Nous avons reçu de la part de M. Tahar JEBARI, grande figure du monde
informatique et des Technologies en Tunisie un article sur le haut débit et
la fracture numérique. Cet article porte sur des analyses développées à
l’occasion de tribunes ou lors de différentes autres manifestations ou
rencontres. L’article a, cependant, été déjà publié par un journal de la
place avec une signature différente de celle de M. JEBARI .
La
fracture numérique
La fracture numérique est la différence dans le niveau d’utilisation des
nouvelles technologies de l’information et de la communication qui sépare
les pays riches et les pays pauvres. Cette différence en elle-même n’aurait
pas pris l’importance qui lui a été donnée si d’autres domaines de la vie
n’en souffraient pas en conséquence. En effet éducation, culture, loisirs,
administration, industrie, recherche ; tous les domaines de la vie ne
peuvent être considérés aujourd’hui sans que l’outil informatique et les
TICs n’en fassent partie intégrante. Mieux encore, plus ces outils y sont
développés et plus ces domaines sont performants et efficaces.
Les TICS
évoluent vite, la fracture numérique aussi
Les Nouvelles technologies évoluent vite, très vite. Cette vitesse
d’évolution est dans leur nature même et touchera encore pendant longtemps
les télécommunications et l’informatique. Les télécommunications dans leurs
composantes ‘matériels’, ‘normes et de plus en plus ‘logiciels’;
l’informatique dans ses trois composantes ‘matériels’, ‘logiciels’ et
‘formats de fichiers’ (Textes, images, vidéo, son, …). Sans oublier
l’intégration des services offerts aux citoyens par le biais du même canal
de communication. Cette intégration devient de plus en plus possible grâce
au haut débit qui permet d’ores et déjà de véhiculer téléphone, Internet et
télévision; pour s’ouvrir bientôt au visiophone, à la visioconférence, à la
vidéosurveillance domestique et à la domotique en général, etc… Ce ne sont
là que quelques exemples et les applications ne seront bientôt limitées que
par les limites de l’imagination de l’homme.
Cette évolution des technologies, et son rythme effréné, se produit
quasi-exclusivement dans les pays industrialisés qui en sont l’origine, pays
essentiellement situés au nord, qui ont la capacité et les moyens du
renouvellement technologique rapide à grande échelle. Quand aux pays du sud,
déjà en proie à la fracture numérique par rapport à des technologies
aujourd’hui en voie d’abandon, seront-ils obligés de se résigner à la
fatalité et abandonner la partie ou saisiront-il l’opportunité de ces bonds
technologiques pour rattraper le retard enregistré.
L’explosion du haut
débit
Au démarrage des travaux préparatoires au Sommet Mondial de la Société de
l’Information, le haut débit était une affaire de professionnels et ne
concernait nullement les particuliers. Aujourd’hui, à peine deux ans après,
certains pays du nord sont déjà à des taux d’abonnements qui dépassent 80%
de leur population. En 2008 les études prévoient plus de 300 millions
d’abonnés au haut débit dans le monde. Il va bien sur sans dire que les pays
du sud ne seront concernés que par un nombre infiniment petit de ces acquis.
C’est alors que la fracture numérique deviendra nettement plus visible, plus
importante et plus difficile à combler. Elle ne touchera plus seulement les
populations mais aussi les états à travers leurs opérateurs de
télécommunication et les infrastructures dont ils sont responsables. En
effet le haut débit chez les particuliers n’est possible que si le coeur du
réseau, géré par les opérateurs, est mis à niveau et calibré en conséquence,
pour ne pas dire totalement renouvelé. Mais ceci est-il à la portée des pays
du sud et de leur population ? Auront-ils le souffle nécessaire au maintien
d’un rythme rapide de renouvellement technologique pendant les décennies à
venir.
Le haut débit
transformera les contenus
L’évolution des réseaux utilisés par les particuliers, à l’image de ce qui
s’est passé dans le domaine des ordinateurs, va transformer totalement la
nature et la qualité des contenus. Elle va aussi donner naissance à une
multitude de nouveaux services ‘grand public’ dont certains ont déjà
commencé à voir le jour. Citons à titre d’exemple la télévision sur l’ADSL.
Mais les plus significatifs seront ceux auxquels on ne pourra accéder que
par l’usage du réseau de données et de l’Internet.
Les contenus vont alors progressivement s’adapter aux vitesses offertes par
le haut débit, devenir volumineux et de grande qualité. Le multimédia, la
vidéo plein écran et de qualité deviendra réalité. L’enseignement interactif
en temps réel aussi. Beaucoup d’autres applications seront désormais
possibles et ceux qui viennent d’être citées ne sont que quelques exemples
limités.
Le haut débit rend
la fracture numérique multidimensionnelle
Hier la fracture numérique était liée à la limite des moyens en possession
des peuples des pays du sud et aux conséquence qu’elle entraîne en matière
de production de contenu par ces peuples. Le haut débit aggrave cette
fracture et lui donne une autre dimension : le renouvellement technologique
rapide au nord et les conséquences qu’il aura sur les contenus et leur
nature créera une barrière et un filtre de fait. Ce filtre empêchera, sans
l’interdire, l’accès à ces contenus à toute personne ne disposant pas de la
vitesse nécessaire pour les transférer ; c’est-à-dire la majorité des
peuples du sud.
Le haut débit et le
sommet mondial de la société de l’information
Compte tenu de cette nouvelle donne et ses conséquences à court terme, les
débats du somment seront-ils centrés sur tous les sujets et problèmes du
jour? Les recommandations ont-elles été appliquées pour tenir compte de
l’évolution rapide des technologies et de la capacité des peuples à les
adopter? Le financement de la fracture, important point de désaccord, est-il
encore possible? Ceux qui sont contre ne viennent-ils pas d’obtenir un
argument de plus pour s’y opposer? Il s’agit là de quelques interrogations
parmi d’autres qu’il est peut être nécessaire de se poser en toute
objectivité et avec le plus grand réalisme.
* Tahar JEBARI occupe actuellement le poste de directeur central chargé de
l’informatique à l’Office de l’aviation civile et des aéroports. Il a occupé
par le passé de hauts postes dans différents organismes. Il est également
président d’honneur de l’Association Tunisienne de l’Internet et du
Multimédia.