C’est
pour « oublier un peu les porcs » qu’elle élève à Bodilis (Finistère)
qu’Anne-Marie Picart a entouré de cyprès sa maison moderne, aligné des
plantes vertes dans sa salle à manger et mis de la dentelle aux fenêtres.
C’est pour « se donner le temps de vivre » qu’elle a acheté un ordinateur.
Voilà déjà
plusieurs années qu’on parle de l’ordinateur dans les exploitations
bretonnes devenues de véritables entreprises. Mme Picart a
été informée, dès 1978, par la chambre d’agriculture où elle a des
responsabilités, des mérites de la micro-informatique. Passionnée par les
chiffres de son exploitation, elle avait constaté qu’elle « n’avait pas de
méthodes de travail adaptée à ses besoins », malgré ses cours de
comptabilité. Elle ne se contenait pas de faire les comptes (en fin d’année
cela faisait tout de même 1800 lignes à additionner), mais s’intéressait
également à la gestion technique des activités de l’exploitation : élevage
de quatre-vingts truies, bovins, fourrages, céréales.
« Je calculais
pour chaque truie le nombre de porcelets mis bas chaque année, le prix des
aliments, le prix de vente des petits. Je faisais le même calcul pour
l’élevage tout entier, afin de comparer la rentabilité des mères. Voilà pour
une seule activité. » Chaque fois qu’elle voulait faire le point, elle était
obligée de « reprendre toutes ses écritures ».
Les informations sur la micro-informatique tombaient à pic : les Picart
avaient la sensation de maîtriser parfaitement leur outil technique, car ils
s’étaient équipés depuis plusieurs années, mais refusaient d’agrandir leur
exploitation. « Nous ne voulions pas faire toujours plus, mais faire mieux ;
améliorer notre rentabilité pour prendre le temps de vivre. »
Ils faisaient coup double puisque
l’achat d’un ordinateur répondait à cette
attente tout en leur permettant de jouer leur rôle de « cobayes », puisqu’ils testaient pour la chambre d’agriculture, donc pour leurs
confrères, un outil dont ils attendaient beaucoup.
Il avait tout d’abord été question de télématique
« pour informer les
agriculteurs dispersés dans la nature, reliés par le seul téléphone ». Mais
« le réseau et les banques de
données n’étaient pas au point » : une société de services informatique était
venue s’installer dans le Finistère avec, pour objectif, d’équiper les
P.M.E., nombreuses en Bretagne. Pourquoi ne pas en profiter ? Les
exploitations ressemblent aujourd’hui à de petites entreprises. Les techniciens ont donc travaillé avec
les agriculteurs venus leur exposer leurs préoccupations et ont établi des
programmes adaptés. « Il y a six modules : prévisions, comptabilité, contrôle
des activités, gestion technique, gestion permanente des stocks, fabrication
des aliments. »
L’ordinateur s’est installé, il y a quatre mois,
dans la mezzanine de la ferme. M. et Mme Picart l’ont eu deux mois à
l’essai. Cela leur a permis
d’apprendre à le manipuler, « l’esprit décontracté ».
Ils font peut-être exception, mais « ça a été facile ». « Le
plus important c’est de bien connaître ce qu’on demande à la machine et non le
fonctionnement technique de l’ordinateur. C’est sur le papier, avant
d’interroger l’ordinateur, qu’on risque de faire des erreurs. Il faut mettre
sa mémoire en ordre. Après, si on rajoute un zéro, par exemple, ou si on
fait une erreur de manipulation, l’ordinateur vous prévient.»
Mme Picart jongle aisément avec les mots. Elle parle de « porcs » et de
« modules », de « granulés » et de « banque de données », de « bovins » et de
« programmes conversationnels ». Elle a déjà économisé la moitié du temps
qu’elle passait à faire des calculs : Une demi -journée
par mois. Puis l’ordinateur l’informe immédiatement. « Si les performances
d’une truie baissent, par exemple, je le sais tout de suite. Auparavant j’aurais dû attende
des semaines. »
L’investissement n’est pas
jugé trop lourd : 48 000 F plus 7 500 F environ pour chaque programme, avec possibilité de faire un
emprunt ou de payer en plusieurs fois. Le coût de la
maintenance – 5 % à 7 % du prix de la machine – peut être allégé. « Nous ne nous
servirons pas
de l’ordinateur tous les jours. Le service peut être bihebdomadaire par
exemple. »
Aujourd’hui,
l’ordinateur fait partie de la famille. Mme Picart a laissé pour son mari, qui
« aura désormais le temps de faire lui-même la comptabilité », un mode d’emploi
sur la machine.
Les enfants n’ont pas épuisé les joies des disquettes de jeux livrées avec
l’ordinateur ; l’aîné
(treize ans) va faire avec sa mère un stage de programmation pour pouvoir mettre la
documentation personnelle de Mme Picart sur ordinateur. Les
voisins agriculteurs viennent voir :
ils songe à en acheter un à plusieurs « Comme nous avons fait il y a quelques
années pour les
machines à calculer ».
(Source :
Supplément Le Monde : La Micro Informatique – Septembre 1983)