Sous-traitance
:
L’Europe de l’Est est-elle une menace ?
Depuis quelques mois, de plus en plus de chefs d’entreprises, notamment des
industriels, parlent d’une nouvelle concurrence autour de leurs marchés
classiques (français, italiens et allemands) venant de l’Europe de l’Est.
Aussitôt remis des différentes étapes de la mise à niveau (qui ne sont pas
finies pour tout le monde) et s’apprêtant enfin à récolter les fruits de
leur moisson, ces industriels se sont trouvés face à la mauvaise conjoncture
mondiale (crise économique et événements politiques défavorables) et doivent
se préparer sérieusement dans les mois qui viennent à affronter les pays de
l’Europe de l’Est ou de l’ancien « pré carré » soviétique. Ces derniers, dont
la Roumanie notamment, commencent à faire parler d’eux, et en bien, dans le
milieu des affaires de l’Europe de l’Ouest.
Ce qui
n’est pas pour plaire aux Tunisiens qui après avoir réussi à prouver leurs
compétences et délocaliser plusieurs usines de l’Europe en Tunisie doivent
trouver encore plus d’arguments pour convaincre des industriels qui
cherchent encore et toujours à faire des économies là où c’est possible.
Deux secteurs pourraient être touchés de plein fouet : les textiles et les
technologies (industrie du logiciel et ingénierie notamment).
Dans un article consacré au sujet, le quotidien français Le Monde, dans son
édition du 21 octobre, rappelle qu’en 2002, en France, 20 % des entreprises
de la confection ont encore sorti du pays tout ou partie de leurs activités
et qu’avec la brutale libéralisation des quotas d’importation textile prévue
le 1er janvier 2005, du fait du démantèlement des accords multifibres
conclus et reconduits depuis 1973, ce pourcentage risque de s’accélérer très
rapidement. Au grand dam des salariés français qui ne comptent plus les
fermetures d’usines.
C’est
que dès les années 60, les français délocalisent vers le Maroc et la
Tunisie. Depuis 1972, la Tunisie a eu de sérieux atouts grâce à sa loi sur
l’off-shore (plus connue sous la loi 72) .
Aujourd’hui, la Tunisie et le Maroc ne paraissent plus comme les pays
fournisseurs principaux pour la confection en France comme cela a été le cas
il y a quelques années. Selon l’Union française des industries textiles, la
Roumanie et la Bulgarie leurs disputent sérieusement la vedette. Bien qu’ils
soient les plus sérieux concurrents du moment, ce ne sont pas les seuls, car
il s’agit de compter également avec la concurrence du Pakistan, de la Chine,
de la Corée du Nord, de l’ Indonésie, de la Thaïlande, des Philippines,ou
encore du Vietnam.
Ceci a
naturellement pour effet de minimiser les coûts de la production pour les
industriels français, mais c’est un coup dur pour les salariés.
Dans
l’habillement, les salaires représentent, en France, 60 % du coût de
fabrication et c’est donc naturel qu’on cherche à délocaliser au maximum là
où les salaires sont moindres; ce qui justifie toute mesure de délocalisation tant que la bonne qualité et la rapidité
d’exécution sont assurées.
Ainsi et en incluant les charges sociales, le coût du travail horaire pour
ces ouvriers tourne autour de 13,8 dollars en France contre 1,6 dollar en
Tunisie (1,8 au Maroc). Dans les « nouveaux pays concurrents », ce coût est
presque le même dans les pays de l’Europe de l’Est, mais il est nettement
plus bas en Asie avec 0,6 dollar en Chine, 0,5 dollar en Inde et 0,3 dollar
au Pakistan.
Le
calcul que l’industriel doit faire est donc le coût que fait gagner la
proximité des pays du Maghreb par rapport aux pays asiatiques, mais aussi la
quantité produite en un laps de temps précis par une usine tunisienne,
bulgare et asiatique. Il semblerait que les Tunisiens soient assez
compétitifs sur ce plan et respectent comme il se doit leurs engagements
quand aux délais d’exécutions. Les usines qui travaillent à plein régime (et
il y en a !) assurent donc la productivité.
Ceci pour le textile, mais pour l’informatique, il en est autrement, car on
fait face beaucoup plus au facteur humain. Le personnel, dans le milieu
informatique étant, de par son niveau social et universitaire, beaucoup plus
exigeant que celui du secteur du textile habillement.
L’un des principaux concurrents sur ce segment d’activité est le
sous-continent indien. L’ingénieur hindou est prisé un peu partout dans le
monde à tel point que l’Allemagne a mis en place de nouvelles lois
relatives à l’émigration pour faciliter le recrutement.
En Tunisie, on a commencé à prendre conscience de la « menace » avec le
manque d’ingénieurs constaté il y a deux ans sur le marché de l’emploi. On
parlait alors de la fuite des cerveaux et du risque de voir nos compétences
formées par nos universités fuir vers l’Europe et l’Amérique, les plus gros
demandeurs d’ingénieurs sur le marché mondial.
C’était au temps où les coûts importaient peu et les barrières frontalières
n’étaient pas aussi importantes que maintenant avec la conjoncture politique
internationale. Des ingénieurs, oui, mais à condition qu’ils travaillent
pour nous à distance, se disent les patrons des multinationales encouragés
par les politiques de droite de plusieurs gouvernements. C’est donc la voie
royale pour la sous-traitance.
Dernièrement, un mail parvenu d’un chef d’entreprise roumain a suscité une
petite polémique dans le milieu des responsables de ressources humaines et
autres directeurs de sociétés informatiques. Il y a ceux confiants pour qui
ce mail ne menace en rien leur intérêt et ceux qui voient d’un très mauvais
œil ce genre de messages qui ne présage rien de bon pour l’avenir dans un
secteur en mal de sortir de sa crise depuis deux ans.
Le mail en question invite les entreprises françaises à augmenter leurs
marges bénéficiaires en sous-traitant leurs développement informatiques en
Roumanie. Les arguments présentés sont la proximité, la francophonie et
l’excellente réputation de l’informatique avec un savoir faire appuyé sur
les plus récentes technologies dans le respect des normes ISO 9001. Il prend
en exemple les centaines d’entreprises travaillant déjà avec les sociétés de
développement roumaines.
Suit ensuite une grande série d’argumentations techniques et commerciales
qui se terminent par l’argument choc : l’entreprise peut économiser plus de
50% de ses coûts en matière d’ingénierie ce qui augmente ainsi sa
rentabilité et lui permet de mieux se recentrer sur son centre de profit.
Avec une telle présentation, le premier chef d’entreprise se dira que les
bénéfices sont incalculables et il n’hésitera pas à déléguer et
sous-traiter.
La question qu’on se pose est si nos entreprises sont compétitives face à
ces Roumaines (ou Bulgares ou autres) et si leurs services commerciaux
agissent de la sorte ?
Dans sa dernière rencontre avec les professionnels, le secrétaire d’Etat à
l’Informatique et l’Internet l’a affirmé, exemples à l’appui. En matière de
compétences, a priori, nous n’avons donc pas de problèmes de compétitivité.
Pour le coût, un ingénieur de développement de logiciels coûte aux alentours
de 619 dollars par jour en France contre 109 dollars en Tunisie, 171 en
Hongrie et 145 en Roumanie.
Ces chiffres permettent-ils de dire que nous
sommes compétitifs sur ce plan ? L’écart entre la Tunisie et les pays de
l’Europe de l’est n’est hélas pas très important (comme celui entre la
Tunisie et la France) pour pouvoir affirmer cela rapidement et sans tenir
compte de plusieurs autres facteurs.
Reste l’agressivité commerciale. Nos entreprises envoient-elles ce genre de
mails? Participent-elles aux séminaires et foires internationales
régulièrement pour décrocher des marchés ? Nouent-elles des relations «
personnelles » avec des partenaires étrangers ? Recrutent-elles des
commerciaux européens pour opérer en Europe sur le terrain naturel même de
ces commerciaux ?
Certains ont compris l’intérêt de ces démarches tel Mohamed Ali Elloumi,
patron d’Access to e-business bien que son entreprise est de très petite
taille, comme il la définit lui-même d’ailleurs. Mais les autres, ceux
capables de générer un gros chiffre d’affaires en devises, employer beaucoup de personnel ? La réponse tend hélas vers la négative
dans le milieu des technologies, bien que dans le textile, on opère ainsi
depuis des lustres.
Signalons au passage que dans les documents que fournit la Fipa, l’agence de
Promotion de l’Investissement extérieur, tout comme dans son site Internet,
il n’est pas tenu compte de ces pays.
La menace, même si certains ne la considèrent pas encore comme réelle, est
aux horizons. Il faut se préparer, très sérieusement, à l’affrontement avec
les pays de l’Europe de l’Est.