La Revue de l’Entreprise: Les sondages n’ont jamais été autant utilisés
qu’aujourd’hui dans des domaines aussi variés que la grande consommation,
les prévisions électorales ou la mesure de l’impact des publicités…
Toutefois, les méthodes et les instruments de cette technique restent
souvent méconnus, voire contestés. En tant que spécialiste du sondage,
voulez-vous présenter à nos lecteurs les méthodes et les instruments que
votre Agence utilise dans ses enquêtes ?
Hassen
Zargouni: SIGMA est spécialisée dans les enquêtes par sondage. Son
fondateur, diplômé de l’Ecole Nationale de la Statistique et de
l’Administration Economique à Paris, en 1991, après avoir été dans les
classes préparatoires scientifiques (Mathématiques supérieures et
spéciales), a consolidé ses connaissances académiques par un Mastère
spécialisé en pratiques et techniques des sondages.
A ce titre, il a
plusieurs publications dans des revues scientifiques dans ce domaine. Ses
travaux en France d’abord, et dans la zone Maghreb ensuite, pour des clients
aussi exigeants que les multinationales de la grande consommation ou encore
pour des organismes supranationaux telles que la Banque Mondiale et l’Union
européenne dans le domaine des sondage et ce, depuis plus de douze ans, lui
confère le statut d’Expert en techniques de sondage et des traitement
statistiques y afférents.
Pour revenir à
votre question, je voudrais, de prime abord, préciser que les enquêtes par
sondage sont de deux sortes: d’une part, les sondages probabilistes, auquel
cas, il faudrait disposer d’une base de sondage (une liste des individus de
la population de référence) et opérer une technique aléatoire de sélection;
et d’autre part, les sondages par quota supposant a priori la connaissance
de la répartition de la population selon certains critères et la sélection
d’un échantillon, une sorte de population mère en miniature, conformément
aux critères pré-établis.
Pour les
enquêtes lourdes (au-delà de 3000 individus selon la théorie), il vaut mieux
utiliser la première technique, c’est-à-dire celle des sondages
probabilistes. En revanche, pour des échantillons de l’ordre de 1000
individus, c’est la méthode des quotas qui est privilégiée pour des raisons
évidentes de coûts, mais aussi en raison du fait que le risque d’erreur est
limité.
A propos
d’erreur, il faut savoir qu’en matière de sondage, il en existe deux types:
les erreurs d’échantillonnage ou précision et les biais d’observation. Les
dernières sont plutôt délicates dans la mesure où il serait difficile de les
redresser (comme enquêter sur notoriété d’une marque auprès d’un échantillon
d’individus qui sont en train de la consommer! on obtient forcément 100% de
taux de notoriété). En revanche, on peut agir directement sur les erreurs
d’échantillonnage en augmentant la taille de l’échantillon ou encore en
stratifiant selon les variables les plus corrélées avec la problématique
posée. C’est ce qu’on fait quand on utilise des quotas sur les CSP
(catégories socio-professionnelles), les tranches d’âge et le genre (homme/
femme).
SIGMA adapte la
technique de sondage à utiliser en fonction de la problématique posée et la
dimension de la recherche à effectuer. Ainsi, en concertation avec ses
partenaires (ses clients) et après analyse des contraintes budgétaires et de
faisabilité des enquêtes (la période, le lieu, etc.…) SIGMA propose la
méthodologie qui allie le respect de l’impératif de la significativité
statistique et les contraintes matérielles. Il s’agit toujours d’un
compromis. Quant à la collecte des données, SIGMA utilise, pour les enquêtes
en «B to C» exclusivement l’approche du face-à-face, le Tunisien n’étant pas
encore à l’aise si on l’interpelle au téléphone. Selon les objectifs de
l’enquête, le lieu de l’entretien pourrait être le foyer (enquêtes sur les
audiences TV), dans la rue (études du taux de satisfaction d’un produit ou
d’un service par exemple) ou encore sur le lieu de travail (commerçants,
artisans…). Pour les enquêtes que SIGMA réalise auprès d’échantillons
d’entreprises, la palette est plus large: le moyen utilisé pourrait être le
courrier, la télécopie, le téléphone et le face-à-face.
La Revue de l’Entreprise:
Quelles sont les caractéristiques techniques des différentes étapes de cette
démarche, passage obligé de la mise en oeuvre d’études de marché ou de
sondages d’opinion ou de comportement ?
Hassen Zargouni: Une enquête-te par sondage peut avoir plusieurs
objectifs. Cela dépend essentiellement de la maturité du projet ou du cycle
de vie d’un produit ou du service à étudier. Quoi qu’il en soit, il existe
un ordonnancement des tâches (souvent critiques) à respecter pour réussir la
collecte de l’information par échantillonnage:
Etape n° 1
: Il s’agit de réunir un maximum de données connues a priori sur le
phénomène à étudier, telles que des études antérieures ou encore des données
de cadrage.
Etape n° 2
: Cette étape consiste à choisir la technique d’enquête à adopter selon
la qualité et la quantité des données collectées au cours de la première
étape. Si on dispose de la base de sondage avec une liste exhaustive des
individus constituant la population de référence, il faudrait, dans ce cas,
s’orienter vers un sondage probabiliste. Celui-ci pourrait être à plusieurs
degrés, stratifié, par grappe, avec ou sans redressement a posteriori, etc.…
Par contre, si on ne dispose pas de cette fameuse liste (c’est le cas le
plus fréquent), on s’oriente naturellement vers les méthodes empiriques dont
la plus connue est celle des quotas.
Etape n° 3
: A ce stade, il faut fixer la taille de l’échantillon en fonction du
budget disponible, mais surtout en fonction du niveau d’erreur
d’échantillonnage toléré. Ainsi, pour un sondage aléatoire, simple, non
stratifié, avec un échantillon de 900 individus, si pour un phénomène mesuré
(taux de satisfaction d’un service par exemple), on obtient 50%, l’erreur
d’échantillonnage (ou précision) sera de l’ordre de 3,3% (autrement dit, à
95% de chances, la valeur visée est comprise entre 46,7 à 53,3%: c’est
l’intervalle de confiance). En revanche, si la mesure du phénomène obtenu
après collecte de l’information dans l’échantillon est de 10%, l’erreur
d’échantillonnage ne sera que de 2% (intervalle de confiance de 8 à 12%).
Bien entendu, plus on dispose d’informations a priori qui nous permettent de
stratifier la population selon des critères liés au phénomène à mesurer,
plus cette précision s’améliore et l’on obtient des résultats probants.
C’est là où réside tout le métier du statisticien praticien. Il s’agit de
l’ingénierie des sondages qui nécessite des connaissances mathématiques
assez poussées, mais aussi et surtout beaucoup d’expérience dans ce domaine.
Etape n° 4
: Il s’agit d’organiser et de réaliser les travaux de terrain et de
reporting: formation des enquêteurs, superviseurs, pré-test des
questionnaires ou formulaires à remplir sur des échantillons réduits,
administration des questionnaires, data processing et reporting statistique.
La Revue de l’Entreprise: Certains prétendent
que nous n’avons pas encore, en Tunisie, des spécialistes du sondage. Qu’en
pensez-vous?
Hassen Zargouni: Pour répondre à cette question, je vais me permettre
de citer mon propre cas. Après une bonne scolarité dans le secondaire, j’ai
été choisi parmi d’autres élèves de ma promotion (bac maths 1985) pour faire
les classes préparatoires dans les lycées français, où j’ai pu obtenir le
concours de la plus grande école en France et parmi les meilleures d’Europe
pour former des statisticiens: l’Ecole Nationale de la Statistique et de
l’Administration Economique où j’ai eu comme professeurs des Messieurs comme
Eric Renault, Michel Deville ou encore Jean-Marie Gros-bras, qui font partie
des meilleurs théoriciens des statistiques mathématiques appliquées aux
sondages à l’échelle mondiale.
Avec une
expérience en France qui a duré trois ans dans le domaine des enquêtes par
sondage appliquées à la modélisation marketing et une expérience de près de
dix ans en Tunisie, en Algérie et au Maroc en la matière, cela nous permet,
aujourd’hui, de nous considérer comme étant expert en enquêtes par sondage.
Rappelons, par
ailleurs, que nous réalisons des missions pour l’Union européenne, pour la
Banque Mondiale et certaines missions ont eu comme terrain des pays comme la
France (pour le compte de EDF/GDF et France Télécom pour ne citer que ces
deux cas).
Cet exemple est
érigé afin de monter que des spécialistes du sondage en Tunisie, il y en a.
Le problème provient du fait que certains sociologues, psychologues et
autres professionnels de métiers qui utilisent beaucoup les enquêtes par
sondage ont longtemps monopolisé ce secteur éminemment scientifique et
nécessitant des connaissances en mathématiques appliquées relativement
poussées; ce qui est assez rare encore dans notre pays.
La Revue de l’Entreprise: Quel est le profil du spécialiste du sondage?
Hassen
Zargouni: Le praticien des enquêtes par sondage devrait être formé, à la
base, à l’école mathématicienne. C’est une nécessité car il y a là les
garanties d’une démarche logique, scientifique et une rigueur intellectuelle
certaine. De plus, il devrait se spécialiser dans le domaine dans lequel
devraient être appliquées ses méthodes: enquêtes lourdes de type INS,
enquêtes dans le domaine du marketing et médias, enquêtes dans le domaine
agricole, etc.… Cela dit, il faut, à mon sens, un minimum de dix ans
d’expérience en la matière pour s’assurer d’une autonomie suffisante pour un
“sondagiste” au niveau des grands choix méthodologiques et opérationnels.
La Revue de l’Entreprise: Quelle est, selon vous, la place des études dans
le processus de marketing mis en place par nos entreprises?
Hassen
Zargouni: Les multinationales ont été les premières à faire appel à nos
services, suivies des grands groupes industriels et de services avec leur
pléthore d’entreprises. Les banques, les offices publics recourent de plus
en plus à ce type de technique d’aide à la décision marketing. A titre
d’exemple, en 2003 (la tendance se confirme en 2004), SIGMA a effectué une
dizaine de missions pour cinq banques de la place; ce qui dé note d’une
évolution des mentalités et une maturité de notre activité auprès de cette
catégorie de clientèle réputée très exigeante et qui ne consacrait pas,
jusqu’alors, des budgets suffisants pour la recherche marketing.
Il y a la démarche marketing, il y a des
principes dans la pratique du marketing… l’ensemble se nourrit
d’informations, de données concernant le client qu’il soit individuel,
entreprise ou même l’administration. Les enquêtes par sondage constituent le
pont qui relie les annonceurs, les producteurs, les prestataires de services
avec leurs clients. Une fois le pont établi, les messages, la communication
institutionnelle ou produit passe beaucoup mieux et le client se voit
valorisé parce qu’on a pris en compte ses préoccupations, ses besoins, ses
attentes. De son côté, l’entreprise trouve aussi son compte en ciblant mieux
ses produits et services vices et en optimisant ses budgets de
communication.
Cette cohérence
des plans d’action marketing et commercial orientés client est, aujourd’hui
plus que jamais, nécessaire à l’entreprises tunisienne dans un environnement
caractérisé par un consumérisme accru des classes moyennes et une offre de
plus en plus segmentée.
(Paru dans la revue de l’entreprise N°73
Septembre Octobre 2004)
14- 12 –
2004 :: 15:00
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