C’est un
slogan, une campagne, une politique, un devoir, une obligation morale et
économique. Consommer tunisien est sur toutes les lèvres. Oui, il faut
consommer local afin d’encourager notre industrie, favoriser l’emploi,
stimuler notre économie.
Dans tout ce que je viens d’avancer (dont je n’ai rien inventé puisque je
n’ai fait que plagier), il n’y a rien d’indéniable. Seulement voilà, quand
je suis au magasin, au kiosque à journaux, à la boutique de jouets, il
m’arrive assez souvent, je l’avoue, d’oublier toutes ces jolies phrases.
Pourquoi ? Il se trouve que je suis nettement plus sensible à l’étiquette
affichant le prix du produit et à la qualité de ce que je vais acheter qu’à
toutes ces belles phrases prononcées ci-dessus.
Un responsable a indiqué dans une interview parue récemment que le Tunisien
a le devoir d’acheter un produit local, même si la qualité est moindre et le
prix plus cher ! C’est là où je suis étonné et où je ne marche plus. On veut
me dire et me convaincre que je dois payer de ma poche, à un prix plus
élevé, la mauvaise qualité de mes achats ? Et pourquoi donc ? On me dit que
c’est pour encourager l’emploi. Je l’admettrais volontiers dès lors que les
employés en question me respectent en tant que consommateur (je n’ai pas
écrit client sciemment) et font leur travail avec minutie, professionnalisme
et conscience.
On me dit que c’est pour encourager l’industrie. Je l’admettrais volontiers
dès lors que les industriels réduisent leurs marges bénéficiaires parfois
insolentes et ne favorisent plus le gain rapide en un temps record. On me dit que les produits
étrangers nous menacent. Je l’admets volontiers également, mais pourquoi
faut-il que le consommateur porte le poids de cette menace au lieu que nos
chers industriels aillent la porter aux consommateurs européens ? Après
tout, on est menacés par les produits étrangers, pourquoi nos produits ne
vont pas menacer les marchés étrangers ?
Je consomme tunisien volontiers et je n’hésite jamais un instant à le faire
dès lors que le rapport qualité/prix est à mon avantage. Car il y a des
faits avérés que certains feignent d’oublier. Mon compte en banque passe
avant tout. C’est égoïste direz-vous ? Oui, mais c’est la réalité du marché
et de la vie, et je ne connais personne de mon entourage qui irait acheter
un produit plus cher juste parce que c’est tunisien. Il le ferait
éventuellement pour une babiole de quelques centaines de millimes, mais
jamais quand il s’agit d’un achat de quelques centaines de dinars. Il le
ferait peut-être quand il s’agit d’un produit superflu ou de confort dont il
ne cherche pas vraiment la qualité, mais jamais quand il s’agit d’un
vêtement qu’il doit porter ou d’un aliment qu’il va manger.
Un ami à moi a acheté, il y a trois ans, des chaussures d’une marque
étrangères à 80 dinars (elles valent 100 dinars aujourd’hui). Il y a un
mois, il en avait un peu ras le bol de ne porter que celles-là et il s’est
décidé à aller en acheter une autre paire avec sa prime de rendement (il est
chanceux de toucher encore cette prime). Avec toutes les promotions
qu’on fait pour les produits locaux, il s’est décidé à acheter une paire de
chaussures tunisiennes. Il a fait rapidement son choix (il a trouvé de très
jolis modèles à son goût) dans un magasin à Tunis et il est sorti ravi avec
une paire à 68 dinars. Moins d’un mois après, il m’avoue ne plus les porter,
car elles ont commencé à rendre l’âme ! Un mois ! Telle est la durée de vie
de ces chaussures d’une grande marque !
L’histoire ne reflète certainement pas tous les produits tunisiens et encore
moins toutes les marques de chaussures. Il se peut même que mon ami soit
tombé sur une mauvaise marque (les miennes durent depuis quatre mois, mais
je vais devoir les amener bientôt chez le cordonnier). Seulement voilà,
autant je suis pour «le» consommer tunisien, autant je suis contre le fait
que cela se fasse à mes dépends et à mon détriment !
Qu’on nous donne de la qualité, qu’on marge honnêtement, qu’on respecte
l’éthique et le Tunisien consommera du Tunisien.
Et dans tout ce que je viens de dire, je n’ai pensé nullement aux produits
chinois manquant de qualité, mais bel et bien aux produits européens où la
qualité est supérieure et le prix très proche (parfois inférieure) aux
produits locaux.