La prospective ne permet pas de prédire, mais seulement de clarifier les
idées sur l’avenir. Elle met en perspective les tendances lourdes. Tout son
art consiste à articuler un discours d’ensemble cohérent, intégrant les
paramètres technologiques, sociaux, financiers, politiques, spirituels…
Notre dernier ouvrage, 2100, récit du prochain siècle (1), est un essai de
prospective qui prend position. Il montre, par exemple, les risques
d’explosion sociale inhérents au processus d’exclusion économique et
d’implosion urbaine. Je ne dis pas pour autant qu’un scénario-catastrophe
soit inévitable, mais ses causes ne vont pas disparaître du jour au
lendemain. Nous voulons donner une vision d’ensemble qui permette aux
décisionnaires de régler progressivement la question.
Que pensez vous des prévisions économiques classiques ?
La prévision économique doit être aujourd’hui redéfinie car elle est basée
sur des instruments de mesure qui ne sont plus adaptés aux caractéristiques
de l’économie actuelle. Ainsi, la comptabilité nationale, fondée au
lendemain de la seconde guerre mondiale, au moment de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier, comptabilise essentiellement des flux
de matières, alors qu’aujourd’hui les flux d’informations
(télécommunications) sont plus déterminants. L’énergie n’est pas un bon
indicateur du niveau de vie. Par exemple, si je superpose la carte du
développement économique avec celle de la consommation d’énergie, l’URSS se
trouve au même niveau de développement que les Etats-Unis. L’équipement
téléphonique par habitant est, lui, représentatif du développement. D’autre
part, dans le tiers-monde, les systèmes de comptabilité nationale n’embrayent
absolument pas sur la réalité locale où l’économie souterraine finit par
devenir l’essentiel. On est donc tout à fait incapable de dire où en est
l’Afrique.
Va-t-on vers un retour de la planification ?
Avant de penser planification, il faudrait se livrer à un assainissement de
la bureaucratie économique afin d’obtenir des règles de fiabilité minimales.
Le Plan ne doit pas être un alibi.
En tout état de cause, je préfère la notion de projet à celle de
planification. Or, nous sortons d’une génération “no future” sans projet. Au
XVIIe siècle, nos ancêtres essayaient de répandre la notion de liberté et
des droits de l’homme dans toute l’Europe. Au XIXe siècle, avec le canal de
Suez et la colonisation (à ses débuts généreuse), ils développaient un
projet plus technique. Aujourd’hui, il faut faire de la “macro-ingénierie”
planétaire pour reprendre l’expression de Davidson, du Massachusetts
Institute of Technology, pour mettre la technique au service de l’homme et
non l’inverse. Je compte personnellement créer une Fondation 2100, vivier de
nouveaux projets, qui soit une antithèse constructive au Club de Rome.
______________
(1)
Payot, 1990
Thierry Gaudin dirige le
Centre de prospective et d’études du ministère de la Recherche et de la
Technologie
Propos recueillis par C A T H E R I N E L É v I
SCIENCE & VIE ECONOMIE N°76 –
Octobre 1991
(c)
Webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies -15/05/2004 à
13:30