Pas si loin de Shanghai, entre Delhi et Bombay, un deuxième géant économique
est en train de naître
Pour les analystes, les hommes d’affaires, les journalistes, les
spéculateurs et les rêveurs, il n’y encore qu’une seule nouvelle frontière,
un seul eldorado, la Chine, cet immense pays-continent, cette machine à
doper l’économie mondiale. La Chine, avec ses taux de croissance à deux
chiffres, ses villes futuristes, ses besoins énormes en matières premières
et en capitaux. La Chine avec ses centaines de millions de consommateurs
émergents… La Chine inquiétante, aussi, parce que nul ne sait au fond ce
qui se passe dans le monde rural, ni ce que deviendront les centaines de
millions de chômeurs victimes de la révolution économique. Nul ne sait si le
système financier tiendra et si le centralisme saura résister au pressions
régionales… Le spectacle de cette transformation à haut risque, la
naissance d’une grande puissance industrielle en moins d’une génération,
laisse presque sans voix.
Analystes, hommes d’affaires, journalistes, spéculateurs et rêveurs,
respirez fort. Une autre révolution, de la même ampleur, est en marche. Là,
de l’autre coté de la mer, se trouve un autre pays-continent, d’un milliard
d’habitants, à mi-chemin entre le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient. Une
nation mystique, complexe, violente et non-violente : l’Inde. L’Inde
étonnante, fédérale, multiethnique, où l’islam et l’hindouisme
s’entrechoquent depuis des siècles. L’Inde est, surtout, la plus grande
démocratie du monde. Depuis l’indépendance, malgré les crises, les
massacres, les guerres, les conflits religieux, elle n’a jamais renoncé à
cette liberté. La Chine, c’est Mao, Zhou Enlai, Deng Xiaoping, visages de
l’autoritarisme, parfois dévastateur, parfois éclairé. L’Inde, c’est le
Mahatma Gandhi, Jawaharlal Nehru, les figures de la non-violence, mais c’est
aussi le sang, le sang de Gandhi, justement, le sang d’Indira, le sang de
son fils Rajiv.
En Chine, l’immensité et la multitude sont gérées par la force, la
discipline et la répression. En Inde, c’est la libre expression, l’opinion,
parfois la confrontation qui permet de tenir le système. Combien de pays au
monde sont-il capables de faire triompher aux urnes une femme, d’origine
étrangère ? Cette Inde-là est une nation nucléaire, qui a la capacité de
mettre des satellites en orbites ; mais c’est aussi un pays immensément
pauvre, en retard justement sur l’ex-empire du Milieu. Pour une population
presque équivalente (à trois cents millions d’habitants près…), la Chine
est deux fois plus riche. En termes d’infrastructures, de technologie, de
téléphonie, Pékin a, au moins, dix ans d’avance sur Delhi. Longtemps
étouffée par l’État, et modèle autocentré de développement, l’économie
indienne commence tout juste à se mouvoir. Ce qui en dit long sur ses
possibilités de croissance. Près d’un citoyen sur deux vit dans la
précarité. Le monde rural vit comme au Moyen Âge. Des pans entiers de
l’industrie, longtemps surprotégée, doivent se moderniser. Mais le virage a
été pris. La nation- continent prépare son entrée dans l’ère industrielle.
Un deuxième géant démographique et économique est, sauf catastrophe
politique, en train de naître. Tout cela est impressionnant. D’autant plus
impressionnant que personne aujourd’hui ne mesure réellement l’impact
combiné de ces deux révolutions industrielles, en Chine et en Inde, sur
l’économie mondiale : prix des matières premières, coût de l’énergie,
concurrence des services, commerce, délocalisation, écologie, transport,
phénomènes migratoires, tout risque de bouger…