Nous sommes en 2005 et les ATV (accord sur les textiles et les vêtements,
anciens AMF) n’existent plus. Le 1er janvier de cette nouvelle année a mis
ainsi fin à plus de 40 ans de restrictions quantitatives sur les textiles et
les vêtements introduites en 1962 par le GATT, l’organisation devancière de
l’OMC. Les quotas qui ont réglementé, pendant plus de 40 ans les
importations européennes et donc les exportations des pays comme la Tunisie,
vers les marché européens, ont ainsi cessé d’exister au terme d’un accord
signé il y a plus de 10 ans.
L’importance de cette date, pour la Tunisie comme pour le reste des pays en
développements producteurs d’articles textiles, vient de plusieurs facteurs.
D’abord le fait que le secteur textile et habillement, représente à lui
seul, 6% du flux du commerce international. Dans ce flux, la Chine est déjà
le premier exportateur mondial d’habillement et accapare 28% du marché
planétaire, en croissance soutenue, puisque cette part ne représentait que
19% en 1995.
Ce nouveau coup d’accélérateur de la mondialisation au 1er janvier 2005,
devrait ainsi entraîner une gigantesque redistribution des cartes, sur les
échiquiers industriels, commerciaux et sociaux du secteur textile et
habillement. Les derniers calculs de l’OMC indiquent que la Chine devrait
contrôler, d’ici cinq années, 50% du marché de l’habillement aux USA (contre
16% aujourd’hui) et mettre la main sur 29% du marché européen. Sur le marché
de l’Union européenne, principal marché tunisien, la part de la Chine ne
dépassait pas les 18%.
Le premier des effets, de ce que certains n’hésitent pas à appeler le
«big-bang néo-libéral», sera social. Alors que le BIT (Bureau International
du Travail) prédit que le choc économique et social va être très important
dans les pays les plus pauvres, sans être en mesure d’en évaluer l’impact,
«30 millions d’emplois seront touchés dans le monde. Ils ne disparaîtront
pas numériquement, mais migreront de quelque 150 pays vers la Chine», a
pronostiqué le président de la fédération internationale des syndicats du
textile, Neil Kearney.
La Tunisie et le « big-bang » chinois
En Tunisie, le secteur du textile compte 2050 entreprises dont 80%, soit
1622, sont totalement exportatrices. Le secteur emploie 240.000 personnes,
soit prés de 48% de l’industrie manufacturière. Sur l’ensemble des
entreprises du secteur, 45% sont étrangères. La valeur ajoutée du secteur
évolue de 2,6% par an, depuis 1999. 91% des exportations tunisiennes sont
réalisées par le secteur de l’habillement, 96% des exportations nationales
se font avec l’Union Européenne où la Tunisie occupe actuellement la 5ème
position. C’est dire l’importance de cette échéance. Aucune étude n’est
cependant encore capable de quantifier l’impact du «big-bang» chinois. Il
faut dire qu’actuellement, aussi bien les chiffres de l’exportation du
commerce du textile, ne rendent pas les choses faciles. A un mois du
démantèlement des AMF et pour les 11 premiers mois 2004, les exportations
tunisiennes ont encore évolué de 15,8%. A l’intérieur, les exportations du secteur
textile et habillement ont augmenté de 4,4% et les revenus de cette
activités évoluent ainsi depuis 2002 au moins.
Il faut dire, que les entreprises tunisiennes, au moins certaines d’entre
elles, avaient déjà entamé leur mise à niveau qui s’est notamment traduite
par une montée en grade et une migration de la basse gamme où la Chine
lamine son principal facteur de concurrence qui était le coût de la main
d’œuvre et le prix, vers la moyenne et haute gamme. Selon les chiffres
officiels, sur les 2050 entreprises du secteur textile et habillement, 1.200
adhèrent au programme national de mise à niveau. C’est certainement
celles-là qui pourront passer de l’étape de la sous-traitance où le donneur
d’ordre apporte un modèle et un tissu pré découpé auquel il ne manquait que
le picage, à une situation où le donneur d’ordre apporterait un modèle, à charge pour l’industriel de faire son propre sourcing pour trouver
le tissu demandé, le découper, le coudre et assurer la finition. Il leur faudra
aussi travailler sur les petites séries, développer les collections propres,
travailler en flux tendu, bien réagir pour profiter de la proximité de ce
marché et des facilités de contact que donne la connaissance du langage et
de la culture européenne.
Pour les autres, il y a certes le PMN, l’API, le CETTEX et le PMI. Mais on
ne pourra certainement pas cacher longtemps, l’impact d’une probable
disparition de certaines d’entre elles. Il faudrait alors explorer les
possibilités d’une réorientation de quelques centaines de ces unités qui ne
sont même pas «bonnes» pour la mise à niveau, tant la taille des ateliers,
leur taux d’encadrement, la qualité de leur outil de production, leur
management et le coût de leur redressement seront prohibitifs !
Officiellement et professionnellement, on ne s’inquiète pas !
Officiellement, on ne veut pas donner l’impression de s’inquiéter outre
mesure des effets du démantèlement des ATV. L’agence de presse officielle
met en avant une étude faite par l’Institut tunisien d’économie quantitative
qui démontre que «le textile représente bien, 50% des exportations, mais
seulement 7% du PIB. Même une évolution négative du secteur, n’aura qu’un
impact limité sur le PIB avec une baisse ne dépassant pas le 1%. Les pertes
d’emplois toucheront principalement, les branches les plus faiblement
intégrées et les emplois les moins qualifiés» soutien l’étude.
La mise à jour de l’étude Gherzie n’a pas été distribuée et on ne sait rien
de ses nouvelles conclusions, les décision du CMR du 10 mars 2004 n’ont été
que partiellement appliquées, le Cepex aurait mis au point un spécial export
étalé sur 3 années et les professionnels ont essayé, lors d’un séminaire
organisé en juin 2004, de rallier les européens à leur cause et conclure un
accord de libre échange avec la Turquie. Le patronat du textile ne semble
donc pas non plus s’inquiéter outre mesure.
Il est cependant indéniable, qu’il est encore trop tôt pour savoir comment
les exportations et comment les entreprises et tout le secteur textile vont
évoluer dans ce nouvel environnement ouvert à la concurrence chinoise. Les
entreprises exportatrices travaillent encore avec les carnets de commandes
de 2004. Cela ne saurait être claire avant, au moins, les six premiers mois
de 2005. Un bilan exhaustif ne saurait être édifiant avant la fin la fin de
l’année 2005.
Il est vrai que certaines sources évoquent les mesures de sauvegarde,
prévues par l’OMC. Ces mesures prévoient, «dès lors qu’un pays estime que la
hausse des importations d’un autre pays porte préjudice à sa propre
industrie» d’évoquer cette clause pour limiter la progression de ces
importations à 7,5% par an jusqu’en 2008. Les USA ont déjà utilisé cette
clause à trois reprises depuis 2002. Il y a encore les accords de
libre-échange régionaux, comme par exemple la zone de libre échange arabe
qui devient effective à la même date du premier janvier 2005 et des sources
textiles Françaises qui réclament la création d’une zone méditerranéenne de
libre-échange entre l’Union Européenne, les pays du Maghreb et la Turquie.
Les français estiment que la Tunisie s’y est préparée
Dans un rapport, en date de décembre 2002 intitulé «Le textile habillement
dans les pays méditerranéens et d’Europe centrale : l’enjeu de la
compétitivité», le ministère français du commerce, estimait que «à quelques
exceptions prés, la Tunisie (et la Turquie) les pays de la région sont assez
peu préparés aux défis qu’ils devront affronter dans les années à venir».
Analysant ensuite les évolutions probables de la demande, le rapport
français estimait que «les donneurs d’ordre répartissent leurs achats entre
l’Asie qui offre des prix bas pour les séries longues et la périphérie
européenne qui permet une réponse rapide pour les séries courtes. Ils
n’abandonneront pas la région mais peuvent par contre modifier leur clé de
répartition. Les enquêtes menées auprès des distributeurs montrent qu’ils
donnent la préférence aux opérations de co-traitance”.
Le même rapport estime que « la réponse à ce défi consiste à remonter la
filière. L’analyse des investissements montre que les pays méditerranéens
s’y préparent davantage que les Peco. L’entrée d’investissements directs
étrangers peut accélérer ce mouvement si le «climat des affaires» s’améliore
et la Tunisie est le plus généreux en terme d’incitations ».
Selon le même rapport «la région constitue en effet un débouché important de
l’industrie textile européenne. La mise en œuvre de cette stratégie passe
par la libéralisation des échanges entre les pays méditerranéens et entre
les pays méditerranéens et les Peco. Les pays méditerranéens restent fermés
aux importations turques qui pourraient représenter une alternative aux
tissus asiatiques. Par son dernier accord avec la Turquie, la Tunisie fait
tomber un autre obstacle.
«La Tunisie, indique encore le ministère français du commerce, s’y est
préparée par son programme de mise à niveau et un projet d’aide à
l’exportation qui a préparé les entreprises à la concurrence internationale.
L’ouverture qui vient de commencer provoque un écrémage du secteur et la
fermeture des entreprises les moins performantes ».
Le rapport avertit ensuite que, «passer du rôle de sous-traitant à celui de
co-traitant exige des moyens financiers car, à production égale,
l’augmentation des besoins en fond de roulement multiplie par trois les
coûts. Cette évolution demande d’acquérir un savoir faire et de s’équiper
dans les technologies de l’information pour optimiser l’approvisionnement”.
La CNUCED optimiste, prévoit 40 milliards USD d’exportation
Les pays développés et les pays en développement peuvent retirer des gains
substantiels d´une libéralisation du commerce mondial des textiles et des
vêtements, mais ces gains seront compromis si de nouvelles barrières sont
élevées, prévient la CNUCED dans un document paru le 4 octobre 2004 et
consacré à l’analyse des conséquences de l´expiration de l’accord de l´OMC
sur les textiles et les vêtements (ATV).
Le document de la CNUCED rappelle que plusieurs études antérieures ont
estimé à 24 milliards de dollars par an, les gains d´efficacité et de
prospérité qui résulteraient de l´expiration de l’ATV pour les pays en
développement et à 40 milliards de dollars pour les recettes d’exportations
et le secteur des textiles et des vêtements pourrait employer 27 millions de
personnes. Les frais d´administration élevés du système douanier complexe
lié au régime de l’ATV seront également supprimés à mesure que les
contingents disparaîtront, ce qui engendrera des économies considérables
étant donné la taille du secteur.
La Cnuced estime aussi que les pays en développement ont un avantage
comparatif à faire valoir, et la demande de textiles et de vêtements devrait
croître régulièrement à mesure qu´augmenteront la population, les revenus et
le niveau de vie à l´échelle mondiale. Pour que l´expiration de l’ATV soit
bénéfique, la CNUCED souligne que des investissements considérables devront
être consentis, et ce même dans les pays pour lesquels on prévoit des gains
substantiels. D´autre part, estime la Cnuced, l’expiration de l’ATV, peut
fragiliser les PMA et les petits pays dont les exportations sont tributaires
des produits textiles. Ces pays devront être aidés, selon cet organisme
international, par des mesures commerciales volontaristes, consistant
notamment à améliorer l’accès préférentiel (gamme de produits visés et
couverture géographique) et à assouplir les conditions et les règles
d’origine. Des fonds de développement visant à aider ces pays à renforcer
leur offre et à se moderniser sur le plan technique devraient également être
prévus.