Sylvie Graisman, est une experte de la Coface en risques pays. Elle était en
Tunisie pour présenter le rapport 2004 de cette compagnie qui assure tout le
commerce extérieur de la France sur le monde. Son opinion sur les perspectives
de la croissance dans le monde pour 2004, n’est pas très optimiste.
Pour 2004, le dynamisme des demandes nord américaine et asiatique devrait
conforter la reprise de l’activité en Europe et en Amérique latine. Mais des
fragilités subsistent, tant aux USA qu’en Europe. Aux Etats-Unis, la
pérennité de la croissance pourrait être remise en cause, après les
élections, par l’importance du double déficit. En Europe, l’activité
pourrait être affectée par le niveau élevé du cours de l’euro et du yen.
Pour Mme Graisman, les secteurs dont la reprise sera portée par l’innovation
et le renouvellement des équipements, sont l’électronique, l’informatique et
les communications. Des secteurs comme la Grande distribution ou le Tourisme
seront confrontés à une demande peu dynamique et d’autres, tel le textile,
auront à faire face à une plus grande concurrence.
Mme Graisman, vous ne semblez pas être optimiste quand
aux tendances de reprise de l’économie pour l’année 2004 et vous semblez
encore garder des doutes à ce sujet. Comment, voyez-vous ces évolutions de
votre objectif d’assureur du commerce international ? Quelles peuvent être
les conséquences de ces évolutions sur des économies, comme celles de la
Tunisie ?
Nous sommes optimistes. Mais le propre d’un assureur crédit, c’est toujours
de prévoir le risque. Si les prévisionnistes assortissent leur prévision
d’un risque sur la prévision, nous devons faire plus, car le risque est
notre profession.
Nous, nous adhérons à l’idée d’une croissance qui se diffuse à l’ensemble
des régions du monde en 2004. Nos projections, sont de 3.7% de croissance
mondiale en matière de taux de change pour 2004, contre 2,7% en 2003. En
parité de pouvoir d’achat, le FMI l’a situé à 4.6% et nous adhérons à ces
prévisions.
Ce qui donne peut-être l’idée que nous ne sommes pas optimistes c’est que
dans le cadre de l’Union Européenne, la reprise sera beaucoup moins forte
qu’ailleurs. Et puis bien sûr, elle sera beaucoup plus progressive en raison
de l’atonie sur ces trois pays, à savoir l’Allemagne, la France et l’Italie
à cause de l’atonie de la consommation. Mais il y a tout de même des
perspectives de reprise
avec des taux de croissance meilleurs.
Vous évoquiez pourtant des incertitudes, dans votre intervention à
l’occasion du dernier séminaires risque pays de la Cotunace, quand aux
perspectives de relance aux USA et l’on sait l’influence de ce facteur sur
la croissance en Europe et donc sur les pays émergents, comme la Tunisie !
Pour le cas des Etats-Unis, notre incertitude porte uniquement sur l’extrême
fin de l’année 2004 et le début de l’année 2005. Il y a un moment où il
faudra poser la question sur ce que va faire le gouvernement Américain. Il a
promis lui-même de baisser ses déficits publics. Or pour les baisser, il n’y
a pas trente six mille solutions. Il faudra donc, soit que les Etats Unis se
découvrent de nouvelles recettes, soit diminuer les dépenses. L’on sait
cependant que la politique ne peut pas toujours être favorable à des mesures
monétaires. La réduction du déficit impliquera donc une politique moins
favorable à la croissance. Mais tout cela, se serait alors pour après les
élections aux USA.
Si pour le cas de l’Europe, la croissance sera
limitée et aura un certain retard, cela va certainement avoir une influence
sur les pays émergents et la zone du Maghreb, essentiellement, qui a un très
fort courant d’échange avec l’Europe.
Moi je dirais que la zone Maghreb, s’en est plutôt pas mal sortie. Alors que
l’Europe avait une croissance largement inférieure à 1% en 2003 et après
plusieurs années de stagnation ou de faible croissance, nous constatons que
l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont connu, en 2003, des taux de croissance
supérieurs à 5%. Les trois pays ont certes bénéficié d’une bonne
pluviométrie, mais le tourisme ne s’est pas effondré comme on aurait pu le
craindre et les exportations se sont maintenues. La situation 2004 ne peut
donc qu’être meilleure pour la Tunisie et le Maroc. Pour les pays
exportateurs de pétrole, la situation est différente car elle est fortement
liée au cours des prix du pétrole et à la quantité de pétrole exportée.
Quelle est votre lecture pour la dernière notation
Coface de la Tunisie et pourquoi donc la Tunisie n’arrive pas encore à lever
cette surveillance négative ?
La surveillance négative est appelée à disparaître dans les prochains jours.
Dans le cas spécifique de la Tunisie, nous avons en effet des retards de
paiement, mais ceux-ci seront jugulés. Ca donne donc lieu à un paiement sans qu’il
ait nécessité de procédure judiciaire lourde. Les entreprises ont
probablement des tensions sur leurs trésoreries, qui expliquent les retards,
mais cela ne veut pas dire qu’il ait une situation d’insolvabilité de droit.
Au vu donc des critères macro économiques, financiers et politiques et de
l’expérience de paiement, je pense que nous allons dans le sens de la levée
de la surveillance pour la Tunisie.
On a aussi entendu, lors du séminaire sur les
risques pays, le représentant de la Cotunace, donner ce qui peut être
l’explication de ces retards de paiement et qui est le fait que les
entreprises Françaises deviennent de mauvais payeurs.
Il y a en effet, probablement un lien. Je crois quand même qu’il y a une
composante sectorielle importante dans cette situation. La Coface a déclassé
la France vers la note A2 et cela en tenant compte de l’environnement
économique qui a un impact négatif sur la solvabilité des entreprises. Nous
n’avons toutefois pas une vue aussi négative que Cotunace, car il y a une
déformation sectorielle. Le problème c’est que les exportations Tunisiennes
sont beaucoup centrées sur le textile, un secteur qui souffre beaucoup en
France.
Vous évoquiez aussi, lors de votre présentation, un
indice relatif à la dépréciation des monnaies dont vous tenez aussi compte
dans votre notation. Comment évaluez vous cet indice pour la Tunisie ?
Pour nous, la Tunisie n’est pas un pays à risque en matière de dépréciation
de sa monnaie. Nous considérons qu’il y a relativement une bonne
compétitivité, une bonne situation des comptes extérieurs, certes le pays
selon nous à un endettement sur PIB assez élevé, mais il a les moyens d’y
faire face et le service de la dette est bien assuré.
Vous avez aussi brossé, de la nouvelle Europe, un
tableau qui n’encouragerait pas à faire affaire avec ses pays !
Tout a fait. Mais quand nous disons que c’est risqué, cela ne veut pas dire
qu’il ne faut pas y aller, mais y aller en faisant attention. Il y a de gros
marchés potentiels, même si le pouvoir d’achat n’est pas celui des autres
pays européens, mais il y a donc une place à prendre dans ces pays et nous
considérons que ces pays sont plus des marchés potentiels pour la Tunisie
que des concurrents. C’est un risque moyen. Il peut y avoir dedans, de
bonnes entreprises qui peuvent être de bons partenaires.
Même sur des créneaux comme le textile ?
Oui car se sont des marchés à ne pas négliger ! En Pologne par exemple, il y
a toute la gamme de la grande distribution et les entreprises qui y opèrent
sont des clients solvables. Cela peut se révéler un bon marché pour la
Tunisie.