a vu avec la crise
argentine n’est pas un élément isolé mais, pour autant, il ne faut pas
tomber dans l’excès inverse et croire que ce qui s’est produit dans ce pays
arrivera pareillement dans les autres pays de ce continent.
Sites Internet associés à cet interview !
L’IFRI : http://www.ifri.org
Le site de l’Institut français des relations internationales.