Une volonté politique est nécessaire pour favoriser l’accès à Internet
Entretien avec Gérard de Maupeou
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En marge de la conférence conjointe Wanadoo et Planet Tunisie tenue à
l’hôtel Acropole le 12 avril 2005, concernant l’annonce officielle du partenariat entre les
deux fournisseurs de services Internet, M Gérard Maupeou nous a accordé une
interview exclusive.
Planet
Tunisie a signé un contrat commercial et technique. En retour, qu’est-ce que
Wanadoo va apporter à Planet Tunisie?
C’est fondamentalement trois choses. La 1ère chose, c’est une expertise, un
savoir-faire, car nous sommes le 1er acteur européen d’Internet (4 millions
de clients, 300.000 livebox, 150 millions de pages vues par jour, 190.000
albums photos créées sur les sites Wanadoo…), et surtout nous avons de
l’expérience dans divers pays, en un mot des produits à
forte valeur ajoutée, et adaptés aux besoins du client. C’est dire que notre
savoir-faire est à la disposition de Planet Tunisie : des experts de Wanadoo
peuvent être mobilisés pour venir en Tunisie, et nous pouvons recevoir des
gens de Planet en France et les mettre en contact avec nos spécialistes pour
discuter de certains problèmes spécifiques.
Le 2ème volet, ce sont des solutions, c’est-à-dire des plateformes
informatiques (Chat, Messenger, etc…) ; ces plateformes ont été développées
et conçues et certaines sont multilingues, ce qui permet déjà
d’envisager certaines évolutions dans des pays comme la Tunisie (où on
aimerait que certains services soient en arabe). Ce sont donc tous des
services auxquels Planet ne pourrait pas accéder librement en étant un
acteur seul. Nous avons des solutions que nous avons développées seul ou avec nos
propres partenaires, mais il s’agit des solutions qui s’appliquent pour 10
millions de clients.
Enfin, la 3ème chose que nous apportons à Planet Tunisie, c’est la force de
la marque Wanadoo en Tunisie. Tout le monde voit les publicités de Wanadoo
sur les chaînes de télévision françaises, ou du moins a entendu parler de
Wanadoo, donc pour Planet, c’est la cerise sur le gâteau, le paquet
d’emballage. Et ce qui compte pour Planet, c’est notre savoir-faire, nos
solutions. En somme, Wanadoo lui apporte la caisse à outils.
Tout ce tableau que vous venez de brosser sur les services de Wanadoo est
bien beau. Mais on sait que Planet Tunisie n’est pas en mesure aujourd’hui
de les faire bénéficier à ses clients. C’est un peu frustrant non ?
Ne soyez pas pessimiste. Il est vrai qu’aujourd’hui il y a un certain nombre
de services que nous n’avons pas encore voulu mettre en place, parce que
techniquement c’est un peu plus lourd. Le partenariat est devenu maintenant
effectif, et nous n’hésiterons pas à mettre en place tout ce qui pourra
avoir un
sens économique sur le marché tunisien. Ceci dit, il y a d’autres types de
services pour lesquels il se dresse deux séries d’obstacles ; le 1er c’est
le contexte réglementaire qui aurait intérêt à évoluer, mais il faut aussi
savoir que Tunisie Télécom est quand même un acquis important pour le pays
et donc elle ne peut pas faire n’importe quoi ; sur ce plan aussi il y a un
processus de libéralisation qui est annoncée, avec une première étape, la
privatisation partielle de Tunisie Télécom, et progressivement il y aura une
libéralisation du secteur des télécoms qui deviendra une réalité comme dans
d’autres pays.
La 2ème solution, c’est bien sûr les caractéristiques techniques du réseau
qui supporte tous ces services, or aujourd’hui le seul réseau qui existe
c’est celui de Tunisie Télécom qui vient de lancer l’ADSL à des débits qui
n’existent pratiquement plus sur les marchés européens ; mais Tunisie Télécom
parie que dans un an on va commencer à parler d’offres à un méga bit sur le
marché tunisien et dans deux ans ce sera comme partout, on trouvera
même du 8 méga bits et pourquoi pas plus. Pour ce faire, il faudrait que
Tunisie Télécom investisse et que d’autres investisseurs entrent sur le
marché tunisien, ce qui renvoie au 1er obstacle qui est la réglementation,
et bien évidemment il y aura concurrence sur les réseaux, sur la boucle
locale, etc…
Est-ce que les
pays en développement peuvent aujourd’hui sauter certaines étapes de
développement en matière de technologies de l’information ?
Je ne dirai pas cela, mais il est clair que certains processus sont devenus
plus faciles qu’il y a 10-20 ans. Vous passerez par toutes les étapes car
elles sont nécessaires mais vous irez plus vite que l’Europe. Pour ce qui
est de l’Internet, il s’agit d’un service marchand, donc forcément il faut
qu’il y ait un marché solvable… Tout ceci renvoie aux questions de
développement économique général (quels sont les gens qui peuvent se payer
un PC, que font les autorités dans chaque pays pour éviter la fracture
numérique) –c’est d’ailleurs le sujet entre autres du SMSI de Tunis en
novembre prochain.
En Europe par exemple, il y a trois ans les Pays-Bas ont établi un programme
gouvernemental qui consistait tout simplement à permettre aux foyers
d’acheter un ordinateur et de déduire du salaire imposable le prix du PC.
Pourtant, il s’agit d’un pays riche. Résultat : déjà à cette époque, les
Pays-Bas étaient à plus de 50% de pénétration de foyers qui avaient un
ordinateur et qui étaient connectés à l’Internet, alors qu’en France à
l’époque il était à moins de 20%, l’Angleterre à peine 35%… Ce qui fait que
ce pays compte la plus grande pénétration en termes de
connexions Internet.
Donc il y a des mesures comme celles-là qui doivent être prises, mais c’est
une volonté politique de pouvoir créer une demande solvable (Cela peut être
la subvention sur un PC comme c’est le cas en France lorsque nous avons lancé à
l’occasion de la
dernière rentrée scolaire «le PC pour les étudiants à 2,5 euros par mois»
avec un partenariat constructeurs- gouvernements, etc. Sans citer de
chiffres, il y a eu plusieurs centaines de milliers de PC qui ont été vendus
de cette façon là. Donc il faut qu’il y ait une volonté politique pouvant
favoriser l’accès à l’Internet, ce qui passe d’une manière ou d’une autre
par des mesures permettant aux foyers de s’équiper d’un PC, chose qu’ils
n’auraient pas pu faire sans ces mesures.
Le partenariat Planet-Wanadoo pourrait-il favoriser France Télécom dans
la privatisation partielle de Tunisie Télécom ?
Ecoutez, si France Télécom décide de s’intéresser à la privatisation de
Tunisie Télécom –ce que j’ignore complètement-, dans ce cas je dirais que le
fait que Wanadoo soit partenaire de Planet Tunisie peut constituer un
avantage considérable pour France Télécom, ce qui lui permettrait
éventuellement d’avoir une connaissance plus intime du marché tunisien. Mais
encore une fois, j’ignore si France Télécom s’intéresse à la privatisation
partielle de Tunisie Télécom.