Par
Mohamed JARRAYA Expert-Comptable ALPHA-AUDIT & CONSTANTIN
1- Introduction
1- En éternelle évolution, le contexte économique mondial n’a pas
cessé de pousser les opérateurs et décideurs à modeler leurs procédés voire
à créer de nouveaux systèmes d’information et/ou de gestion en quête de
satisfaire des besoins et de résoudre des problèmes souvent financiers.
2- La globalisation des marchés financiers a imposé l’ouverture des
capitaux et le développement de l’actionnariat des entreprises. En
conséquence, une nouvelle exigence est manifestée par les investisseurs et
bailleurs de fonds : la sécurité financière.
3- Tout comme le risque zéro, la sécurité financière parfaite
n’existe pas. Toutefois, tendre vers le maximum de sécurité à travers un
dispositif de transparence, constitue l’aubaine des chercheurs et experts.
Ce fait a engendré une pression de plus en plus forte sur les dirigeants
sociaux pour répondre aux exigences des investisseurs.
4- Dans un environnement marqué par sa complexité et la diversité des
intervenants dans le marché des capitaux, la répartition des pouvoirs et des
ressources constitue l’obstacle majeur à surmonter. C’est ainsi qu’un
nouveau système de gestion, de contrôle et de pilotage voit le jour :
«the corporate governance ou le gouvernement d’entreprise».
5- Alors, qu’elle est la relation directe entre la sécurité
financière et la gouvernance ?
6- C’est ce que je vais essayer de développer dans la présente
communication en passant par un rappel du concept de gouvernance et du
besoin de sécurité financière.
2-Le concept de gouvernance d’entreprise
7- Le terme «gouvernance» n’est pas le fruit du hasard. En effet,
utilisé en ancien français au 13ème siècle comme équivalent de
«gouvernement» (l’art et la manière de gouverner), il passe en anglais (governance)
au siècle suivant avec la même signification. Puis, il tombe en désuétude.
Son grand retour s’effectue à la fin des années 1980 dans le discours de la
Banque mondiale, repris par les autres agences de coopération, le Fonds
monétaire international (FMI) et par le Programme des Nations unies pour le
développement (Pnud).
8- C’est à la suite des scandales et affaires qui ont défrayé la
chronique, tels qu’Enron, WorldCom, Vivendi, Eurotunnel que se sont
développés les concepts couramment appelés corporate-governance ou encore
bonne gouvernance.
9- Ces concepts sont issus d’un constat qui révèle un profond
changement donnant naissance à la notion de responsabilité sociale (ou
sociétale) de l’entreprise, qui ne se limiterait pas à servir l’intérêt de
ses seuls actionnaires.
10- Si aux Etats-Unis l’objet d’une entreprise est fondamentalement
de servir les intérêts de ses actionnaires, la question a toujours été
beaucoup plus complexe dans d’autres pays, et en particulier dans les pays
de droit romano-germanique. Ainsi, l’intérêt social peut ne pas se limiter à
celui des associés, mais comprendre également celui des tiers tels que les
salariés, l’Etat, les fournisseurs, les clients, les collectivités
locales… (autrement dit les parties prenantes).
11- Les entreprises doivent donc intégrer dans leur gestion les
retombées économiques, sociales et environnementales de leurs décisions et
de leurs activités.
12- Dans ce contexte, il apparaît qu’une même décision peut être
considérée comme conforme aux intérêts de la personne morale, mais contraire
à sa responsabilité sociétale.
13- Quatre dimensions peuvent être mises en avant pour définir la
responsabilité sociale d’une entreprise «RSE», et donc préciser les éléments
à prendre en compte dans le cadre du gouvernement d’entreprise:
* la prospérité sur le plan économique,
* l’organisation interne de l’entreprise (contrôle interne, qualité et
transparence du management) et les relations de l’entreprise avec ses
partenaires (relations avec ses clients, ses fournisseurs, ses
actionnaires),
* l’environnement,
* les relations sociales.
14- Le livre vert de juillet 2001 de l’Union européenne intitulé
«Promouvoir un cadre européen pour la Responsabilité Sociale des
Entreprises» (RSE) définissait la RSE comme : «l’intégration volontaire des
préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités
commerciales et à leurs relations avec toutes les parties prenantes internes
et externes, et ce afin de satisfaire pleinement aux obligations juridiques
applicables et d’investir dans le capital humain et l’environnement».
15- Ainsi, dans cette optique, la gouvernance d’entreprise est une
réponse apportée à la responsabilité sociale de l’entreprise. 16- Le mot gouvernance est trop souvent associé, notamment à la
Commission européenne, à la notion de bonne gouvernance, au sens très limité
que lui a donné la Banque mondiale en insistant notamment sur la
transparence dans la gestion ou sur l’état de droit et la sécurité de
l’investissement.
17- La gouvernance d’entreprise relève en premier lieu de la
responsabilité du conseil d’administration.
18- Cependant, une bonne gouvernance n’est pas simplement une
question de bonne structure, mais de bonnes pratiques. Ainsi, nous devons
évaluer avec soin la performance des conseils d’administration des
entreprises dont nous sommes actionnaires afin de nous assurer que les
mécanismes de gouvernance sont efficaces.
19- L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques
(OCDE) a approuvé cinq principes de gouvernance d’entreprise. Ces principes
ont été développés par l’International Corporate Governance Network (ICGN).
20- Au Canada, 14 principes des «Guidelines for Improved Corporate
Governance» sont adoptés par le comité de la Bourse de Toronto depuis 1995.
21- En effet, la gouvernance est un concept qui a beaucoup évolué
depuis sa sortie dans les débats entourant la problématique du développement
vers la fin des années 1980.
22- Dans les premiers essais classiques en sciences politiques sur le
sujet, on parlait du concept de “gouvernabilité”, qui plaçait le “droit” et
“ l’ordre” au centre du développement.
23- Avec la fin de la Guerre froide, le concept de gouvernance s’est
substitué à celui de “gouvernabilité”. Il a été défini comme le remodelage
ou la réinvention de la gestion publique, dans le sens large du terme, pour
faire face aux nouveaux défis du développement à l’ère de la globalisation.
24- La gouvernance aborde maintenant les questions reliées aux
mécanismes nécessaires à la négociation des différents intérêts dans la
société. Elle est de plus en plus perçue comme un concept englobant une
série de mécanismes et de processus susceptibles de maintenir le système, de
responsabiliser la population et de faire en sorte que la société
s’approprie le processus.
25- Ainsi, parmi les multiples définitions de la gouvernance, on peut
retenir la suivante :
«mécanisme d’orientation, de contrôle
et d’évaluation de l’entreprise»
26- A l’origine, les principes de gouvernance d’entreprise n’avaient
aucune valeur contraignante, chaque entreprise restant libre de les mettre
en œuvre.
2-1- Les normes internationales en matière de gouvernement
d’entreprise
2-1-1- Les principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE
27- L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques
(OCDE) a entrepris en 1998 la mise au point d’un ensemble de normes et de
lignes directrices dans le domaine du gouvernement d’entreprise. Ces normes,
adoptées en 1999 puis révisées en 2004, sont les premières normes
internationales en la matière et sont à la base des initiatives prises dans
ce domaine par de nombreux pays, membres ou non de l’OCDE.
28- Ces principes tentent de concilier les conceptions anglo-saxonnes
basées sur les marchés et les conceptions des pays d’Europe continentale et
couvrent les six domaines suivants:
* la mise en place des fondements d’un régime de gouvernement d’entreprise
efficace : le régime de gouvernement d’entreprise doit concourir à la
transparence et à l’efficience des marchés, être compatible avec l’état de
droit et clairement définir la répartition des compétences entre les
instances chargées de la surveillance, de la réglementation et de
l’application des textes.
* Les droits des actionnaires et les principales fonctions des détenteurs de
capital.
* Le traitement équitable des actionnaires.
* Le rôle des différentes parties prenantes dans le gouvernement
d’entreprise (créanciers, investisseurs, salariés…).
* La transparence et la diffusion de l’information.
* Les responsabilités du Conseil d’Administration,
2-1-2- Les travaux des Nations unies
29- Le Pacte mondial du Secrétariat Général de l’ONU, lancé en
juillet 2000 par Koffi Annan, rassemble des entreprises, les organismes des
Nations unies, le monde du travail et la société civile autour de dix
principes universels relatifs aux Droits de l’homme, aux normes du travail,
à l’environnement et à la lutte contre la corruption.
30- Toute entreprise de plus de 10 salariés peut adhérer à ce pacte.
Ces principes sont les suivants :
* Les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du
droit international relatif aux Droits de l’homme dans leur sphère
d’influence, et
* A veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de
violation des Droits de l’homme.
* Les entreprises sont invitées à respecter la liberté d’association et à
reconnaître le droit de négociation collective.
* L’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire.
* L’abolition effective du travail des enfants; et
* L’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
* Les entreprises sont invitées à appliquer l’approche de précaution face
aux problèmes touchant l’environnement.
* A entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande
responsabilité en matière d’environnement; et
* A favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses
de l’environnement.
* Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses
formes.
31- Les travaux de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le
Commerce et le Développement) : Le groupe de travail intergouvernemental
d’experts des normes internationales de comptabilité et de publication
(normes ISAR) dans son examen de la comparabilité et de la pertinence des
indicateurs actuels de la Responsabilité Sociale des Entreprises a identifié
un certain nombre de critères permettant d’apprécier dans quelle mesure une
entreprise assume ses responsabilités en tant qu’acteur social et
économique.
32- Ce groupe souligne que dans la conjoncture actuelle, la demande
d’information par les actionnaires et autres parties prenantes reste faible,
et que toutes les entreprises ne sont pas disposées à contribuer au
développement durable de la société ou n’en ont pas les moyens. Toutefois,
il affirme qu’un bon gouvernement d’entreprise allant dans le sens d’un
développement durable contribue à augmenter la valeur d’une entreprise sur
le marché financier.
2-1-3- Les principes fondamentaux de l’homme au travail définis par
la déclaration de l’OIT
33- Les quatre principes fondamentaux de l’homme au travail définis
par l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en 1998, concernent les
points suivants:
* La liberté syndicale et de représentation,
* La non-discrimination,
* L’interdiction du travail forcé,
* L’élimination du travail des enfants.
2-1-4- Le rôle des professionnels de la comptabilité, de l’audit et
de la finance dans le gouvernement d’entreprise
34- Pour contribuer pleinement au développement d’une bonne
gouvernance au sein des entreprises, il est indispensable que les
professionnels de la comptabilité et de l’audit puissent effectuer leur
mission dans le cadre d’un environnement juridique et réglementaire adapté
et sécurisé.
35- Ce cadre nécessite :
* des règles définissant les missions et les fonctions des professionnels de
la comptabilité et de l’audit, dans le cadre des normes internationales,
* un organisme de contrôle et de régulation qui assure l’application de ce
cadre légal,
* des auditeurs indépendants, de bon niveau, soumis à des règles d’éthique
strictes, et appliquant les normes internationales prévues dans le domaine
de l’audit et de la qualité (normes IFAC),
* une organisation professionnelle efficace assurant le contrôle de la
profession.
36- La responsabilité première des professionnels de la comptabilité
et de l’audit consiste généralement à :
* Eviter la manipulation des comptes: la comptabilité doit contribuer à la
transparence des informations communiquées, et ne doit pas faire l’objet
d’une quelconque manipulation dans le cadre de l’intérêt spécifique des
dirigeants en place ou dans le cadre d’une stratégie globale de l’entreprise
(lissage des résultats, gestion du résultat dans un but fiscal ou autre,
nettoyage des comptes, habillage des comptes, comptabilité «créative» … ou
tout simplement fraude).
* Donner une assurance sur les informations communiquées par les dirigeants
: cette assurance concerne essentiellement les informations à caractère
financier, mais peut également concerner d’autres types d’informations
(informations sur les mesures de contrôle interne mises en place dans
l’entreprise, par exemple).
* Garantir la transparence des relations directes ou indirectes qui existent
entre les différents organes de l’entreprise : dirigeants, administrateurs,
actionnaires.
2-2- La gouvernance d’entreprise dans les pays en développement
37- Le centre de développement de l’OCDE (Organisation de Coopération
et de Développement Economiques), a publié en 2003 son rapport sur la
gouvernance d’entreprise dans les pays en développement, en transition et
les économies émergentes (DTE).
38- Selon ce rapport, la gouvernance d’entreprise est longtemps
restée ignorée en tant qu’élément important du processus de développement
d’un pays. Elle est restée pratiquement invisible jusqu’à ce que les crises
financières de 1997-98 en Asie de l’Est, puis en Russie et au Brésil,
attirent l’attention des marchés financiers internationaux sur les problèmes
apparemment graves de gouvernance d’entreprise liés au «capitalisme de
copinage» dans plusieurs de ces pays.
2-2-1- Qu’est-ce que la gouvernance d’entreprise pour l’OCDE ?
39- Pour l’OCDE, la «gouvernance d’entreprise» englobe les
institutions formelles et informelles, publiques et privées d’un pays qui,
ensemble, régissent les relations entre ceux qui dirigent les entreprises (insiders)
et tous ceux qui investissent des ressources dans les entreprises opérant
dans le pays. Ces institutions incluent en particulier le droit des
sociétés, le droit boursier, les règles comptables, les pratiques et
l’éthique des affaires en vigueur dans un pays.
40- Quel que soit le pays, le plus important dans la notion de
gouvernance d’entreprise, c’est sa finalité qui repose sur trois axes :
* Faciliter et stimuler la performance des entreprises en instaurant et
maintenant un système d’incitations qui encourage les dirigeants à maximiser
l’efficience opérationnelle de l’entreprise, le rendement de ses actifs et
les gains de productivité à long terme ;
* Restreindre les abus de pouvoir des dirigeants sur les ressources de
l’entreprise –que ces abus prennent la forme d’abus de biens sociaux (vol ou
détournement de ressources de l’entreprise au bénéfice d’intérêts
particuliers), ou de gaspillage significatif des ressources appartenant à
l’entreprise (ce qu’on appelle les «problèmes d’agence»)– qui, d’une façon
générale, résultent de la tendance des dirigeants à se servir eux-mêmes ;
* Fournir les moyens de surveiller le comportement des dirigeants afin de
pouvoir garantir la responsabilité de l’entreprise et protéger au meilleur
coût les intérêts des investisseurs et de la société contre les abus des
dirigeants d’entreprises.
41- En bref, les institutions de gouvernance d’entreprise servent à
la fois à déterminer ce que la société considère comme étant des normes
acceptables de comportement au niveau de l’entreprise, et à s’assurer que
les entreprises se conforment à ces normes.
2-2-2- Pourquoi la gouvernance d’entreprise est-elle importante pour
le développement d’un pays, selon l’OCDE ?
42- Pour l’OCDE, la gouvernance d’entreprise est souvent considérée
comme importante, principalement, pour les sociétés cotées en Bourse qui
cherchent à lever des capitaux auprès d’investisseurs extérieurs. Force est
de constater que les entreprises bien gouvernées sont capables de lever ces
capitaux à un coût nettement moindre que celles qui sont mal gouvernées. En
effet, dans ce dernier cas, les investisseurs exigeront, vraisemblablement,
une prime de risque plus élevée pour y investir.
43- Dans les pays en développement, la prépondérance de PME non
cotées et de grandes sociétés dont le capital est détenu par des familles,
par l’État ou des sociétés étrangères et dont les actions circulent peu sur
le marché local explique donc en partie pourquoi l’importance potentielle de
la gouvernance d’entreprise est longtemps restée ignorée.
2-2-3- La professionnalisation des dirigeants d’entreprises
44- Pour l’OCDE, un autre avantage potentiel de la séparation entre
ceux qui dirigent les entreprises et ceux qui en détiennent le capital est
la professionnalisation de la fonction de dirigeant. C’est un défi auquel
sont confrontés de nombreux pays DTE, que ce soit dans le contexte de la
privatisation des entreprises publiques (parfois qualifiées «d’agents sans
principaux») ou de la transmission d’une société patrimoniale d’une
génération à l’autre. Le problème consiste à la fois à élargir le réservoir
de dirigeants qualifiés et à créer un marché relativement concurrentiel des
compétences managériales.
45- L’expérience de certains pays (comme la Chine) qui ont transformé
leurs entreprises publiques en sociétés commerciales met en relief une autre
dimension de ce défi, en ce sens que les dirigeants des entreprises
publiques transformées en sociétés anonymes ont souvent profité de leur plus
grande autonomie pour mal gérer leur entreprise, c’est-à-dire gaspiller ses
ressources ou commettre des abus de biens sociaux.
2-2-4- Mise en application des règles de bonne gouvernance
46- Pour l’OCDE, l’importance de l’application des règles soulève
deux séries de problèmes cruciaux du point de vue de l’action publique. En
effet, de nombreux pays se sont dotés de lois et de règlements appropriés en
matière de gouvernance d’entreprise, mais ces textes sont malheureusement
très peu appliqués. Ainsi, le problème de l’application des règles est au
coeur même de la distinction entre les systèmes de gouvernance fondés sur
des règles et les systèmes fondés sur des relations interpersonnelles. Il
est aussi au coeur même du concept de gouvernance d’entreprise.
47- Les deux séries de problèmes dont il faut tenir compte pour
améliorer la contribution de la gouvernance d’entreprise à l’économie réelle
et sa contribution au secteur financier, sont les suivants : i) comment combiner au mieux les mécanismes de mise en application
librement consentie et les mécanismes obligatoires ii) comment combiner au mieux les mesures d’exécution judiciaires et
les mesures d’exécution réglementaires.
2-2-5- Conclusion du rapport de l’OCDE
48- La gouvernance d’entreprise a un rôle capital à jouer dans les
pays aujourd’hui en développement ou en transition et les économies de
marché émergentes (DTE) –rôle qui n’est souvent pas bien compris. Dans tous
les pays cette importance tient au rôle central que joue aujourd’hui la
gouvernance d’entreprise dans la qualité de l’ensemble des institutions de
gouvernance d’un pays. Ceci est dû au fait qu’il est important pour leur
développement à long terme de réussir à passer d’un système de gouvernance
fondé pour l’essentiel sur des relations interpersonnelles à un système
effectivement fondé sur des règles.
49- L’un des rôles fondamentaux de la gouvernance d’entreprise est
d’aider à accroître, en réduisant le coût, les flux de capitaux financiers
dont les entreprises ont besoin pour financer leurs investissements. Cette
fonction de la gouvernance des entreprises a considérablement gagné en
importance dans les économies DTE au cours des dernières années, et elle
continuera sans doute puisque les besoins de financements externes des
entreprises de ces pays augmentent précisément à un moment où les sources
traditionnelles de financement diminuent fortement ou se tarissent.
50- La forte croissance des flux internationaux d’investissements de
portefeuille en actions, notamment de la part d’investisseurs
institutionnels basés dans la zone de l’OCDE, mais aussi des flux
internationaux d’investissements directs étrangers (IDE), indique que
l’amélioration de la gouvernance d’entreprise dans les pays DTE pourrait
être un élément de stabilité pour les marchés financiers internationaux. Les
avantages potentiels de cette stabilité sont substantiels tant pour les pays
d’accueil que pour les économies sources.
51- L’amélioration de la gouvernance d’entreprise ne saurait,
toutefois, être une panacée. Dans le secteur financier, il importe aussi de
prêter une grande attention aux mesures destinées à renforcer le secteur
bancaire et les institutions financières du pays en général. Dans le secteur
réel, il faut aussi veiller attentivement à la politique de la concurrence
et aux réformes à engager dans la régulation de secteurs déterminés. Cette
vigilance est importante pour l’ensemble des économies DTE.
2-3- Les apports de la législation française
52- Au delà des recommandations, le législateur français est
intervenu, dans le cadre des Lois sur les Nouvelles Régulations Economiques
«NRE» du 15 mai 2001 et de Sécurité Financière du 1er août 2003 pour assurer
une meilleure gouvernance d’entreprise au travers des obligations légales
suivantes :
* La transparence des rémunérations des dirigeants
* La mise en place de procédures de contrôle interne des sociétés
* Le renforcement des pouvoirs accordés aux actionnaires
* La participation plus importante des salariés au pouvoir de l’entreprise.
53- L’objectif initial des règles de gouvernance d’entreprise est de
rétablir et d’harmoniser l’équilibre entre les pouvoirs des différents
organes de la société.
54- Dans le cadre des sociétés cotées, les principes de gouvernance
d’entreprise résultent de différents rapports élaborés par le MEDEF
(Mouvement des Entreprises de France).
55- Ces rapports préconisent notamment : * une meilleure répartition des compétences entre les
différentes structures de la société (conseil d’administration, directeur
général, etc.),
* une clarification des fonctions des membres du conseil d’administration
(administrateurs indépendants, etc.),
* la création de commissions de contrôle ayant des compétences dans des
domaines où il existe des risques de conflits d’intérêts.
56- Plusieurs catégories de comités peuvent ainsi être mis en place :
* Le comité des rémunérations ayant pour charge de fournir des informations
sur la rémunérations des dirigeants (part fixe, part variable, stock
options, etc.). Il est recommandé que ce comité ne comporte aucun mandataire
social et soit composé d’administrateurs indépendants.
* Le comité des comptes ayant pour mission essentielle de procéder à
l’examen des comptes et de piloter la procédure de sélection des
commissaires aux comptes.
* Le comité de sélection ou de nomination est en charge de la composition
future des instances dirigeantes (sélection des nouveaux administrateurs,
succession de mandataires sociaux, etc.).
57- Bien évidement, ces recommandations développées pour les sociétés
cotées sont susceptibles d’être adaptées aux sociétés non cotées en fonction
de leur taille, de leur secteur, de leur structure juridique, etc.
2-3-1- La transparence des rémunérations des dirigeants
58- Selon l’article 225-102-1 du Code de commerce, le président de la
société doit présenter, chaque année, un rapport qui rend compte de la
rémunération totale et des avantages de toute nature versés durant
l’exercice à chaque mandataire social. 59- A l’origine, ces dispositions étaient applicables à toutes les
sociétés anonymes. La loi du 1er août 2003 a cantonné cette obligation aux
sociétés cotées et aux sociétés contrôlées par une société cotée.
2-3-2- La mise en place de procédures de contrôle interne des
sociétés
60- La Loi française de Sécurité Financière prévoit que le président
du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de la société
anonyme doit présenter à l’assemblée générale des actionnaires un rapport
qui rend compte des conditions de préparation et d’organisation des travaux
du conseil ainsi que des procédures de contrôle interne mises en place.
61- L’objectif du contrôle interne est de prévenir les risques de
fraudes notamment dans les domaines comptables et financiers.
62- Le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France) a précisé que le
rapport doit notamment faire apparaître l’organisation générale du contrôle,
les principales procédures de contrôle mises en place, etc.
2-3-3- Le renforcement des pouvoirs accordés aux actionnaires
63- Désormais, les actionnaires qui détiennent 5% du capital, et non
plus 10%, ont la possibilité de demander en justice la désignation d’un
expert de gestion.
64- En outre, l’expert de gestion peut être consulté sur des
questions concernant la société elle-même mais aussi les sociétés de son
groupe.
2-3-4- La participation plus importante des salariés au pouvoir de
l’entreprise
65- La loi NRE vise à renforcer les pouvoirs des salariés des
sociétés notamment à travers leur comité d’entreprise. Ainsi, dans les
sociétés anonymes, deux représentants du comité d’entreprise peuvent
désormais assister aux assemblées.
66- En outre, dans toutes les sociétés, le code du travail prévoit
désormais que les représentants du comité d’entreprise peuvent demander à
être entendus lors de toutes les délibérations requérant l’unanimité des
associés.
67- Enfin, les pouvoirs du comité d’entreprise sont renforcés en cas
d’offres publiques d’achat.
68- En conclusion : Le dispositif législatif français permet
d’assurer une meilleure transparence dans la direction et le contrôle des
sociétés. Il appartiendra aux dirigeants de comprendre en détail l’ensemble
de ces dispositions afin de mettre en place un système de gouvernance
efficace et dimensionné à leur entreprise.
2-4- Les apports de la législation tunisienne
69- Actuellement, le législateur tunisien travaille sur un projet de
loi sur la sécurité financière. On s’attend de ce projet notamment :
* Le renforcement du droit de contrôle des actionnaires à travers la
consécration des règles de bonne gouvernance.
* Le renforcement de l’indépendance du commissaire aux comptes à travers,
entre autres, l’instauration d’un système de rotation.
* L’instauration du comité d’audit dans le système de contrôle de la gestion
de l’entreprise.
* La dynamisation de la fonction du registre de commerce à travers
l’instauration de l’obligation de déposer les états financiers annuels au
registre de commerce.
* L’incitation des entreprises appartenant à des groupes la régularisation
de leur situation.
* La refonte de l’obligation de communication financière à la charge des
OPCVM et des sociétés cotées en Bourse.
3- Le besoin d’une sécurité financière
70- Rappelons que l’évolution du contexte économique mondial et la
globalisation des marchés financiers, passant par l’ouverture des capitaux
et le développement de l’actionnariat des entreprises, ont fait naître chez
les investisseurs une nouvelle exigence : la sécurité financière.
71- Dans ce cadre, les multiples crashs boursiers «tristement
célèbres», que nous avons observés de près ces dernières années confirment
dans les faits non seulement ce besoin mais surtout sa gravité et son
urgence.
72- C’est ainsi que les conséquences et mesures correctives se sont
concentrées sur le rétablissement de la confiance des épargnants en
cherchant à leur assurer le maximum de sécurité de leurs fonds investis sur
les marchés boursiers.
73- L’objectif de ces réformes est de limiter toute possibilité
d’induire les épargnants, investisseurs et bailleurs de fonds en erreur
quant à la santé financière de l’entreprise qui les intéresse.
74- Jusque là la manipulation des bailleurs de fonds s’est opérée,
d’une part, grâce à la faiblesse voire parfois l’absence d’un bon dispositif
de contrôle et de pilotage au niveau de l’entreprise et, d’autre part, à
travers la divulgation d’informations financières «maquillées». A titre
d’exemple, on n’hésite pas de publier des résultats bénéficiaires attrayant
(alors que l’entreprise est souvent déficitaire) et à minimiser les
engagements financiers (alors que l’entreprise est souvent surendettée). Ces
agissements se font sans trop se soucier des délits de distribution de
dividendes fictifs et encore moins de publication de faux bilans.
75- Pour avoir une sécurité raisonnable des levés de fonds, il faut
obligatoirement que l’investisseur dispose d’une information crédible et
fiable sur la santé financière et la rentabilité de l’entreprise qui
l’intéresse. Ainsi, la sécurité des fonds dépend aussi bien du mode de
gestion de l’entreprise que de la fiabilité de l’information financière.
76- Alors, quel est le dispositif permettant à la fois de sécuriser
la gestion et garantir la fiabilité de l’information financière ?
77- Pour répondre à la première partie de cette question, il convient
de rappeler que la gestion d’une entreprise, dans un environnement complexe
mettant en interrelation divers intervenants, est souvent confrontée à un
problème épineux qui est le partage des pouvoirs et des richesses.
78- Revenant de droit aux associés et investisseurs, ces richesses
doivent être bien gérées «en bon père de famille». Garantir cette bonne
gestion nécessite un bon procédé de gestion, un bon système de contrôle et
de pilotage. Ce dispositif est ce que les Américains appellent «the
corporate governance», c’est-à-dire la «gouvernance d’entreprise».
79- Pour répondre à la deuxième partie de cette question, il convient
de rappeler que, d’une façon générale, l’information financière est souvent
divulguée sous forme de communiqués, d’états financiers, de rapports
d’activité, de prospectus, etc. Elle résulte d’une chaîne complexe faisant
intervenir les cadres de l’entreprise et l’auditeur financier. Cependant, la
responsabilité de la garantie de la fiabilité de l’information financière
divulguée par l’entreprise, relève tout d’abord de l’organe de gestion mais
avec une nuance à préciser selon qu’il s’agisse d’entreprise cotée en Bourse
ou pas.
80- Sur le marché boursier, l’information financière est intimement
liée au cours boursier. La relation entre ce couple «information
financière/cours boursier» est reflétée clairement aussi bien au niveau de
la première cote (introduction en Bourse) que dans le cadre du suivi de la
gestion et de la vie de l’entreprise (après introduction). Tellement la
corrélation est importante entre l’information financière et le cours
boursier, les experts et investisseurs s’accordent à parler souvent de cours
dans le sens large englobant aussi et surtout cette information financière.
81- La responsabilité du cours boursier d’introduction reste partagée
et difficile à cerner entre l’organe de gestion de l’entreprise (à travers
l’information communiquée : prévisions, business plan etc.), et l’évaluateur
financier (à travers les travaux de due diligence, d’expertise, d’estimation
et d’extrapolation et/ou d’actualisation des données : donc de l’information
financière elle même).
82- Après introduction en Bourse, la responsabilité du cours boursier
est assumée en premier lieu par l’organe de gestion de l’entreprise qui est
le producteur de l’information financière. Etant le dernier maillon de la
chaîne de l’information, le commissaire aux comptes assume aussi une
responsabilité professionnelle dans l’accomplissement de ses diligences pour
certifier l’information financière. Entre ces deux responsables, la partie
est loin d’être facile.
83- Conscient de l’importance de l’efficacité du système de gestion,
premier pilier de la bonne gouvernance, le législateur français, à travers
la Loi sur la sécurité financière, consacre et met l’accent sur la
responsabilité et l’engagement de l’organe de gestion de l’entreprise. Dans
ce cadre, il insiste beaucoup sur deux aspects de première importance, à
savoir le contrôle interne et la gestion des risques, avant d’impliquer
d’autre dispositif.
84- Le COSO (Committee Of Sponsoring Organisation of the tradeway
commission), qui est une commission créée aux Etats-Unis dans les années
quatre-vingts pour débattre des problèmes liés à la fraude, a démontré que
parmi les facteurs susceptibles d’accroître la fraude dans les entreprises,
un contrôle interne déficient. Dans ce cadre, la commission a défini le
contrôle interne comme un processus collectif mis en place par la direction
et les salariés de l’entreprise, destiné à fournir une assurance raisonnable
quant à la réalisation des objectifs suivants :
* la réalisation et l’optimisation des opérations,
* la fiabilité des informations financières et la conformité aux lois et
règlements.
85- Pour mettre en place un bon système de risk-management, quatre
grandes étapes doivent être respectées :
* L’identification des risques menaçant les opérations de l’entreprise.
* L’évaluation selon deux critères : d’une part, la probabilité de
survenance du risque et, d’autre part, la gravité ou l’impact financier du
risque.
* Le choix stratégique : savoir si on conserve le risque parce que le risque
résiduel est acceptable, si on le transfère en l’assurant ou en
externalisant certaines fonctions, ou bien si on supprime l’activité
lorsqu’elle est trop risquée.
* La communication : une fois la décision prise quant à ce qu’on va faire
des risques, il faut en assurer le reporting et le suivi. Il faut que les
responsables des risques communiquent régulièrement la manière dont les
risques sont suivis afin de s’assurer qu’ils sont sous contrôle. C’est le
rôle du comité des risques et du risk-manager qui aura ensuite à communiquer
cette information à sa direction générale ou au comité d’audit.
86- Finalement, les principaux problèmes qui peuvent survenir dans
les entreprises ne se trouvent pas forcément dans les opérations
routinières. Bien souvent, les problèmes sont au niveau des directions
générales, au niveau de l’indépendance et de la compétence des
administrateurs, au niveau du gouvernement de l’entreprise. 87- Ainsi peut-on conclure que si la sécurité financière est un
besoin, la gouvernance est le dispositif moderne permettant de satisfaire ce
besoin.
OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques.
ICGN : International Corporate Governance Network. MEDEF : Mouvement des Entreprises de France. DTE : Développement, Transition, Emergente.
IDE : Investissements Directs Etrangers.