La modernisation nous joue un mauvais tour

Par : Autres

La
modernisation nous joue un mauvais tour

 

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DE DEUX millions et demi de chômeurs, un déficit industriel catastrophique,
un gouvernement qui craint toujours la reprise de l’inflation : la situation
de l’économie française manque de charme. Nous bénéficions de la situation
particulière de l’Allemagne et nous n’en tirons pas le meilleur profit.
Voilà pourtant bientôt dix ans que la modernisation de l’appareil français
est devenu l’objectif prioritaire de notre politique industrielle. Des
entreprises plus compétitives devaient être le moyen de résorber dans
l’immédiat, le déficit extérieur, et le chômage.

 

La modernisation n’a pas été de
la frime. Le “juste à temps” et le “zéro défaut” sont devenus des règles
d’or. La productivité du travail a continué à croître à une allure
respectable ; modération des revendications salariales aidant, nous avons
aujourd’hui des coûts salariaux par unité produite, parmi les plus bas
d’Europe. Mieux, cette modernisation a largement débordé les secteurs
industriels. Le commerce de détail est de plus en plus dominé par les formes
modernes de distribution. Même les administrations ont recherché de nouveaux
modes de fonctionnement. Quant à l’agriculture, elle a confirmé ses
performances et sa compétitivité ; le solde commercial des produits
agricoles et alimentaires est passé de 25 milliards en 1984 à 51 milliards
en 1990. Il est vrai qu’entre temps, le déficit industriel est passé de + 97
milliards à 57 milliards en 1990 (il dépassera 60 en 1991 et près de 90, si
on ne tient pas compte des soldes du commerce des armes).

 

Ne sommes nous pas allés trop
loin dans la modernisation ? Quand on veut créer de l’emploi, le
développement d’activité de services à faible productivité est une solution
infaillible. C’est la solution américaine et, à y regarder de plus près,
japonaise. Une certaine séparation des fonctions entre les entreprises qui
assurent l’emploi et celles qui se tournent vers l’extérieur fait partie des
recettes nipponnes. Toute économie a besoin d’activités duales revenant
moins chères, que la prise en charge de millions de chômeurs. Les petits
boulots tertiaires, les entreprises familiales, agricoles, commerciales,
voire industrielles, ont ainsi une utilité sociale et économique. Quand les
formes modernes de production les éliminent trop vite, le chômage prolifère.

 

Notre culte du progrès technique
et de la rationalité extrême nous joue des tours. On s’aperçoit que la
robotisation de la production d’automobiles n’est pas fatalement rentable.
Ayant débuté dans une période où les entreprises ne croyaient pas à la
croissance, l’ultra-modernisation a surtout consisté à abaisser le point
mort, à rendre plus rentables et plus flexibles des séries de production
plus faibles. Les à produire plus au moindre coût, mais à réaliser des
profits avec des productions moindres et plus variées.,De ce point de vue,
l’évolution de l’industrie automobile est exemplaire. L’investissement de
productivité n’a perdu sa prépondérance sur les investissements de capacité
qu’entre 1988 et 1990.

 

Malheureusement, moderniser une
économie, ce n’est pas chercher seulement à rendre des entreprises plus
rentables, c’est aussi modifier une structure productive. Il ne s’agit pas
simplement de fabriquer avec plus d’efficacité ce que l’on fabrique déjà; il
faut aussi créer les capacités correspondant à ce qui va être plus demandé.
Quand, en outre, on abandonne une partie des capacités existantes pour ne
conserver que ce qui peut être rentabilisé en basse conjoncture, le réveil
peut être désagréable. La reprise de la croissance a fait bondir les
importations des biens d’équipements dont nous étions déjà déficitaires. Les
goulots d’étranglement ont touché plus vite les entreprises françaises que
celles de ses concurrents. Elles n’ont pas profité, autant que faire se
peut, des marchés d’exportation qui s’offraient à nous.

 

Moderniser et le reste vous sera
donné par surcroît n’était pas une bonne idée…

 

 

Par Jean-Marie ALBERTINI
(Directeur de recherches au
CNRS)

SCIENCE & VIE ECONOMIE N°76 –
Octobre 1991

 

 

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Webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies -26/04/2004 à
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