A
tort ou à raison, dame mondialisation est confondue à tous les malheurs de
la planète. Pourtant, à y regarder de près, on s’aperçoit qu’elle a certes
un coût, mais également des avantages. En tout cas, il est clairement établi
que les échanges et l’ajustement structurel permettent d’optimiser les
avantages de la mondialisation et d’en réduire le coût, à condition de ne
pas la subir mais d’être un acteur actif !
En mai dernier, l’OCDE a publié une étude d’une grande importance, notamment
pour les pays en développement. Webmanagercenter vous présente les grandes
lignes de cette étude. Elle est intitulée «Les échanges et les ajustements
structurels, OCDE, 2005».
L’étude part de ce qu’on pourrait appeler un épiphénomène : «En 2003,
l’entreprise Harley-Davidson fêtait son 100ème anniversaire en annonçant des
recettes et des bénéfices record pour la 18ème année consécutive. Elle
représentait 48% du marché des motos de grosse cylindrée en Amérique du
Nord, et exportait plus d’un cinquième de ses ventes. Pourtant, entre 1973
et 1980, sa part de marché était tombée à 25% ! Les accords commerciaux
expliquent en partie ce redressement, mais les mesures de réforme et de
restructuration, ainsi que l’amélioration des technologies et des méthodes
de production employées ont joué un rôle crucial», y lit-on.
On dira sans doute que Harley-Davidson est une entreprise américaine, mais
quand on observe plus loin, on trouvera d’autres exemples de
restructurations réussies en dehors de la zone OCDE.
L’exemple le plus fréquemment cité est celui du secteur des technologies de
l’information en Inde. La productivité des industries manufacturières
indiennes est inférieure à celle des pays de l’OCDE à revenu élevé, mais
l’écart se réduit dans les logiciels et les télécommunications. L’Observateur
de l’OCDE attribue cette réussite «aux réformes de la réglementation qui ont
permis l‘expansion de ces secteurs dans les années 90», ce qui a permis à
l’Inde d’enregistrer la plus forte croissance des exportations de services,
et figurer parmi les 15 premiers exportateurs mondiaux.
Des idées reçues de la mondialisation
De nombreux cas similaires permettent de mieux comprendre la mondialisation
et le libre-échange, mais aussi de mettre à nu certaines idées fausses assez
répandues.
Primo, «la mondialisation n’implique pas un transfert accéléré des activités
économiques du secteur primaire et secondaire vers le tertiaire», observe
l’étude. Pour preuve, on a constaté qu’au cours des 20 dernières années, le
transfert d’emplois vers les services s’est ralenti. Cela ne veut pas dire
pour autant que le potentiel des services mondiaux s’est pleinement réalisé,
mais plutôt parce que que le rythme de l’évolution structurelle entre
l’agriculture, l’industrie et les services a fléchi dans les économies de
l’OCDE. Aujourd’hui, c’est essentiellement entre les différents segments du
secteur des services que le transfert d’emplois a lieu.
Secundo, la fuite des emplois de bureau à l’étranger –c’est-à-dire la
délocalisation- est globalement assez modeste. Certes, l’OCDE a mis en
évidence des secteurs d’activité «mobiles», en ce sens qu’ils peuvent
s’implanter à peu près n’importe où. Mais en réalité, cette mobilité a des
limites. Ainsi, le transfert largement évoqué de quelque 55 000 emplois dans
les services chaque trimestre en dehors des États-Unis doit être comparé à
la perte (et à la création) de plus de 7 millions d’emplois chaque trimestre
dans le cadre du fonctionnement normal du marché du travail américain.
D’autres pays de l’OCDE –notamment Allemagne, France et Italie– connaissent
des transferts d’emplois dans les services à l’étranger bien plus modérés.
Tertio, en ce qui concerne les pays en développement, ce ne sont pas
seulement les plus grands, comme la Chine, l’Inde et le Brésil, qui
bénéficient de la libéralisation des échanges. À l’exception d’un petit
nombre de pays, d’Afrique subsaharienne essentiellement, les gains de la
libéralisation multilatérale du commerce compenseront largement les pertes
qui résulteront de l’érosion des préférences accordées.
L’alternative des Etats face à la mondialisation
Toujours selon les experts de l’OCDE, les Etats n’ont qu’une alternative
face à la mondialisation, l’une positive, l’autre négative : soit ignorer le
phénomène, sachant pertinemment que cela ne le fera pas disparaître pour
autant, soit y participer pour construire leur avenir et décider de leurs
orientations. Cependant, «s’impliquer signifie aussi s’adapter à la
mondialisation et être prêt à accepter le changement», considèrent les
experts.
Alors, est-ce que les exemples de pays ayant réussi à s’adapter constituent
une exception au point de les négliger, comme le prétendent certains
sceptiques ? Les auteurs de l’étude balaient d’une main de revers cette
affirmation. «L’Inde n’est pas un cas isolé, et l’OCDE a recensé des
évolutions positives dans des secteurs allant de l’agriculture et des
pêcheries jusqu’aux technologies de l’information et aux soins de santé, en
passant par la construction navale et l’acier, tant dans les pays de l’OCDE,
qu’au Chili et au Lesotho.
L’Afrique du Sud par exemple, dans le secteur automobile, sans être un grand
concurrent au niveau mondial, ce pays est désormais un constructeur
automobile compétitif et solide, suite à la mise en œuvre de réformes
structurelles sur plusieurs années : suppression des obligations locales et
politique de substitution aux importations. L’étude note que, pour
s’adapter, il a fallu ouvrir l’accès à un marché plus vaste. Beaucoup
d’autres cas similaires ont également été étudiés dans les pays de l’OCDE,
notamment la construction navale en Australie, ou les textiles en République
slovaque.
Le couple «libéralisation commerciale/réformes nationales
L’Afrique subsaharienne souffre de problèmes profondément enracinés, qui
reflètent une vulnérabilité économique sous-jacente. Mais les experts de
l’OCDE sont optimistes –peut-être même trop optimistes concernant le
continent noir. Pour eux, le succès récent de l’industrie des fleurs coupées
au Kenya, grâce à d’importants investissements, en offre l’illustration
parfaite. Hélas que ce genre d’exemple ne constitue qu’une exception !
Mais les observateurs de l’OCDE ne s’arrêtent pas à ce constat, puisqu’ils
considère qu’une adaptation réussie dépend également des échanges de
services, comme en témoignent l’Inde, ou encore l’Irlande (ce pays est
aujourd’hui le premier pays exportateur des services au monde, et le
deuxième Etat le plus riche de l’UE derrière le Luxembourg). Les analystes
de l’OCDE montrent que lorsqu’on tient compte des restrictions aux services
intervenant dans la production d’articles manufacturés –par exemple en
empêchant les entreprises d’accéder aux services financiers ou d’ingénierie
les plus performants–, la «protection» dont ces entreprises bénéficient les
pénalise.
L’étude souligne que les échanges ne doivent pas être considérés, cependant,
comme une panacée. «Les populations, les produits, les secteurs d’activité
et les pays doivent aussi être prêts à tirer parti des mécanismes du
marché». Car, même un athlète de haut niveau ne peut gagner une course les
mains liées dans le dos. Si l’économie nationale montre des rigidités,
l’ouverture du commerce peut en fait aggraver la situation. «La
libéralisation commerciale doit donc s’accompagner de véritables réformes
nationales. Cela implique notamment un marché du travail flexible, une
réglementation restreinte et efficace, et des politiques économiques
favorisant la stabilité et la croissance, tout en respectant les impératifs
sociaux et environnementaux». Autrement dit, l’ouverture des échanges
renforcera les économies dans lesquelles le capital et le travail peuvent
circuler librement d’un secteur en crise à un secteur prospère. Nous voilà
au cœur d’un concept cher aux partisans de la nouvelle économie, à savoir la
mobilité du travail et des facteurs de production.
D’autant que certains secteurs d’activité déclineront effectivement.
Fortement touchées, certaines entreprises devront repenser totalement leurs
activités. Nombre de ceux qui perdent leur emploi pourront, dans des
environnements moins rigides, en trouver de nouveaux assez rapidement, à
condition qu’ils aient reçu la formation appropriée et qu’ils évoluent dans
un marché où s’exerce une réelle mobilité.
Ceci étant, la mondialisation a ses gagnants et ses perdants, pour les
populations comme les pays, avertissent les auteurs de l’étude de l’OCDE. La
recherche de l’efficacité ne doit pas faire perdre de vue le souci d’équité.
C’est là que les pouvoirs publics doivent intervenir. Pour chaque
travailleur, il faudra notamment mettre en œuvre des politiques du marché du
travail actives capables de faire évoluer l’aide –par exemple pour la
recherche d’emploi ou la formation– en fonction des besoins réels des
personnes concernées.
Nécessité de mise en place des mesures aux niveaux mondial et local
Face à la crainte et à l’isolement, le renforcement de la confiance et de la
cohésion est indispensable. Pour les pays perdants dans un premier temps
–les plus pauvres et les plus vulnérables– qui ne sont pas encore capables
de tirer pleinement parti des gains du commerce, des mesures aux niveaux
mondial et local sont nécessaires pour renforcer leur capacité
d’exportation, consolider leurs institutions et la gouvernance et améliorer
l’application des normes fondamentales du travail adoptées à l’échelle
internationale. Mais ces pays doivent aussi réduire les obstacles élevés
qu’ils dressent aux échanges.
Voilà une autre idée fausse de la mondialisation battue en brèche par les
analystes de l’OCDE. «Comme l’a montré, entre autres, le Pr. Jagdish
Bhagwati, les obstacles aux échanges entre les pays en développement sont en
moyenne plus élevés que ceux appliqués entre les pays en développement et
les pays de l’OCDE. Laisser les pays les plus démunis en marge de la
libéralisation des marchés ne leur rendra pas service. Ces pays aussi, avec
une aide, doivent bénéficier des flux d’échanges et d’investissements que
permet la modernisation», soutiennent les auteurs. Les obstacles et les
distorsions aux échanges des pays de l’OCDE n’en sont pas justifiés pour
autant ; ils doivent être réduits autant qu’il est politiquement et
matériellement possible de le faire sur l’ensemble des marchés, en
particulier pour les échanges qui sont critiques pour les pays pauvres,
comme l’agroalimentaire et les activités manufacturières à forte intensité
de main-d’œuvre.
Pour faire écho au Pr. Bhagwati, le renforcement des capacités est une très
bonne chose, mais les secteurs d’activité doivent pouvoir se développer par
eux-mêmes, ce qu’ils ne peuvent faire qu’en étant confrontés au marché.
C’est là qu’intervient l’ajustement induit par les échanges. La
mondialisation a un prix, mais le protectionnisme coûte beaucoup plus cher.
Références
Les échanges et les ajustements structurels, OCDE, 2005. L’étude
complète, parue fin mai 2005, présente des monographies détaillées sur des
économies développées et en développement, ainsi que huit secteurs clés de
l’activité économique : agriculture, pêcheries, textiles et habillement,
acier, véhicules motorisés, construction navale, services de santé et
services aux entreprises sous-traités au niveau international.