Et il disparut après de longues années de services, ce millime qui, il faut dire ces temps-ci, on ne voyait plus beaucoup, car semble-t-il les choses ne valent plus un millime et on ne le rencontrait plus ni dans les caisses ni dans les banques et rares qui vous rendaient la monnaie exacte, il ne restait que les chèques, ou de temps en temps il apparaissait timidement en queue d’une série de chiffres, et il restait sur le papier car de toutes les façons personne ne lui accordait grande attention
Pourtant, il eut ses heures de gloire et durant de longues années, avoir 5 pièces de un millime permettait de s’offrir un festin chez le Jerbien du coin : on disait un douro, et dans cette intonation il y avait celle de douleur et celle de rondeur et la somme faisait une pièce toute ronde avec laquelle de longues années on put acheter des glibettes, des bonbons et, si mes souvenirs sont exacts, un petit sandwich.
Tu vois pauvre petite pièce, l’injustice est permanente et c’est toujours les plus petits qui sont menacés et les meilleurs qui partent les premiers et souvent tu restais bien au chaud au fond des poches et quand quelqu’un était fauché, il disait qu’il n’avait pas un millime ; que va-t-il dire maintenant pour qu’on le croie ? De toutes les façons, comme tout le monde est fauché, le problème ne se pose même plus et tu peux aller dormir en paix dans ta dernière demeure.
Maintenant tu vas te consoler et retrouver le chemin des numismates qui vont reconnaître ta valeur et le reste, environnement oblige, va être recyclé dans d’autres pièces lesquelles, ne t’inquiètes pas, vont te rejoindre sous peu et dans pas longtemps la première pièce jaune de 100 millimes et ensuite blanche de un dinars et plus tard, j’espère beaucoup plus tard on quittera le monde des pièces circulaires pour celui des pièces octogonales et ensuite le papier, ce sont les rudiments de l’inflation car, ensuite, on reviendra au troc comme nos ancêtres.
Enfin, pour te faire un enterrement en grande pompe, je te dédie ce double épitaphe :
ADIEU ADIEU CHER MILLIME DE MON ENFANCE
TA NAISSANCE SYMBOLISAIT NOTRE INDEPENDANCE
TU NOUS QUITTES TOUT JEUNE A LA FLEUR DE L’AGE
MAIS TU LAISSES UNE MONNAIE FORTE A TON IMAGE
ADIEU MON VIEIL AMI TU ME LAISSES UN PEU TRISTE
MAIS QUE VEUX-TU, EN ECONOMIE FAUT ETRE REALISTE
ON VA VOIR ARRIVER ET NAITRE TES GRANDS FRERES
ET ON DEFIERA L’INFLATION SANS EN AVOIR L’AIR
Ibtissem
Publié le 30 mai 2005
