Dans tous les
pays développés, la micro-informatique commence à envahir les foyers. New
York en donne de bons exemples.
AUX
Nations unies, à New York, à 1 heure de l’après-midi, le Big Apple Users
Group est réuni : les utilisateurs d’ordinateurs Apple de la Grosse Pomme,
suivant le surnom affectueux attribué à New-York par ses habitants. Un
spécialiste des jeux vidéo, Bill Bates, est venu faire un exposé sur les
mille et une façons d’utiliser son ordinateur pour jouer. « Bien que,
dit il, les jeux soient précisément ce à quoi votre machine n’est pas censée
servir. »
Avec près de
deux cents adhérents, le Club des mordus de l’ordinateur est le plus
populaire de l’ONU, après celui des skieurs. Infamants ou pas, les jeux
occupent 1% du temps que les Américains passent avec leurs machines. Les
mauvaises langues assurent que l’un des objectifs des adhérents de certains
clubs est le « piratage » des programmes de jeux, qui coûtent en moyenne de
20 à 30 dollars et qui passent très vite de mode.
Mais le propos
de Bill Bates est de familiariser son auditoire avec un engin qui n’est pas
encore tout à fait passé dans les moeurs, de démythifier une technologie en
évolution permanente et de faire connaître un nouveau type de jeux
spectacles qui, selon mon voisin, est « à mi-chemin du rock and roll et de
la bande dessinée »…
Les Dressner –
Ira, Liana et leurs deux garçons, Phillip, quinze ans, et Andrew, douze ans
– font partie des quatre millions de familles américaines, possesseurs
heureux d’un ordinateur. Ils occupent, à Brooklyn, le premier étage d’une
petite maison en brique et pierre comme il y en a des centaines dans ce
paisible quartier fleuri de la banlieue de New-York.
Ira Dressner a
trente-cinq ans. S’il parle bien français, comme son fils aîné, Phillip,
c’est parce que, avec sa première femme, il a passé deux ans à Paris, au
début des années 70, pour y suivre des cours dé science politique. Depuis,
il s’est remarié avec Liane, qui travaille pour une firme d’agents de change
à Wall-Street, et qui a monté une affaire d’équipements de magasins de
prêt-à-porter à Manhattan.
L’envie
d’acheter un ordinateur est venue, il y a deux ans aux Dressner : surtout,
au début, parce que la technologie les amusait. Ils avouent avoir « embêté
tous leurs amis et leur famille » avec ce projet. Leurs parents étaient
particulièrement réticents, trouvant absurde de dépenser autant d’argent
pour ce qu’ils considéraient comme une « fantaisie ».
Ira et Liana ont
ensuite passé près d’un an à faire leur choix : pas question; en effet,
d’aller dans un magasin de détail pour se faire patiemment expliquer par un
vendeur qualifié le pour et le contre de tel ou tel modèle : les détaillants
américains ne sont, le plus souvent, que des sortes de stands d’exposition,
où un personnel distrait répond à vos questions en vous tendant une brochure
plus ou moins inintelligible.
Il faut donc
faire le tour des « centres d’expérimentation » mis en place à travers toute
la ville pat les fabricants. Il faut interroger les usagers, se plonger dans
la lecture des magazines spécialisés, aller écouter les membres des divers
clubs d’utilisateurs.
Au bout d’un an
d’exploration les Dressner se sent décidés pour un Apple II, qu’ils ont payé
1 700 dollars (il n’en vaut plus aujourd’hui que 800). Ils y ont ajouté une
imprimante pour 500 autres dollars, une Smith-Corona équipée de beaux
caractères cursifs, dont ils se servent maintenant pour faire leur courrier.
L’Apple II est
installé dans un petite pièce qui donne directement dans le livin- room. Les
Dressner lui ont adjoint un second écran. Ils ont aussi acheté un
haut-parleur pour « Sam
», la voix synthétique – quelque peu sépulcrale
– qui peut prononcer les phrases imprimées sur l’écran.
L’ordinateur est
maintenant tout a fait intégré à la vie familiale des Dressner. Ira et les
garçons confessent qu’ils passent un peu trop de temps avec les jeux dont
ils possèdent quelque quarante exemples. Démonstration avec « chop lifter »
(l’hélicoptère doit tenter de sauver un homme menacé par des chars) : la
petite manette, le ” joy stick “, permet un maintenant plus subtil que le
clavier des figurines qui s’agitent sur l’écran. Liana n’aime pas ces jeux –
presque toujours guerriers – qui, dit-elle, dérivent de la guerre du
Vietnam. Ira acquiesce, mais s’amuse bien quand même. …
L’Apple II est
aussi relié par téléphone avec un service spécial de la Citibank qui donne,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les cours de la Bourse, l’état de
votre compte en banque et les dernières informations sur le monde des
affaires : 10 dollars par mois.
Liana utilise
surtout l’Apple II pour écrire ses rapports et garder un certain nombre
d’informations en archives. Ira y entre les documents concernant la gestion
familiale.
Un nouveau membre de la famille
Pillip,
qui envisage de devenir programmeur, a suivi, au lycée, un cours spécial de
langage pour ordinateur et va, à la rentrée, commencer à s’initier à la
technologies des machines.
Andrew, lui,
veut devenir architecte. Il a la passion des pièces détachées et passe des
heures à « construire » des jeux sur Apple II. Comme il a quelques problèmes
avec l’orthographe, Ira lui a acheté un programme, « mots magiques », qui en
contient quatorze mille. Andrew apprend aussi l’hébreu avec Apple II : comme
la réponse à une question se fait attendre, une phrase d’excuses apparaît
sur l’écran : très poli, Apple II …
Apple II
trouble-t-il la via familiale ? Pas du tout, assurent Ira et Liana : il
fournit même une bonne alternative à la télévision … Evidemment, les
garçons ne lisent pas beaucoup. Mais ils ne lisaient pas plus avant : «
C’est le problème de leur génération », soupirent les parents qui, eux, sont
des lecteurs passionnés.
Entre le poisson
rouge et le philodendron, l’Apple II est apparement devenu un nouveau membre
de la famille.
(Source :
Supplément Le Monde : La Micro Informatique – Septembre 1983)