En
vacances en Tunisie, le Président-Directeur Général de France Télécom, M.
Didier Lombard, a accepté, de répondre aux questions de Webamangercenter. Il
y évoque, entre autres, la question de l’évolution numérique, du partenariat
entre Tunisie Télécom et France Télécom et bien d’autres questions.
Entretien.
Pourquoi, France Télécom s’intéresse-t-elle à un marché aussi petit que celui
de la Tunisie ?
Nous
vivons actuellement une révolution au niveau du monde des télécoms, et
surtout une évolution de la téléphonie classique vers le réseau
numérique universel, dont la première version est l’Internet. Je dirais
qu’il faut mettre des dates dans l’histoire, et une des références, c’est
sans doute le Sommet mondial sur la société de l’information qui a eu lieu
en Tunisie le mois dernier et qui a permis aux gens de s’accorder sur
l’importante de l’Internet… Ceci pour dire que tous les systèmes de
communication du monde sont en train de basculer sur ce réseau numérique
universel, qui a une capacité de développement plus grande que tous les
systèmes antérieurs.
Donc, si vous me posez la question en termes de marché, je répondrais que ce
n’est pas la taille du pays qui compte, mais plutôt la réactivité et la
jeunesse des cadres du pays, de façon à pouvoir rentrer dans ce nouveau
monde de plain-pied et à toute vitesse ; la voie à suivre est celle de la
vitesse d’évolution, et si vous êtes capables d’y rentrer à toute vitesse,
vous pouvez devenir une espèce d’eldorado de ces types de technologies.
D’ailleurs, en période stable, si c’était 20 ans en arrière, où le marché
évoluait de seulement quelques petits pourcentages, là votre question aurait
été pertinente, mais puisque nous sommes dans un marché qui est en pleine
évolution, les nouvelles activités qui seront là dans deux ans n’ont rien à
voir avec celles qui sont actuellement en service, ce qui signifie un marché
de renouvellement rapide, et donc une rapidité de réaction, … tout cela est
fondamental.
Monsieur Lombard, si vous voulez bien, revenons à la question sur la taille
du marché. Pour un opérateur –dans n’importe quel domaine ou secteur
d’activité- il est vital de faire de la croissance. Comment un pays comme la
Tunisie, un petit marché et un pays où le taux de pénétration n’est pas
élevé, peut intéresser le Groupe France Télécom ?
Ecoutez, je vais vous tourner la question à l’envers. Un taux de pénétration
faible, c’est un potentiel de progrès important. Vous résonnez par rapport à
un réseau classique –mettons un réseau fixe-, alors vous pouvez bien
imaginer des technologies Wimax pour atteindre beaucoup des gens qui sont
actuellement non desservis… C’est donc plutôt une chance pour un
investisseur que le taux de pénétration soit faible, car cela veut dire
qu’il y a un potentiel élevé. Par contre, si vous êtes dans un pays saturé,
où 98% de la population a accès à toutes ces technologies, en ce moment
votre potentiel de croissance est faible.
En outre, puisque vous n’êtes pas encombrés par des vieilles technologies,
il est plus facile d’attaquer directement les zones non couvertes en y
déployant les technologies les plus modernes. C’est donc une double chance
et non un handicap.
Est-ce
que vous prévoyez des changements dans le domaine de la téléphonie mobile…
qui feront apparaître de nouvelles méthodes de communication ?
La
stratégie du Groupe que je dirige est celle de ‘’l’opérateur intégré’’,
c’est-à-dire qu’on utilise, vis-à-vis de nos clients, le rôle des moyens de
communications qui sont indépendants du support sur lequel ils sont assignés
; parce qu’on a transformé le client quasiment en
ingénieur. Autrement dit, ils sont en train de se demander s’ils utilisent
un mobile, s’ils vont le faire en 2ème ou 3ème génération, s’ils sont sur
Internet et sur quel opérateur… Si vous voulez, toutes les activités de
service que vous avez l’habitude d’utiliser quotidiennement, c’est la seule
activité de service dans laquelle on demande au client d’être un ingénieur.
A tel point qu’on en est arrivé à la conclusion que, sur les terminaux
mobiles sophistiqués ou non, que le client n’utilise, actuellement, que 20%
des capacité de ces terminaux.
Il faut donc qu’on bascule vers un monde de simplicité, ce qui veut dire
nous devons assumer la complexité chez nous (l’opérateur) ; ensuite, il faut
que la connectivité se fasse où qu’il (le client) soit avec le réseau le
plus pratique pour lui. Alors, quand il est chez lui, c’est toujours moins
cher de passer par le fixe, et s’il est dehors, il n’y a aucune raison qu’il
ne soit pas en réelle mobilité avec des connexions WiFi dans un
aéroport par exemple.
Puis, il y a d’autres systèmes qui arrivent, tel que le Wimax qui va
permettre de faire des nœuds à grande vitesse dans des périmètres de
quelques 20 km.
Donc, notre objectif, c’est d’avoir un client qui aura une puce et son
terminal, ce dernier se connectera sur le réseau le mieux adapté. Il ne
s’agit pas d’un nouveau type de système mobile, mais une complémentarité
entre tous les réseaux, ce qui va lui éviter d’avoir à ce souvenir du mot de
passe, de gérer des carnets d’adresses différents, etc… Cela va prendre un certain
temps, plusieurs années, car mettre la simplicité du côté du client
et la complexité chez l’opérateur, veux dire plusieurs millions d’heures
de développements informatiques. Mais je ne vois pas comment éviter cela ; je pense qu’on
va rentrer dans la normalité, et c’est comme ça que le monde des télécoms va
se valoriser et assurer sa croissance.
En
matière de Recherche-Développement, quelle est l’étendu de la
coopération entre Tunisie Télécom et France Télécom ? Autrement dit, est-ce
qu’il y a un transfert de technologies, ou bien il s’agit seulement de consommation/utilisation…
D’abord,
une chose que vous ne savez probablement pas, c’est que nous avons déjà 800
personnes qui travaillent pour nous en Tunisie, et pas sur des sujets de
petites technologies, mais sur l’une des hot line la plus difficiles à
savoir celle de la Livebox qui est un des outils que nous déployons chez nos clients sur
l’ensemble de l’Europe, des points d’accès de toutes les lignes fixes,
c’est-à-dire la passerelle domestique de toutes les lignes fixes… La
Livebox est un objet technologiquement assez compliqué engendrant
des difficultés de software ; quand c’est simple, c’est traité en Métropole
(en France), et quand c’est compliqué, ce sont des ingénieurs tunisiens qui
répondent à nos questions dans des centres d’appels. Ce qui est déjà le cas
et ce qui veut dire que votre image est fausse.
Autrement dit, les questions compliquées, du genre ystèmes
informatiques aigus… entraînant certaines difficultés d’utilisation, elles
sont traitées ici en Tunisie.
Ensuite, en matière de R&D, il faut savoir que France Télécom possède 17
laboratoires de recherches dans tous les pays où nous sommes implantés et
qui fonctionnent comme un réseau (à préciser que nous sommes présents dans
plus de 220 pays et territoires à travers le monde, mais dans 17 où nous
sommes principal opérateur) ; à travers ces implantations, nous cherchons à
bénéficier des acquis des ingénieurs de chaque pays pour venir renforcer
notre politique dans un autre pays.
Vous
faites partie des groupes pré qualifiés pour la privatisation de Tunisie
Télécom. Mais il se trouve que vous collaborez étroitement avec l’opérateur
depuis plusieurs années. Est-ce qu’on peut dire que France Télécom
est favori… ?
Je vous
rappelle que je suis en vacances… (Rire). Non, plus sérieusement, dans une
compétition internationale, la notion de favori n’existe pas ; il y a une
procédure, il faut faire une offre qui soit jugée la mieux disante par celui
qui la juge. La seule façon de me considérer favori à la fin, c’est si
jamais je gagne.
Il est vrai, par ailleurs, que nous avons des relations d’affaires
importantes avec Tunisie Télécom, puisqu’il y a beaucoup de trafic et
d’échanges entre les deux opérateurs de part et d’autre de la Méditerranée,
et donc on a des relations amicales avec nos collègues de Tunisie Télécom,
mais cela ne nous donne pas un avantage particulier dans ce type de
compétition…
Quelles sont les ambitions de France Télécom en Afrique, en général, et en
Afrique du Nord, en particulier ?
Ecoutez,
aujourd’hui un appel d’offres est ouvert, nous sommes candidat ; c’est ce
qui compte. Par ailleurs, nous sommes présent dans beaucoup de pays
africains… Il me semble que le continent africain dans son ensemble est un
gisement de croissance important –et on regarde cela avec une façon très
particulière-, parce que, comme je l’ai souligné plus haut, quelle que soit
la taille de l’économie d’un pays, je pense que les technologies de
l’information donnent une chance à des économies, même parfois difficiles,
de croître. Donc, on est présent dans certains pays, on va continuer à
l’être, en accordant une attention particulière aux considérations locales.
France
Télécom aurait-elle une politique Maghreb… ?
En fait,
les sujets vont se présenter les uns après les autres, et donc il n’y a pas
de politique spécifique par rapport à cela. Aujourd’hui, on est sur le sujet
tunisien, qui est bien identifié, bien séparé du reste. Lorsqu’un autre se
présentera, on verra. Vous savez, les grands rêves stratégiques sur
l’ensemble de la planète, ce n’est pas notre style de vie.
Parlons en quelques mots de France Télécom. Il semblerait que France Télécom
perde des clients par rapports à ses concurrents en France. Qu’en est-il au
juste ?
En fait,
la presse que vous avez lue ne donnait qu’une partie de la vérité, car, dans
la procédure de dégroupage, les gens passent avec un contact direct chez nos
concurrents, mais ils continuent à utiliser nos lignes ; ceci veut dire tout
simplement que le pack de lignes principales de France Télécom a décru de
moins d’un dixième pour cent depuis l’année dernière (2004, ndlr). Donc
il y a des clients d’un système où ils sont abonnés France Télécom ou d’un
autre opérateur, mais ils continuent à offrir un revenu à France Télécom à
travers la redevance de dégroupage. Donc, nous perdons très peu de lignes
principales.
A propos de Didier Lombard * Didier Lombard est diplômé de l’Ecole
Polytechnique et l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications.
En 1967, il débute sa carrière au CNET de France Télécom (actuellement
Division Recherche et Développement), où il participe au développement de
nombreux produits pour France Télécom dans le domaine des satellites, des
composants électroniques et des systèmes mobiles.
De 1988 à 1990, Didier Lombard est nommé directeur scientifique et technique
au ministère de la Recherche et de la Technologie.
De 1991 à 1998, il devient Directeur Général des stratégies industrielles au
ministère chargé de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.
De 1999 à mars 2003, il est Ambassadeur délégué aux investissements
internationaux et Président fondateur de l’Agence Française pour les
Investissements Internationaux.
En mars 2003, Didier Lombard intègre France Télécom en tant que Directeur
Général exécutif, chargé de la Mission Technologies, Partenariats
stratégiques et Nouveaux usages de France Télécom.
Le 27 février 2005, il est nommé Président-Directeur Général de France
Télécom.
Didier Lombard est, par ailleurs, administrateur d’Orange, de Thomson et de
Thales et membre du Conseil de surveillance de Radiall et de ST
Microelectronics.
Il est Officier de la Légion d’Honneur et Commandeur dans l’Ordre National
du Mérite.