L’entreprise de Bill Gates semble bien décidée à en découdre avec le plus
important moteur de recherche au monde, Google et ses technologies web. Pour
ce faire, l’éditeur se réorganise pour faire de son portail MSN une
plateforme Internet incontournable.
Durant le procès antitrust intenté à Microsoft en 2000, figurait une note de
service datée de 1995 et intitulée «Le web est la prochaine plateforme»,
décrivant un scénario «cauchemardesque» à venir pour l’éditeur américain.
L’auteur de ladite note, Ben Slivka, ingénieur chez Microsoft, écrivait
ceci: «Le web… fonctionne actuellement comme un rassemblement de
technologies qui offrent des solutions intéressantes aujourd’hui, et se
développera rapidement dans les années à venir en une plateforme à part
entière qui concurrencera, voire surpassera, Windows».
A l’époque, Microsoft n’avait pas semblé accordé de crédit à ce qui pourrait
pourtant ressembler à une sorte d’avertissement, Bill Gates et les siens
ayant choisi, au contraire, de se focaliser totalement sur le système
d’exploitation de Microsoft. Une stratégie défendue par Jim Allchin, qui
supervise aujourd’hui le développement de la prochaine version de Windows.
Nous voilà une décennie après, et ‘’le cauchemar’’ menace aujourd’hui de
devenir réalité, ce qui pousse le management de Microsoft à prendre, enfin,
cet avertissement très au sérieux. Ainsi, dans le cadre d’une réorganisation
interne tout juste annoncée, l’éditeur veut donner aux services hébergés un
rôle plus stratégique, et son portail MSN est désormais intégré à la
division chargée du développement de Windows. Comprendre par-là que l’on
prend désormais le taureau par les cornes.
Et comme si cela ne suffisait pas, une autre note de service interne,
rédigée il n’y a pas si longtemps, enfonce le clou sur la stratégie de
l’éditeur. Titrée «Google: le gagnant rafle la mise, et pas seulement la
recherche», elle soutient ainsi que la société Internet menace l’éditeur et
son produit phare, Windows. Est-ce cela voudrait dire que la seule chose qui
a vraiment changé en dix ans c’est que le cauchemar de Microsoft porte
désormais un nom: Google ?. C’est le Rubicon que nous nous refusons de
franchir.
7 milliards de dollars de trésor de
guerre
Toutefois, cette guerre, qui se profile à l’horizon entre Microsoft et
Google, risque de faire des ravages. Les tribunaux américains, habitués aux
grands procès retentissants, seront sans doute appels à la rescousse…
Toujours est-il que certains analystes considèrent que Google, possédant une
armada de batteries d’ordinateurs en réseau et de logiciels basés sur le web,
‘’dépasse rapidement son activité traditionnelle de recherche’’. Et qu’il
semble à la veille d’une confrontation directe avec Microsoft et consorts.
Et cela ne semble lui faire peur, d’autant qu’il dispose d’un trésor de
guerre estimé à près de 7 milliards de dollars pour financer cette bataille.
Il vole même la vedette à Microsoft sur le plan technologique, allant
jusqu’à débaucher ses éminences grises ; une de ses forces. On se rappellera
des cas notamment Kai-Fu Lee, expert en reconnaissance vocale, et Adam
Bosworth, programmeur. Un tour que l’éditeur de Redmond a joué bien des fois
à ses concurrents dans les années 1980 et 1990. Que voulez-vous, l‘Occident
est ce qu’il est aujourd’hui, parce que la compétition fait partie de ses
valeurs, et ce sera ainsi pour toujours !
Cependant, l’entreprise d’Atlanta ne baisse pas les bras. Et pour cause : au
sein de Microsoft, la nouvelle organisation de MSN est en train de remettre
au goût du jour ce débat vieux de dix ans. Et là, une question essentielle
se pose : Si c’est le web, et non le PC, qui est la prochaine plateforme
informatique, comment doit se positionner Microsoft: l’accepter ou faire en
sorte que Windows reste au centre de l’univers informatique?
A ce niveau, il n’est pas sans intérêt de rappeler ce qui suit : au milieu
des années 1990, un groupe de partisans de l’Internet, mené par Brad
Silverberg, alors l’un des dirigeants de Microsoft, et Ben Slivka, soutenait
que l’éditeur ne devrait pas tout miser sur le PC. Mais au contraire battre
ses rivaux en devenant la plateforme dominante de l’informatique via
Internet.
Google : un géant né dans un dortoir
d’université
Ce débat interne était finalement remporté par des dirigeants comme Jim
Allchin, qui prendra sa retraite après la sortie de Windows Vista. Résultat:
le navigateur Internet Explorer a été intégré à Windows. Ensuite, une unité
distincte dédiée aux outils de développement web a été fusionnée avec
d’autres groupes de produits. Enfin, presque tout le développement des
technologies web de Microsoft a été lié à la plate-forme Windows.
Malheureusement, au vu des événements qui ont suivi, on se rendra compte
qu’il s’agissait d’une mauvaise décision. Certes, dans le même temps, AOL a
racheté un Netscape en très mauvaise forme. Mais depuis, alors que le
fournisseur d’accès représentait une menace majeure, il a perdu de son
importance. De son côté, entre l’exercice 1997 et la fin de l’exercice 2005
en juin, le chiffre d’affaires annuel de Microsoft est passé de 11,36
milliards à 39,79 milliards de dollars. Son bénéfice net a, quant à lui,
quasiment triplé, atteignant 12,25 milliards de dollars annuels.
Toutefois, le pire est peut-être à venir, car ses dirigeants ne pouvaient
pas prévoir, en 1997, la destinée d’un moteur de recherche développé cette
année-là par des étudiants. ‘’Né dans un dortoir de l’Université de Stanford,
Google est devenu incontestablement aujourd’hui un géant d’Internet qui
pourrait dépasser les 4 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel.
Selon Michael Gartenberg, analyste chez Jupiter Research, «en ce 21ème
siècle, Microsoft est confronté à une flopée de nouveaux concurrents qui
n’existaient pas il y a dix ans».
Le «dilemme de l’innovateur»
Les analystes ne se trompent pas en disant que Google rogne aujourd’hui la
domination technologique de Microsoft, en courtisant les développeurs de
logiciels tiers qui, pendant des années, ont écrit des programmes pour
Windows, et qui aujourd’hui intègrent de plus en plus les services Internet
de Google dans leurs applications web.
Pour les analystes donc, tel que Clayton Christensen, Microsoft se
trouverait face au classique «dilemme de l’innovateur». En effet, dans un
livre qu’il a publié récemment, Clayton Christensen explique pourquoi les
géants de la technologie ratent souvent la vague suivante en matière
d’innovation. S’agissant de Microsoft, ses dirigeants ont pris à l’époque ce
qui semblait être les bonnes décisions, d’autant plus que l’argent avait
coulé à flots. Le produit central, Windows, est devenu plus compliqué, et la
production de versions de mises à jour s’est avérée de plus en plus
difficile.
Clayton Christensen expose une théorie selon laquelle, avec le poids du
succès, il devient plus difficile de réagir à la génération suivante
d’innovateurs. Ainsi, il y a des années, Microsoft et Apple ont mis des
bâtons dans les roues d’IBM. Et aujourd’hui, certains pensent que Google
peut damer le pion à Microsoft en offrant une solution alternative moins
chère et plus conviviale. «À chaque fois, Microsoft attaquait par derrière»,
rappelle un ancien dirigeant. «Aujourd’hui, c’est lui qui se fait attaquer
par derrière, et il ne sait pas comment gérer la situation». Comme quoi, ‘’à
chacun son tour chez le coiffeur’’.
Mais avec son intelligence et sa capacité de rebond qui caractérise Bill
Gates, il est certain que la guerre ne fait commencer. Pourvu qu’elle
profite à nous autres pays en développement, qui dépendons largement des
technologies développées en Occident, essentiellement en Amérique. Alors,
pour l’heure, disons vive la compétition et la concurrence, de quelque
nature qu’elles soient !