«D’une
certaine manière, le Plan ne sert à rien. Mais, si on ne l’avait pas, on le
recréerait», lâche, lapidaire, François Lagrange, directeur général du
Crédit national et ancien commissaire adjoint au Plan de 1978 à 1981. Cette
formule résume toute l’ambiguïté du Plan. L’internationalisation et la
libéralisation de l’économie française lui ont volé son rôle de Cassandre,
mais il reste la seule institution qui réfléchit pour le gouvernement à des
échéances lointaines. «C’est rêver que de planifier globalement le budget
de l’Etat mais pas d’établir quelques politiques à long terme», estime
François Lagrange. Jacques Delors, qui a préfacé la réédition du livre de
Pierre Massé Le Plan ou l’antihasard (1) ne s’y est pas trompé : « La
reprise exceptionnelle des investissements privés en Europe depuis deux ans,
dépasse le simple mouvement conjoncturel; elle répond à l’exigence créée par
une référence stratégique de long terme : l’affichage de l’objectif 1992,
résultant d’une volonté délibérée et concertée de douze gouvernements et
douze parlements.»
Le système de planification à la
française repose sur le commissariat général au Plan, une structure de
coordination souple, sans pouvoir propre, ni fonds d’intervention, créée en
1946 et rattachée au premier ministre. Le Plan travaille sous forme de
commissions thématiques constituées intuitu personae, et réunissant les
représentants de tous les milieux économiques et sociaux. Mais l’action du
Plan ne prend véritablement son sens que dans le cadre de la trilogie
direction de la Prévision/Insee/commissariat au Plan. La direction de la
Prévision est maître d’oeuvre du court terme, le Plan, du moyen terme et
l’Insee est le prestataire de services des deux premiers. A charge pour le
commissariat au Plan d’élaborer le Plan, de conseiller le gouvernement dans
sa politique économique et de publier des analyses macroéconomiques ou de
grandes études sectorielles ou à thème comme le fameux Livre blanc sur les
retraites de Matignon.
DÉFINIR DES
CHOIX PRIORITAIRES
Référence stratégique de long
terme, voilà les ambitions du
Plan nouvelle vague. «Il ne s’agit plus, explique Pierre Yves
Cossé, l’ancien commissaire au Plan (qui vient d’être remplacé
à ce poste par André Gauron, ex conseiller spécial de Pierre Bérégovoy), d’identifier des objectifs très fragiles qui n’ont plus tellement de sens par rapport à l’environnement international, mais de définir des choix prioritaires.» Finalement, le Plan n’a pour survivre
d’autre choix que de devenir une source d’influence, un lieu de
réflexion stratégique “à l’américaine”. Le Xe Plan (1989 1992)
proclame d’ailleurs dans son préambule que «le Plan renonce aux
objectifs chiffrés et à une programmation budgétaire quantitative à
l’exception des contrats de Plan entre l’État et les régions.» Démission ? Non, simplement
«un organisme dont la vocation est de penser à cinq ou dix ans est forcément en porte à faux avec un horizon qui
rétrécit», estime Armand Lepas, directeur des affaires économiques générales au CNPF.
«Le Plan a la capacité d’entamer une réflexion prémonitoire et crédible,
souligne Armand Lepas. Ce qui compte, ce n’est pas d’être contraignant mais
de faire passer des messages aux décideurs politiques et privés.» Or, pour le
faire quand on n’a ni budget ni pouvoir exécutoire, il faut disposer d’une
forte influence politique. «Le Plan ne peut mener pleinement son rôle que
s’il est dirigé par des gens de très grande qualité, estime un habitué de la
maison. Mais aujourd’hui, les, fonctionnaires les plus brillants ne vont pas
au Plan.» Le gouvernement ne les y incite pas. Quel intérêt aurait il
d’ailleurs, dans une période incertaine, à annoncer des ambitions à cinq ans
en prenant le risque de se faire piéger politiquement ? Le commissariat au
Plan doit aussi veiller à ne pas se faire voler la vedette par les GEM
(groupes d’études et de mobilisation) lancés par Edith Cresson et
aujourd’hui propulsés sur la scène médiatique comme forces de proposition du
gouvernement. Sur le principe, les GEM n’ont rien à voir avec la
planification: ils travaillent vite, sur quelques mois, mais leur
composition, leur recherche du consensus ressemblent aux principes des
commissions du Plan. Et ils ont l’oreille du premier ministre. «C’est un
relais vers les partenaires de la société civile», explique Daniel Fourès-Laurent, secrétaire général des
GEM à Matignon. La création de GEM régionaux
à vocation généraliste devrait étendre leur influence. «Nous devons
apprendre à être complémentaires», reconnaît Pierre-Yves Cossé. «Le temps du
Plan ne correspond pas toujours au temps politique», note, perfidement, un
économiste.
ANNE TÉZENAS Du MONTCEL
SCIENCE & VIE ECONOMIE N°76 –
Octobre 1991
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(1) – Herman, 1991.
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