Pour
comprendre les raisons de la destruction de Bagdad, vous épluchez la presse
internationale, vous louchez sur CNN et Al Jazeera, vous consultez votre
coiffeur et tous les chauffeurs de taxi que le destin place sur votre route.
Erreur ! C’est du côté des économistes qu’il faut chercher le vrai motif des
faucons de Washington. On trouve ainsi dans les « working papers » du
National Bureau of Economic Research (mais qui lit les « working papers » du
NBER ?) un texte révélateur de D. R. Davis et D. E. Weinstein intitulé Bones,
Bombs and Break Points. Dans cet article, qui porte le numéro 8517 dans la
série du NBER, nos deux collègues affirment froidement que la destruction
des villes japonaises pendant la deuxième guerre mondiale fut une
bénédiction pour la science économique puisqu’elle permet de répondre à une
question qui tracasse les professeurs Nimbus depuis belle lurette : pourquoi
le rapport entre la taille des villes d’un pays donné reste t il stable au
cours des décennies ? Si, par exemple, la capitale est deux fois plus grande
que la deuxième ville, elle le restera toujours quel que soit par ailleurs
leur développement dans l’absolu. Davis et Weinstein analysent 66 villes
dévastées par l’aviation américaine et proposent trois hypothèses pour
expliquer la stabilité du fameux rapport.
Or l’économie, comme toute science qui se respecte, doit refaire les mêmes
expériences deux fois, dix fois, cent fois afin d’éliminer le hasard de
l’équation. Comme le Japon ne pouvait être bombardé une deuxième fois la
moitié du pays est aux mains des fonds de pension yankees , il fallait
trouver un autre terrain d’expérimentation. L’Irak s’y prêtait parfaitement
car le rapport entre Bagdad et Bassorah est d’une stabilité remarquable :
consultez sur ce sujet les tablettes d’Hammourabi, Les Mille et Une Nuits et
les rapports de James Bond. D’où le lobbying incessant du NBER auprès des
galonnés de Washington : il faut détruire l’Irak pour vérifier notre
hypothèse. Il en va du prestige de la recherche dans notre beau pays ! Des
prix Nobel sont à prendre!
On comprend maintenant pourquoi ni les Français ni les Russes ne sont les
bienvenus dans la reconstruction du pays. L’expérience doit être conduite
dans des conditions identiques : pas question d’introduire des distorsions
d’ordre culturelle ou sociologique qui fausseraient le processus de
comparaison avant/après. Nous avons téléphoné à nos collègues du NBER pour
en avoir le coeur net.
Est il vrai que c’est vous qui avez demandé à la Maison Blanche de barrer la
route aux entreprises françaises et russes ?
Of course. Les Français auraient construit des fabriques de bérets basques
et de camembert à Bassorah. Or nous n’avons pas l’équivalent à Bagdad.
Expérience faussée.
Et les Russes ?
Ils transformeraient Tikrit en distillerie de vodka. Du coup, étant donné
les besoins du pays, vingt six millions de gosiers, me dit on…
Oui, mais ce sont en majorité des gosiers musulmans.
Really ? Eh bien, ça ne fait rien, l’expérience aurait été faussée dans
l’autre sens. Ne pouvant écouler leur vodka, les Russes auraient ruiné Tikrit qui aurait disparu dans les sables et alors nous n’aurons rien pu
comparer.
Dites moi, il parait que Ben Laden est lui aussi économiste. La destruction
de New York et de Washington…
Nous n’avons pu finir la phrase. Nos collègues avaient déjà raccroché