La Chine est accusée –à tort ou
à raison- de déstabiliser l’industrie textile/habillement des pays du
pourtour de la zone Méditerranée. Pourtant la Turquie, avec son formidable
attrait, n’en constitue pas moins une autre menace sur
les économies sud méditerranéennes, notamment tunisienne, algérienne et
marocaine.
Voici comment la Turquie devient peu à peu «la Chine de l’Europe», mais
probablement aussi dangereuse pour les pays méditerranéens, aidée qu’elle est par son
vaste marché de plus de 70 millions d’habitants, une économie, un système
manufacturier moderne ; depuis 1990, c’est la 18e économie du monde et
accueille annuellement, en moyenne, un milliard de dollars d’IDE –(2,5
milliards de dollars en 2005)… C’est pourquoi l’enseigne française de
distribution, Carrefour, considère que, avec sa taille et son dynamisme, la
Turquie pourrait en absorber au moins dix fois plus et devenir ainsi la
«Chine de l’Europe».
En effet, la Turquie réforme à toute vapeur depuis 2002 et converge de son
propre chef vers les critères de Maastricht, ce qui fait d’elle
un véritable site d’investissements directs étrangers.
Mais ce n’est pas tout, puisque le pays jouit également d’un panorama
macroéconomique, à l’exception de la dette, qui semble des plus radieux. Les
banques, après avoir survécu au séisme tsunami de 2001, sont de plus en plus
saines. Le commerce extérieur caracole.
Seul bémol, la dette. Le ratio dette/PIB a beau diminuer, elle n’en augmente
pas moins en valeur absolue, au point que son service absorbe la moitié du
budget de l’Etat. Cela suffit au FMI pour réclamer une rigueur douloureuse,
puis surveille, après avoir offert un nouveau crédit en janvier dernier. Les
dépenses publiques sont gelées et les réformes risquent d’en pâtir. Les
grands groupes turcs de BTP, qui avaient longtemps vécu des contrats de
l’Etat, sont obligés d’aller conquérir des marchés en Asie centrale, au
Maghreb et en Afrique, où ils affrontent la concurrence européenne,
notamment française.
Mais la Turquie possède une importante marge de manœuvre, quoique à double
tranchant. Ainsi, pour desserrer l’étau financier, le pays emprunte une
parade à la polonaise et à la hongroise des années 90 : ouvrir grand le capital
des entreprises publiques aux étrangers, autrement dit privatiser pour
désendetter l’Etat et moderniser l’économie. Ceci étant, aujourd’hui les
privatisations patinent en raison d’un mélange de réticence nationaliste et
de difficultés de procédures. Pour Türk Telekom (les offres sont closes depuis le 24
juin), Ankara en est à sa troisième tentative !
Certes le pays compte une population de plus de 70 millions de d’habitants
(dont plus de la majorité a moins de 30 ans), certes les Turcs travaillent
nuit et jour, certes le pays dispose de PME assez compétitives. Cependant,
il y a une intéressante faille dans le système turc que des pays comme la
Tunisie devraient pouvoir en profiter, c’est qu’en Turquie le parcours de
l’investisseur est semé d’embûches. En effet, on peut, par exemple, acheter
une entreprise à 800 millions de dollars et attendre trois mois le permis de
travail du nouveau directeur général ; le fisc met souvent du temps à
remplir sa mission de vérification et de collecte ; le droit se négocie ;
les groupes de BTP, d’hôtellerie ou de tourisme, quand ils sont étrangers,
sont soumis à des règles fiscales et administratives auxquelles échappent
les entreprises turques plus à l’aise dans les méandres de la réglementation
…
Alors qu’avec sa taille et son dynamisme, elle pourrait en absorber au moins
dix fois plus et devenir la «Chine de l’Europe», pour reprendre la formule
de Carrefour, qui y possède déjà plusieurs points de vente et piaffe d’en
ouvrir d’autres.