Le
28 mai dernier, le Conseil du Marché Financier (CMF) publie un communiqué,
qui représente une première à tous les niveaux. D’abord, parce qu’il est le premier
du genre depuis la création du marché financier et depuis la création même
du CMF. Elle constate qu’à l’occasion de l’examen des états
financiers, des résolutions des assemblées générales et des états des
mouvements de capitaux propres des sociétés admises à la cote de la bourse,
il a «relevé que certaines de ces sociétés ne procédaient pas à la
constatation de certaines charges devant grever le résultat de l’exercice et
les couvraient par des affectations du résultat ou par des prélèvements sur
les capitaux propres», indiquant à ce propos qu’il s’agit de réserves
constituées au cours de la même période ou au cours d’exercices
antérieurs.
Les banques en
première ligne !
Et le Conseil de préciser que «les
pratiques les plus couramment utilisées et particulièrement par les banques
semblent avoir pour but de combler partiellement ou totalement les
insuffisances de provisions requises, de servir des indemnités ou des
compléments de rémunération au personnel ou aux dirigeants».
«Il s’agit pour les banques, selon des experts financiers, et lorsqu’elles ont
une insuffisance de provision, de prélever l’insuffisance
directement sur un compte de réserve. Elles assurent ainsi la couverture de
l’insuffisance, mais faussent en même temps les données». La méthode est,
nous dit-on, «réglementaire sur le plan de la couverture du risque, mais
elle est contestée par le CMF car elle touche à la fiabilité de l’information et
peut impacter le résultat en le majorant, tout en débitant cette hausse des
réserves». En pratique, selon une autre source bancaire, «on prélève dans
la rubrique «autres réserves» qui sont des réserves déjà constituées, pour
provisionner et cela après avoir fait adopter les résultats provisoires par
l’AG et reçu le quitus pour la gestion. On diminue ainsi les fonds propres
tout en publiant des bénéfices.
Le Conseil précise ensuite que «cette manière de procéder, bien que pouvant
se justifier par des considérations sectorielles spécifiques, est de nature
à entraver la transparence requise du fait que le résultat affiché pour
l’exercice ne reflète pas la performance réelle et la rentabilité effective
de l’entreprise au cours de l’année concernée». Ceci est d’autant plus
préjudiciable que les analystes et les investisseurs se réfèrent à des
critères qui intègrent la performance et la valeur des capitaux propres
dégagées à partir des états financiers pour procéder aux comparaisons
nécessaires et prendre leurs décisions.
Ne voulant pas aller jusqu’à nommer les entreprises cotées ou les banques
suspectées, au risque de
faire planer le doute chez les opérateurs du marché et sur les épargnants, le Conseil
du Marché Financier «rappelle aux sociétés faisant appel public à
l’épargne recourant à cette pratique, l’obligation de respecter strictement
les règles de définition, de prise en compte ou constatation, de mesure et
de présentation de chacun des éléments des états financiers prescrites par
le système comptable“.
Le CMF se contente ensuite de rappeler que «toute divergence éventuelle entre
les solutions comptables retenues par l’entreprise et le système comptable
devant en tout état de cause être divulguée et son impact sur les éléments
concernés des états financiers explicité. Les commissaires aux comptes
auront à apprécier dans leur opinion, le respect de ces entreprises des
principes comptables généralement admis.»
Les «Pour»,
les «Contre» et ceux qui attendent pour voir !
Le communiqué est donc une première sur la scène financière et de la part du
CMF qui, même s’il ne va pas jusqu’à désigner directement les
«responsables», accuse directement les banques. Il accuse aussi, quoique indirectement, les
commissaires aux comptes de ce qu’on pourrait appeler une «complicité
passive».
Contacté, l’ordre des experts comptables condamne toute opération de ce
genre, met tout commissaire aux comptes qui aurait caché ou aidé à cacher de
telles pratiques devant ses responsabilités. M. Ahmed Belaïfa nous indique qu’
«une commission de contrôle de la qualité est actuellement en phase
d’étude de tous les bilans financiers des banques, pour déceler
d’éventuelles pratiques». La commission de sanction de l’Ordre prendrait
éventuellement alors la relève après le verdict du contrôle.
« Moi j’applaudis ce communiqué » commente de son côté M. Hamza Knani,
président de l’AIB qui ajoute que «ces pratiques existent et ce
communiqué corrige le tir». Puis et en réponse à notre question sur la
responsabilité des commissaires aux comptes, H. Knani précise que «le
communiqué se réfère à la réglementation et aux normes comptables et les
commissaires aux comptes, peuvent donc s’opposer à ces pratiques».
Les premiers concernés par ce communiqué, sont bien sûr les banques. Se
sentent-elles vraiment concernées et comment réagissent-elle à cette
position du CMF ?
Il resterait
alors, et si l’on en croit notre source professionnelle du secteur bancaire,
à discuter et à déterminer, si ces pratiques sont au standard des meilleures
pratiques financières ? D’autres professionnels, du secteur bancaire, nous
ont cependant remarqué que la BCT n’a pas le temps matériel d’étudier ces
comptes et en éplucher les pratiques. Pour notre part, nous croyons que la
légalité ou non de telles pratiques relèvent plutôt du domaine comptable et
que la banque centrale ne peut pas se substituer aux professionnels de
l’audit des comptes.
In fine, qui sont-elles ces banques ? Certains professionnels du marché
financier qui tiennent à l’anonymat, pointent du doigt les banques publiques
et quelques banques privées de la place. Mais on devra certainement attendre
le verdict de la commission de contrôle de l’Ordre des experts comptables !