Les interminables procédures administratives sont un frein à la création
d’entreprises dans les pays en développement.
Leur simplification dorait la croissance de ceux qui en ont le plus
besoin. Notamment en Afrique.
Pour
enregistrer une société au Nigeria, un entrepreneur doit se soumettre à 21
formalités administratives, avec tout ce que cela suppose de perte de temps
et d’argent. Pour faire tourner cette affaire, il lui faut ensuite embaucher
et licencier, en fonction des résultats de l’entreprise. En cas de faillite,
il faut encore songer à déposer le bilan au plus vite et tenter de récupérer
son apport initial, si l’on est un investisseur.
L’Afrique, qui
aurait bien besoin d’attirer les investisseurs pour stimuler sa croissance,
est paradoxalement le continent sur lequel les privés rencontrent le plus
d’obstacles administratifs et législatifs à la création d’entreprises. C’est
ce qui ressort de l’enquête menée durant une année, et dont les données ont
été rassemblées dans un rapport commandé par la Banque mondiale et la
Société financière internationale (SFI), sa filiale chargée de promouvoir le
secteur privé dans les pays en développement (*).
Au vu de
l’environnement économique qui prévaut sur le continent, il est souvent
difficile pour un investisseur de créer une entreprise en toute légalité, le
secteur informel apparaissant comme bien plus rentable. Selon les experts de
la Banque mondiale, l’informel, qui représenterait jusqu’à 40 % de
l’économie des pays les plus pauvres, alimente un cercle vicieux : l’absence
de déclaration des revenus du travail se traduit par une faible assiette
fiscale et, par conséquent, conduit à l’impossibilité d’assurer un véritable
système d’assurance maladie, chômage ou vieillesse.
Simplifier les
procédures, réduire les coûts et les délais de création d’une entreprise,
faciliter la tâche aux entrepreneurs constituent autant de mesures efficaces
et vitales pour tout État souhaitant attirer des investisseurs. Le rapport
de la Banque mondiale a étudié 145 pays. Sur les 58 qui ont engagé récemment
des réformes de fond du cadre réglementaire, 8 seulement sont situés sur le
continent africain. Mais les rares chefs d’État ou de gouvernement à avoir
pris ce risque ont récolté des bénéfices immédiats.
Par exemple,
entre 2003 et 2004, l’Éthiopie a abaissé de 8 à 7 le nombre de procédures
administratives préalables à la création d’entreprise. Les opérateurs ont
fait l’économie de huit jours et de près de 80% de charges administratives.
Résultat : le taux d’enregistrement des nouvelles sociétés a augmenté de
près de 50 %.
En matière
d’environnement économique et de réglementation administrative, peu de pays
sortent du lot. Le Botswana, classé dans les vingt premiers pays pour
l’indice de la réglementation des affaires, fait partie de ces heureux élus.
L’Afrique du Sud et la Tunisie ont également aménagé leur environnement pour
créer ou entretenir un climat favorable aux investissements.
Dans
l’ensemble, l’examen des différentes situations révèle toutefois une
dégradation globale de l’environnement. Au Zimbabwe, les frais de licence
ont été multipliés par quatre ; au Malawi, au Rwanda et en Mauritanie,
l’augmentation des taxes et le coût des nouvelles obligations
administratives ont rendu plus difficile encore la création de sociétés. À
tout cela s’ajoutent le manque d’attractivité commerciale et l’insuffisance
de stabilité politique dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire.
Parmi les
vingt derniers États classés en fonction de l’indice de la réglementation
des affaires figurent seize pays d’Afrique subsaharienne, notamment la
République démocratique du Congo, l’Angola, le Burkina, ainsi que le Tchad,
qui apparaît en queue de peloton.
Quelques chefs
d’État africains ont décidé, l’an dernier, de libéraliser leur environnement
économique et d’alléger les dispositifs administratifs en vue d’attirer les
investisseurs. C’est le cas du Sénégal où, s’inspirant de structures
existant en Afrique anglophone, le président Abdoulaye Wade a créé, en 2002,
un Conseil présidentiel de l’investissement, sorte de forum de discussion
entre les chefs d’entreprise et la présidence de la République. Le président
malien Amadou Toumani Touré s’est, lui aussi, engagé sur cette voie en 2004.
RÉDUIRE LE
NOMBRE DE PROCÉDURES, accélérer les modalités d’enregistrement, diminuer
leurs coûts et, surtout, restreindre le montant du capital de départ de la
société… Autant de solutions préconisées par le rapport de la Banque
mondiale pour motiver les investisseurs étrangers ou locaux dans un pays.
Pour l’instant, les procédures de création d’une entreprise sont encore trop
lentes et trop coûteuses pour être attractives. Au Nigeria, on fa vu,
l’investisseur devra donc se soumettre à 21 formalités administratives, 19
au Tchad, 17 en Ouganda. Ces données sont d’autant plus décourageantes pour
les investisseurs étrangers que, dans les pays de l’OCDE, le nombre moyen
d’étapes à accomplir avant d’enregistrer un commerce est seulement de 6.
Autre critère, le nombre de jours d’attente avant de pouvoir enregistrer son
affaire : 382 jours au Ghana, 340 en Côte d’Ivoire et 335 en Angola. Une
perte de temps qui représente aussi une perte d’argent considérable.
Dernier critère
de taille, le minimum de capital requis pour créer une société. Cette somme
est une sorte de garantie de départ pour les organismes prêteurs et
également pour la société, en cas de faillite. Mais plus elle est élevée,
plus elle est dissuasive, surtout dans des pays où les revenus moyens sont
faibles. Sur les 34 pays d’Afrique étudiés dans ce rapport, seulement 8
n’exigent aucune garantie de capital : le Botswana, le Burundi, le Kenya, le
Malawi, la Namibie, le Rwanda, la Sierra Leone et l’Ouganda. Mais, en
Éthiopie, le montant de la garantie de capital représente 1822 % du revenu
moyen par habitant. Pour réduire le nombre de procédures et le coût de
démarrage d’une société, les experts de la Banque mondiale préconisent
notamment l’instauration du guichet unique pour faciliter les démarches et,
surtout, l’introduction de ” licences d’entreprenariat temporaires”.
2
Embaucher et
licencier
Au BURKINA,
un employeur ne peut embaucher un salarié en contrat à durée déterminée, le
faire travailler de nuit, le week-end et plus de huit heures par jour ( s’il
s’agit d’une femme). La loi l’interdit. Avant de licencier un salarié, ce
même employeur devra écrire une lettre au ministère du Travail pour que le
nouveau chômeur puisse être replacé dans l’un des secteurs d’activité
prioritaire de l’économie. Ce code du travail, l’un des plus protecteurs du
continent, trouve son origine dans la volonté de lutter contre les méfaits
du libéralisme sauvage. Mais, à trop vouloir protéger les salariés, l’on
rigidifie le marché de l’emploi et l’on décourage les créateurs
d’entreprises. Conséquence : 40 % de l’économie burkinabé est informelle.
Effet ‘autant plus pervers que le quasi-majorité de la population active,
qui forme le bataillon des employés du secteur informel (les trois quarts
sont des femmes), n’a ni salaire décent, ni horaires de travail aménagés, ni
retraites, ni assurance de santé. Cette rigidité du marché de l’emploi n’est
pas intéressante pour les chefs d’entreprise qui doivent pouvoir embaucher
ou licencier en fonction de l’accroissement ou de la baisse de l’activité ou
des plus values. Paradoxalement, ce sont les pays les plus pauvres qui
réglementent le plus le marché de l’emploi.
Pour mesurer la
difficulté à embaucher et à licencier les experts ont établi un index de
classement prenant en compte la réglementation, le coût, le rapport avec les
syndicats et le ministère du Travail. Résultat : les pays d’Afrique
subsaharienne sont ceux qui présentent le plus de rigidité. Les pays les
plus contraignants après le Burkina étant le Congo et le Tchad. Et le moins
rigide, l’Ouganda. Il est en tout cas plus difficile d’embaucher en Côte
d’Ivoire qu’au Sénégal , pays qui a d’ailleurs bénéficié des
délocalisations. En 2003, la Nambie a consenti à introduire davantage de
flexibilité sur le marché de l’emploi. Quant à l’Égypte, elle a encore
rigidifié le marché du travail en rendant le travail de nuit plus difficile
pour les femmes.
COMMENT PAIRE
POUR RÉCUPÉRER SON APPORT DE DÉPART dans une entreprise quand on est
créancier ? Quel est le montant des taxes perçues par l’administration quand
une affaire meurt ? Sur le continent africain, mettre la clé sous la porte
coûte cher, et le taux de recouvrement de son apport de départ est proche de
zéro ! Sur les 145 pays étudiés, les pays d’Afrique subsaharienne se
trouvent au bas de la liste. En Centrafrique, au Tchad, au Rwanda et à
Madagascar, ce taux de recouvrement est nul. De tous les pays étudiés,
la Namibie détient le meilleur taux de recouvrement. Pour 1 dollar investi,
les créanciers récupèrent 53,7 cents. Viennent ensuite le Botswana (50,9
cents), la Tunisie (50,1 cents), l’Éthiopie (40 cents) et l’Algérie (37
cents) et le Maroc (34,8 cents). Lorsque les créanciers parviennent à
récupérer un peu de leur apport, c’est rarement plus de la moitié. Autre
pesanteur, les taxes réclamées par l’administration en cas de faillite d’une
société. Les pays d’Afrique subsaharienne ont les frais les plus importants,
notamment le Tchad où le montant des taxes s’élève à 76 % du capital de la
société, puis ex aequo la Sierra Leone, l’Ouganda et le Congo (38 % du
montant du capital). À Madagascar et au Rwanda, l’administration ne prélève
pas de taxe en cas de faillite, mais, dans ces deux pays, les investisseurs
ont un taux de recouvrement nul. À noter, l’Algérie est le pays du continent
dans lequel l’administration est la moins gourmande et dont les taxes se
montent à 4 % du capital. Plus les pays sont pauvres, plus le taux de
recouvrement en cas de fermeture d’une affaire est faible. Les investisseurs
dans les pays à faibles revenus récupèrent en moyenne 21 cents sur 1 dollar
investi, alors que leurs homologues des pays à hauts revenus récupèrent 67
cents.
Emprunter et
protéger ses investissements
CREER UNE
ENTREPRISE SIGNIFIE, dans la plupart des cas, emprunter auprès d’un
organisme bancaire. Plus les pays sont pauvres, plus les emprunteurs
risquent d’être insolvables, et plus les organismes prêteurs se protègent,
en augmentant les taux d’intérêt et leurs exigences sur le montant des gages
et des hypothèques. Dans certains pas, l’accès aux établissements bancaires
est loin d’être généralisé, les opérateurs les plus pauvres peuvent donc
rarement prouver qu’ils seraient de bons clients… Moyennant quoi, on ne
prête qu’aux riches !
En Zambie par
exemple, la moyenne du montant exigé pour les gages et les hypothèques est
trois fois supérieure à la valeur du crédit, et les taux d’intérêt
atteignent 28 %. Les femmes, qui sont les plus susceptibles de créer un
petit commerce, affrontent de multiples difficultés pour monter leur
affaire. Faciliter l’accès au crédit est une condition essentielle
permettant de libéraliser l’accès à la création d’entreprise et de lutter
contre la pauvreté. À cet égard, l’exemple du Bangladesh. en Asie du Sud
Est, est riche d’enseignements. Une étude bancaire dans ce pays a montré que
la moitié des personnes démunies avant bénéficié d’un crédit avaient pu se
sortir, par elles-mêmes, de leur situation de précarité, alors due 4 %
seulement de celles qui n’avaient pas perçu de crédit avaient connu la même
destinée.
Pour créer des
entreprises, les opérateurs doivent pouvoir compter dans le pays sur des
organismes de crédit fiables. Car, pour gagner la confiance des
investisseurs, il faut pouvoir protéger leurs fonds. Les experts de la
Banque mondiale ont étudié trois principaux critères pour mesurer le degré
de protection des investissements : les garanties aux petits actionnaires,
la capacité des tribunaux à trancher en cas de litige et la transparence des
comptes. En ce domaine. le rapport relève les performances insuffisantes de
l’Afrique subsaharienne, avec un indice moyen de 2,4 (7 étant le maximum).
les pays de l’OCDE caracolent en tête de ce classement avec 5,5 points ;
l’Asie orientale est la région en développement la plus avancée en la
matière avec 3,9 points. Peut-être un exemple à méditer.