Le Conseil est son métier. Mejdi Châabouni, membre d’un prestigieux cabinet
américain, basé à Paris, conseille les banquiers en matière de ” Best Praxis
“. il leur offre les meilleures pratiques en termes de méthodologie de
calcul des risques financiers. Entretien.
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Les banquiers vous ont écouté évoquer l’âge d’or de la profession avec
beaucoup de nostalgie, l’avez vous remarqué?
— On peut les comprendre! Mais c’est vrai que pour le cas de l’Europe,
depuis le plan Marshall jusqu’au début des années 80, le risque n’avait pas
pris l’acuité qu’on lui connaît aujourd’hui. La stabilité économique de
cette période autorisait un système de pilotage du système bancaire, par les
autorités de surveillance, qui permettait aux banques d’avoir des résultats
positifs élevés pendant plusieurs années consécutives de sorte à constituer
leurs fonds propres à partir des résultats.
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Vous situez l’attitude d’éveil au risque, après l’hécatombe des
petites banques américaines à la fin des années 80 ?
— En réalité pour être plus précis, je dirais que le phénomène est lié à la
« déréglementation ». C’est elle qui a favorisé l’apparition des SICAV, en
introduisant une nouvelle donne concurrentielle, laquelle cachait un risque
pour les banques. L’irruption massive de ces structures d’épargne financière
a provoqué un départ massif des dépôts à vue et à terme des banques. Cette
migration, en faveur de l’épargne financière, était un risque caché que les
banques de dépôts n’ont pas vu venir. Fort heureusement pour la place de
Tunis, les SICAV ont été freinées dans leur expansion par le retournement du
marché boursier, sans quoi on aurait connu une grande migration de l’épargne
avec toutes les conséquences que cela impliquait pour les banques.
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Puis survient la mondialisation !
— Voilà ! avec la mondialisation, la profession s’est trouvée exposée à un
très fort degré de volatilité. Il fallait donc adopter une attitude face au
risque.
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C’est alors qu’est venue la « théorie dominante » que vous exposiez.
— En réalité la profession a dû affiner sa perception du risque. Et
là-dessus elle a adopté une dichotomie entre le risque moyen et celui
extrême.
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Pourquoi faut-il les séparer ?
— C’est rendu nécessaire par la différence de leur affectation comptable. Le
risque moyen est le risque, je dirais, inhérent à une profession. Prenons
l’exemple des commerçants de Tunisie. Ceux-là ont un coefficient de défaut
qui leur est propre, qu’on dénommera risque moyen. Vous l’obtenez en
parcourant 15 ans d’historique, d’un panel de 1.000 commerçants et vous
relevez le nombre de clients qui n’ont pas payé. Le risque extrême,
s’obtient à partir d’un scénario a priori par lequel on imagine un raid
concurrentiel qui mettrait à mal un secteur entier et on calcule le taux de
casse que la banque aurait à supporter. Les exemples sont par exemple la
sidérurgie européenne, et plus récemment encore le «manufacturier», ou plus
proche de nous, la confection maghrébine, etc ;…
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Et quel en serait le dénouement ?
— Au final, cela fait que le banquier est amené à imputer le risque moyen,
qui est le « risque du métier » en quelque sorte, donc inhérent à son
activité courante, sur son exploitation. Tandis que le risque extrême qui
est un risque exceptionnel ne peut être imputé que sur les fonds propres de
la banque.
■ Là est donc
l’approche dite RAROC (Risk Adjusted Return on Capital) ?
— Exact ! C’est un mode de
calcul qui est encore l’apanage des grandes banques internationales qui
l’ont appliqué à toutes leurs lignes de métiers, tel JP Morgan, ou ING. Bien
entendu ce système ne peut réussir sur une place nationale que s’il est
adopté par tout le système bancaire sans quoi il induirait un grand écart de
taux au détriment de ceux qui l’appliquent.
■ Le risque extrême
reste une approche maximaliste ?
— Ses auteurs l’adossent à des
exemples historiques réels, qui prennent un certain relief avec la
mondialisation. Les tenants de cette école pensent que chaque banque pour
devoir faire face à un risque extrême sans mettre en péril son existence
doit aligner une masse de fonds propres, de sorte à pouvoir éponger une «
casse » éventuelle et en effet elle mobilise les capitaux nécessaires.
Naturellement cette masse de ressources doit être rémunérée, et les clients
du secteur concerné supporteront cette charge dans leur taux de crédits.
■ Votre préférence
va toutefois pour la méthode « Value-at-Risk».
— C’est une méthode plus «
achevée », dirons-nous. Elle est plus proche de la réalité du métier en ce
sens qu’elle pondère, avec une grande fiabilité, la corrélation entre les
secteurs et donc donne une appréciation plus affinée du risque dont elle
permet une évaluation hautement fiable. L’adoption de la V-A-R permet de
bien séparer le risque moyen du risque extrême. Cela dépend en fait de la
nature de l’activité de la banque concernée. Une banque peut exercer trois
types d’activités : elle peut faire soit de l’intermédiation, de
l’investissement ou/et des activités de marché. Selon qu’elle se spécialise
dans l’un de ces métiers son bilan aura une physionomie particulière. Une
banque de détail qui a un portefeuille clientèle très dense verra, et les
études le montrent, que son risque extrême tend vers le risque moyen. Par
conséquent la technique de comptabilisation des risques moyen et extrême en
bloc se justifie. En revanche, une banque de marché sera plus dans le champ
du V-A-R.
■ Comment cela se
réalise-t-il ?
— Jusqu’en 1993, les cambistes
américains, croyaient que dans tous les cas, si on perd sur le dollar, on
peut parcourir la planète pour dénicher une devise, même exotique, sur
laquelle on ferait un gain de sorte à compenser la perte initiale sur
dollar. Mais cette attitude a vite révélé ses limites car il faut dénicher
la devise qui n’est pas corrélée au dollar et qui donc n’a pas été impactée
par sa baisse. Je reviens à l’exemple des commerçants. Si les commerçants
font défaut, très probablement qu’ils seront suivis des industriels. Il se
trouve que la V-A-R intègre cette empreinte de diversification des métiers.
Et c’est là un aspect de démarcation de la V-A-R par rapport, à la méthode
RAROC ou à la méthode de mesure de la sensibilité, par exemple.
■ La V-A-R induit un
nouveau poste de travail dans l’organisation bancaire à savoir le risk
manager. Quel est son apport, au juste ?
— C’est celui qui consiste à
rendre intelligible par le commercial les contraintes décidées par les
actionnaires. Le Conseil dicte une conduite en matière de rentabilité/
risque et lui les traduit en rentabilité/produit/client.
Je m’explique : le risk manager
calcule les exigences globales de fonds propres sur la base du risque
extrême et donne un taux de facturation au commercial que celui-ci saura
faire accepter par le client. De la sorte tout le monde trouve son compte.
Le risk manager contribue donc à asseoir dans les faits une stratégie qui
concilie entre rentabilité et risque. D’ailleurs il ne s’arrête pas là. Il
s’emploie à examiner tous les segments de portefeuille clientèle sous
l’angle de leur consommation de Fonds propres et à la lumière des objectifs
décidés par les actionnaires il arbitre entre les métiers et donc décide de
manière périodique de la physionomie des engagements de la banque.
(
Source : La Tunisie-Economique
– Mai-Juin 2005 )
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