Sans aucun doute, le document est l’un des plus important présenté lors de
ce forum sur l’investissement et l’emploi, organisé dernièrement par
l’UTICA. En 16 pages, le document traite du financement de
l’entreprise en Tunisie. Un document à plus
d’un titre intéressant. Intéressant d’abord, parce qu’il rappelle que ce
patronat, qui pèse plusieurs centaines de millions de dinars, au
moins en engagements bancaires, traîne encore la problématique du
financement.
Intéressant ensuite, car le contenu de ce document rappellerait une
récente réunion entre hommes d’affaires et la BCT.
Le
document de l’UTICA (Union
Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat) fait en effet un scanner, certes très rapide, des différents compartiments
du marché financier et des différentes étapes de la création de
l’entreprise, du code d’investissement au plan de mise à niveau, qui sera le
seul à être encensé par ce rapport du patronat. Il contiendra des
propositions, des idées et c’est à ce propos, qu’on rencontrera
fréquemment les mots «exonération, dégrèvement et fiscalité» !
A part cela, rien n’échappera aux critiques des hommes d’affaires. Le
document est en effet une attaque en règle contre le secteur bancaire. Ce
dernier est décrit comme la cause de tous les maux de l’entreprise et il est
traité de tous les noms. On retrouve ainsi dans ce document, des expressions
comme «attitude gourmande (…) et laxiste», «manque de compétitivité», «frilosité (…) réticence», «des banques mal outillées», «lenteur,
bureaucratie, pouvoir d’engagement limité, peu de respect de l’orthodoxie
financière».
Les banques de tous les «malheurs» des entreprises
Analysant le système de financement des entreprises et de ses
différents compartiments (banques, SICAR, marché financier etc…), l’UTICA
estime qu’il est relativement complet et sophistiqué, du point de vue
institutionnel, mais qu’il reste dominé par les banques de dépôt et qu’il
est caractérisé par le manque de canaux de fonds propres et de capitaux
long terme.
On apprend tout de même que le ratio des dettes financières nettes sur fonds
propres, des entreprises industrielles, s’accroît fortement et passe de 18%
en 2001 à plus de 45.3% en 2003 et que l’ensemble des dettes d’exploitation
(court terme) passe, la même année de 41.9% à 65.4% ! Il ajoute, que la part
des flux MLT, chez l’entreprise Tunisienne, a considérablement baissé à
partir de 1997; de 25% au début des années 90 elle chutait à seulement
20%. Et s’il avoue, tout de même, que les grands groupes privés ont mis à
contribution ces banques, dans le financement de leurs investissements «en
jouant de l’importance de la relation d’affaire globale»,
il ne fait aucunement
mention du fait que cela pourrait expliquer leurs structures financières
dominées par l’endettement à court terme, en particulier.
Le
recours aux crédits d’exploitations, plus faciles à obtenir,
explique probablement, leurs dérives et, comme le fait remarquer le document de l’UTICA, «ce
dévoiement, reflète la faiblesse des fonds propres des entreprises
Tunisiennes». Plutôt que d’analyser les tenants et les aboutissants de ce
manque (ne pourrait-on pas aussi dire le refus d’y avoir recours ?) de fonds
propres, le document rapporte cela à la responsabilité des banques. «Quant au processus d’étude, d’octroi et de déblocage des crédits par les
banques il se caractérise par sa lenteur et un côté administratif, voir
bureaucratique, prononcé. La décision de crédit elle-même reste fortement
centralisée avec une délégation du pouvoir d’engagement qui reste limitée.»
Plus bizarrement encore, l’UTICA dénonce ce qu’elle appelle «l’attitude des
banques, gourmandes de financements courts car plus faciles à mettre en
place et plus rémunérateurs, mais également (les banques) laxistes quant au
souci d’assurer l’équilibre financier des entreprises » ! Le document s’en
prend, également, à la libéralisation du secteur bancaire qui avait entraîné la
disparition du ratio global de financement du développement qui obligeait
les banques à y consacrer 18% de leurs ressources moyen terme ! Il en
viendrait même à « regretter » la décision de transformation des banques de
développement en banques universelles ! Les premières doivent pourtant leurs
déroutes, en matière de crédits accrochés, à ces mêmes entreprises qui
semblent maintenant en faire l’apologie !
Ni
autocritique, ni
mea-culpa !
Comme l’on pouvait aussi s’y attendre, le document de l’UTICA évoque la
sempiternelle question des garanties réelles, une exigence «de nature à
pénaliser les entreprises véritablement performantes et transparentes»,
estime le patronat qui se demande même «pourquoi
donner autant d’importance aux garanties, qui ne sont pas mises en œuvre
alors que les créances classées sont si importantes ?» Que
dirait alors ce même patronat, si les banques se mettaient à vendre ces
garanties et que les procédures judiciaires devenaient tellement plus
flexibles et plus rapides ?
Le patronat propose, tout de même, de faciliter l’accès des entreprises aux
crédit court terme, et «dans des conditions moins contraignantes et sur
la base de leurs états financiers». Notons que, comme le démontre le
comportement des entreprises qui font appel public à l’épargne pourtant
obligées par la loi, peu d’entreprises sont amatrices de l’information
financière. Très peu d’entre elles ont publié des comptes consolidés, ainsi
que le tollé soulevé par la sortie de la liste des 127, ne plaident pas en
faveur d’une image d’un chef d’entreprise qui donne aisément l’information,
toute l’information et assez d’informations même à son banquier ou même dans
certains cas à son propre commissaire aux comptes.
Tout dans ce document, semble être bâtit autour de la culpabilisation des
banques. Celles-ci n’étaient pas invitées (à part la Biat dont le président
du directoire a été invité en tant que président de l’IACE) à la réunion. A
aucun moment, le patronat n’a essayé de faire son autocritique dans la
gestion du dossier du financement des investissements et la gestion des
crédits que leur octroie le secteur bancaire. A aucun moment, non plus, le
document n’a essayé de faire un « mea culpa » des hommes d’affaires dans
leur persistance à préférer le crédit bancaire, dont ils se plaignent, au
financement par le marché financier. Y a-t-il derrière cela la peur de la
transparence? Le document de l’UTICA ne le dit pas. Jamais le document
n’évoquera, non plus, la «fâcheuse» question des crédits accrochés ou
carbonisés et qui entament, par le volume des provisions qu’ils nécessitent, la
rentabilité des banques. Peu d’hommes d’affaires respectent les ratios
d’auto financement !
N’est-il pas temps aussi que les hommes d’affaire y mettent un peu de leur
patrimoine propre, cessent de vouloir «faire feu de tout bois» et se
restructurent, comme le suggère d’ailleurs leur patronat ? « Le capital
est poltron et lâche » disait un homme d’affaires.Dans une interview à la
revue «L’Economiste Maghrébin», M.Hédi Djilani patron des patrons ne disait-il
pas que «le pire aujourd’hui, serait d’avoir peur d’investir. Je respecte
la prudence, mais il ne faut pas qu’elle soit excessive. Cette attitude
n’est pas celle d’un chef d’entreprise» ?
Quelque chose
plait-il ?
Pour le reste du paysage financier, le document du patronat trouve le marché
financier «jeune (…) et se développe très lentement» et à «l’impact très
limité» et le considère donc comme un «vecteur de financement marginal des
entreprises non financières».
Le jugement ne diffère pas trop pour ce qui concerne les structures des
sociétés de
capital risque. Le patronat trouve «la contribution des SICAR très faible
dans l’apport des fonds propres» et que les contraintes qui leurs sont
imposées «ne sont pas adaptées à la réalité de l’investissement en Tunisie». Et s’il n’y a que le programme de mise à niveau pour s’attirer les bonnes
grâces, tous les autres mécanismes de soutien à la création d’entreprises,
font l’objet de critiques. Le code des investissements aurait «partiellement négligé les grandes entreprises» et est jugé «bien complexe
et assez compliqué pour les investisseurs». Le document décèle même «une
incompatibilité entre l’esprit du code unique et la pléthore de textes
réglementaires».
Et le document de conclure que «la situation est la suivante : des banques
commerciales non impliquées dans les projets promus par des promoteurs
présentant de faibles garanties, des banques de développement en pleine
restructuration, des SICAR en pleine évolution et une réforme du fonds de
garantie qui reste à faire ses preuves. Les
solutions ne sont ni au niveau de la réglementation des avantages
ni au niveau de la gestion des fonds de concours mais au niveau de l’offre
de fonds. Fonds propres d’abord, et crédits bancaires ensuite.» Peut-on
être plus clair ?
Encore de l’argent
pour les entreprises
Sur les crédits, le document en a beaucoup parlé. Et si sa dernière partie
contient des propositions, c’est pour essayer de résoudre cette problématique des fonds propres.
Après avoir analysé et conclu que le manque de capitaux permanents constitue
le principal déséquilibre de la situation financière des entreprises
tunisiennes, le patronat propose, dans l’objectif de renforcer le haut de
bilan de ces entreprises, de mettre au point un mécanisme spécifique dont la
vocation est d’apporter des financements long terme. Et comme l’entreprise
tunisienne ne semble pas disposer, ni de moyens, courts ou longs termes
(qu’a-t-elle donc ?), le patronat propose la création d’un fonds de
restructuration financière. Ces moyens doivent être, bien sûr, d’origine
publique ou en provenance de bailleurs de fonds (donc des crédits étrangers
pris par l’Etat ou les banques !!). Il propose que ces fonds soient gérés
par les SICAR et conseille de bien choisir les institutions susceptibles de
bien gérer ces fonds !
Et si cela n’était pas possible, le patronat propose que l’Etat (toujours
lui) mette en place des lignes de refinancement des dettes des entreprises,
dans le sens d’une restructuration de leur dette actuelle. De telles lignes
existent, comme le souligne le document, mais il les trouve insuffisantes. Il demande plus et propose de mettre en pool des fonds
publics tunisiens, avec des lignes bilatérales et multilatérales.
Jamais à aucun moment, une possible participation du secteur privé n’a été
évoquée dans ce document ! Jamais à aucun moment, un appel au
secteur privé pour faire un effort en matière de remboursement des crédits
accrochés n’a été lancé, pour redonner au marché financier la possibilité de
refinancer l’investissement !
A ceux qui pourraient avoir l’idée de conseiller au secteur privé d’aller
vers la bourse pour y lever les fonds qui lui sont nécessaires, le patronat
rappelle le peu de profondeur du marché et demande d’assouplir les
conditions d’accès à la bourse (assurer la protection de l’épargne public
est légitime, mais attention aux contraintes excessives disent-ils), plus
d’avantages fiscaux (ce qui a été donné a montré son peu d’efficacité selon
le document de l’UTICA). Au final, que restera-t-il aux hommes d’affaires et
aux entreprises privées à faire ?