Après les années de la bulle
Internet, où les publications sur la Toile ont survécu grâce aux sommes
astronomiques dépensées par d’autres, le cyberjournalisme commence à
décoller. Cet essor risque d’avoir des retombées inquiétantes pour les
journaux du monde entier, mais pourrait bien sauver le journalisme lui-même.
Jusqu’à très récemment, personne n’avait trouvé le moyen de gagner de
l’argent avec le journalisme sur Internet. C’est chose faite aujourd’hui, en
partie parce que les très récents et rapides progrès accomplis par la
technologie ont rendu le Net plus séduisant pour le lecteur et plus
accessible à la publicité.
Inexorablement, les lecteurs
délaissent les journaux pour se tourner vers Internet. D’après une étude
détaillée réalisée aux Etat-Unis par eMarketer, un cabinet d’analyse
spécialiste du marketing, les personnes qui surfent sur le Net ont réduit le
temps qu’ils passent devant la télévision de 28,8%, et celui qu’ils
consacrent à lire des magazines et des journaux de 22,5 % et 23%
respectivement.
Deux facteurs décisifs ont
permis cette évolution. Le premier est la généralisation croissante des
connexions rapides à Internet, qui permettent d’acheminer de grandes
quantités d’information. Par ailleurs, il est désormais possible de
remplacer les pop-up et autres bandeaux publicitaires, si ennuyeux, par des
publicités insérées dans le texte journalistique lui-même, comme le font les
journaux et les magazines sur le papier, et de relier ces publicités à des
articles relatifs au même sujet. Les responsables de plusieurs journaux et
sites Internet prévoient une rentabilité croissante et durable, sans les
à-coups spectaculaires qui avaient conduit la bulle Internet à l’hystérie
dans les années 90.
“Nous sommes passés d’une
exaltation irrationnelle à un abattement tout aussi irrationnel“;
explique Ben Macklin, analyste responsable pour eMarketer. “Je pense que
nous arrivons aujourd’hui à un équilibre. La question est maintenant :
comment gagner de l’argent avec Interner ? Certains éditeurs trouvent de
bonnes recettes, et d’autres non.” Quelques publications ont essayé de
remplir leurs caisses avec les abonnements, mais l’expérience a été en
général décevante. “Les gens ne sont prêts à payer pour du contenu que si
cela leur permet de gagner plus d’argent, d’en économiser, ou s’il a un lien
avec leur carrière, un intérêt personnel ou une passion“; précise
Richard Gordon, professeur sur les nouveaux médias à la Northwestern
University. Quoi qu’il en soit, le nombre de lecteurs de ces publications
est vraiment spectaculaire. Si l’on en croit le directeur des relations
publiques du site, Slate remporterait la palme avec 5 millions de lecteurs.
Aucun journal papier américain n’approche ce résultat. Le plus vendu, USA
Today, culmine à 2,13 millions dé lecteurs par jour, suivi du Wall
Street Journal, avec 1,8 million.
Beaucoup de ces lecteurs lisent
le journal le matin, puis se rendent sur le site Internet tout au long de la
journée pour suivre l’évolution de l’information. Cela a été
particulièrement vrai lors de l’aggravation de la dernière crise irakienne.
“Cela signifié que, pour les publicitaires, nous sommes intéressants au
niveau national“, explique George Nolan, responsable des relations
publiques pour Washingtonpost. com et Newsweek Interactive.
“Pourtant, même si nous nous trouvons dans la capitale du pays, le
Washington Post est un journal local.“
La fin
annoncée des journaux classiques
Les publicitaires ont répondu à
l’appel d’Internet avec de grandes annonces taillées sur mesure pour le
cyberjournalisme, qui assurent aux publications en ligne une source de
revenus de plus en plus importante. Le New York Times a récemment
annoncé qu’il ouvrirait une section d’une demi page d’annonces sur Internet.
Les publicitaires ont réalisé que, à la différence de ce qui se passe avec
les journaux, Internet leur permet non seulement d’atteindre des lecteurs
spécifiques, mais de le faire à des moments précis de la journée ou de la
semaine: Patrick Hurley, de Salon, donne (exemple d’une publicité pour la
bière Budweiser publiée en ligne le vendredi afin de tirer parti de
l’impatience suscitée par l’approche du week end. Selon lui, “les
spécialistes en marketing commencent à comprendre que les utilisateurs
d’Internet mélangent divers aspects de leurs vies“. Or aucun média
papier ne peut entrer en concurrence avec ce type de ciblage.
Les journaux et la télévision ne
peuvent pas non plus faire concurrence à la publicité interactive et
cinétique qui est aujourd’hui possible sur Internet. Certains restent
néanmoins sceptiques, comme Robert S. Cauthorn, le vice-président du
département multimédia du San Francisco Chronicle, pour qui ces
campagnes sont chères et peu efficaces. Cependant, le meilleur exemple est
sans doute celui de la nouvelle rubrique Voyages lancée par Slate
garée avec une série d’articles sur les pays scandinaves. Au milieu des
reportages se trouvait un lien pour une publicité pour Volvo, le
constructeur automobile suédois. En cliquant sur l’annonce, l’internaute
pouvait se mettre au volant des nouveaux modèles, passer un test de conduite
virtuel et se renseigner sur la manière de passer commande d’un véhicule. De
même, les voyagistes peuvent offrir des visites virtuelles de stations
touristiques ou montrer les chambres d’hôtel. La télévision ne peut pas
rivaliser avec ces annonces que l’utilisateur regarde quand et comme il
veut.
Pendant que les publicitaires
gagnent de l’argent sur Internet et que le nombre de lecteurs des
publications électroniques augmente, la presse papier enregistre des
bénéfices annuels minuscules. Le fait est qu’aux Etats-Unis la presse est
littéralement en train d’agoniser Elle ne disparaîtra cependant pas demain,
et certains des meilleurs journaux continueront à afficher une santé
florissante. Mais leurs lecteurs vieillissent et disparaissent, et personne
ne vient les remplacer. D’après Hazel Reinhardt, une consultante de
Minneapolis spécialisée dans l’analyse du marché et de la démographie qui a
réalisé une étude Société américaine des éditeurs journaux, quelque 70 % des
personnes nées avant 1946 lisent le journal pendant la semaine. Ce
pourcentage chute à environ 58% pour les enfants du baby-boom, et à 46%
seulement pour ceux nés dans les années 80.
Fait révélateur, 46% des
journalistes qui écrivent pour de grands titres estiment que leur
publication ne sera plus disponible qu’en ligne d’ici quinze ans. Selon
Robert S. Cauthorn, les journaux ne mourront pas, mais changeront. Certains
cesseront sans doute de publier des édition du lundi au mercredi ou jeudi,
jours où ils perdent de l’argent, mais ils paraîtront le vendredi
parce que les lecteurs comptent sur les pages loisirs, le samedi pour les
annonces immobilières et automobiles et le dimanche parce qu’il est agréable
de pouvoir lire un journal entier en prenant son temps et selon son bon
plaisir.
Il n’empêche que les jeunes
lisent de moins en moins les quotidiens, et rien n’indique que cette
tendance s’inverse avec l’âge. Aux Etats-Unis, le lecteur de journal
type a 46 ans environ. La nouvelle génération ne lira probablement jamais le
journal. Mais elle utilisera Internet pour tout faire, y compris pour lire.
John
Berthelsen
Paru
dans CI Hors Série 2003.
(c)
Webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies
-27/03/2004 à 08:00