Fonds
De Hédi Mechri
Signe
des temps, la montée en puissance des fonds d’investissement. On connaît
leur niveau d’exigence, on sait aussi l’utilité de leur apport aux
entreprises en quête de fonds propres. Celui-ci compense largement celui-là.
Et pour cause!
L’argent
des banques coûte cher, même si, aujourd’hui, sous d’autres cieux, le loyer
de l’argent atteint des niveaux historiquement bas. Il est proche de zéro au
Japon, se situe dans les limites de 1% aux USA — ce qui n’est pas sans
rapport avec l’insolente reprise de l’économie. Dans ce concert de baisse
des taux, la BCE, en les ramenant à 2%, donne à penser qu’elle joue
davantage l’Euro que la reprise.
Cette
avalanche de baisse des loyers de l’argent n’a pas entamé le crédit de ces
fonds d’investissement dans ces zones, mais elle a, comme cela est
prévisible, valorisé de nouveaux sites et de nouveaux théâtres d’opération :
les pays émergents qui offrent des niveaux de rémunération conséquents
trouvent, dans ces conditions, grâce à leurs yeux. Opération mutuellement
avantageuse dès lors qu’il est beaucoup plus difficile et plus coûteux pour
ces pays d’attirer des capitaux étrangers.
Les
niveaux des taux d’intérêt pratiqués dans l’hémisphère nord font rêver nos
chefs d’entreprise qui naviguent dans des eaux plus agitées et plus
incertaines, avec des taux réels de plus de 5% quand leur propre rythme de
croissance peine à les atteindre. Rembourser dans ces conditions le
principal et le service de la dette relève du miracle… à moins de voir les
entreprises consommer leur propre capital.
Au fil
des années, le poids de la dette, au regard de la structure initiale du
financement, a fini par plomber les entreprises et les a privées d’énormes
marges de manœuvre. Leur dépendance à l’égard des banques est devenue si
importante qu’elle risquait d’affecter les rapports qui les caractérisent.
La bulle des crédits accumulés pesait sur les bilans des banques et les
perspectives de développement des entreprises.
L’émergence du marché financier avait, en son temps, suscité beaucoup
d’enthousiasme et l’espoir de voir la Bourse prendre le relais du système
bancaire. D’autant que le cadre législatif et le dispositif mis en place
étaient des plus incitatifs et des plus performants. Wall Street n’aurait
pas fait mieux…
La
vérité est qu’on a surestimé les motivations des chefs d’entreprise et leur
propension à s’ouvrir au grand public ainsi que la capacité d’absorption de
la Bourse, livrée aux seuls humeurs de spéculateurs attirés davantage par
l’appât du gain immédiat. L’absence d’institutionnels dotés de ressources
appréciables et stables a pesé lourd sur le jeu du marché boursier. Qui
pouvait dès lors réguler le marché et lui donner la profondeur qui doit être
la sienne? Il manqua le maillon essentiel pour faire décoller la Bourse et
la réconcilier définitivement avec les entreprises et les épargnants. Dans
ces conditions, quelques précautions qu’on ait pu prendre, cela n’empêche
pas les entreprises de perdre en crédibilité ce qu’elles gagnent en épargne
boursière, les intermédiaires financiers pour leur part seront dans
l’impossibilité d’assurer une stabilité et plus encore une valorisation des
cours qui sont aujourd’hui en deçà de leur valeur.
Les
fonds d’investissement ou du moins certains d’entre eux ont cet avantage
de ne pas ajouter au stress des entreprises sans qu’ils les exonèrent de
l’obligation de résultat et de transparence. Bien au contraire. Ces fonds
n’interviennent pas directement dans la gestion des entreprises dont ils
acquièrent une partie du capital, mais ils fixent les termes d’une nouvelle
donne de gouvernance. Pour autant, ces règles ne sont contraignantes qu’en
apparence. Car le choix des fonds d’investissement se porte pour l’essentiel
sur les entreprises qui possèdent ces vertus faites d’éthique, de rigueur et
de transparence sans quoi leur réussite n’en serait pas une. Ces fonds
interviennent de plusieurs manières selon leur nature propre, mais ils
poursuivent les mêmes objectifs et atterrissent toujours chez les
entreprises les plus performantes, celles qui sont dans une logique de
croissance, d’optimisation du profit et de valorisation des actifs.
Difficile d’atteindre de tels niveaux de performance sans que le management
ne soit imprégné d’une véritable culture de la transparence. Car derrière
chaque réussite, il y a une vision, des objectifs clairs et précis, une
stratégie appropriée et l’implication sans faille des compétences humaines.
Rien de tel ne peut se construire sur l’opacité. La transparence est ici la
règle. Les entreprises tunisiennes ont les moyens d’une telle stratégie.
Elles pourront de surcroît réduire le poids de leur endettement, de leur
charge financière et ouvriront la voie à l’entrée de capitaux étrangers
autrement que sous forme d’emprunt. Certes, les fonds d’investissement ont
une durée de vie limitée à 8-10 ans. Et pour les attirer, il faut leur
aménager les meilleures conditions de sortie. Mais quand bien même ils
quitteront une entreprise, ils le feraient au profit d’autres fonds
d’investissement. Et rien ne dit qu’ils vont quitter le pays dès lors que le
site tunisien conserve son attractivité et l’intérêt qu’il suscite auprès
des investisseurs étrangers.
Il
s’agit moins d’affirmations péremptoires que d’interrogations que suscite
forcément ce nouveau mode de financement dont il importe de connaître
pleinement les règles, les exigences et d’en mesurer les effets. Nos
conférenciers, financiers et banquiers au sommet de leur art, gestionnaires
de fonds et spécialistes au tempérament bien trempé se sont fait forts de
répondre à nos questions.
A
l’occasion, le ministre du Développement et de la Coopération
internationale, le gouverneur de la BCT et le président de l’Organisation
patronale ont, avec la vision, le sens de la clarté et le brio qu’on leur
connaît, intégré l’intervention des fonds d’investissement dans la
problématique globale de développement et des entreprises et du pays. On a
vite fait de savoir que le terrain est balisé; le cadre légal est en place
et les mécanismes d’accès et de sortie ont déjà fait leur preuve. On voyait
d’emblée la finalité d’un débat qui dessine de nouvelles pistes de
financement qui ne portent pas l’estampille de l’économie d’endettement. Ce
débat n’est jamais descendu de ses hauteurs grâce à la qualité des
intervenants. Sans doute aussi parce que Faouzi Belkahia, qui nous a fait
l’honneur de présider le forum, y a mis son empreinte et son style. Sa
maîtrise du sujet, son éloquence oratoire, son sens du verbe et sa capacité
de synthèse font que rien de ce qui a été dit n’ait été mis en valeur et en
… perspective.
(Source : L’Economiste maghrébin : N° 367 Quinzaine du 02/06/ 2004 au 16/06/
2004 )
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