Il
est admis partout dans le monde que les entreprises dites familiales ont
toujours joué un rôle moteur dans le développement du tissu économique. Mais
il est également admis que leur transmission d’une génération à une autre
est des plus délicates qui soient, ce qui engendre souvent leur disparition
au bout de la 3ème génération. Phénomène on ne peut plus inquiétant dans un
pays comme la Tunisie où les PME et autres entreprises familiales forment
l’essentiel du tissu économique.
C’est
justement pour attirer l’attention sur les risques et les enjeux de ce
phénomène que le Centre des jeunes dirigeants (CJD), en collaboration avec
l’Association tunisienne des grandes écoles (ATUGE) et la Chambre
tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI), a organisé le jeudi 2
février 2006, une journée de réflexion portant sur le thème : ‘’L’entreprise
familiale à l’épreuve de la transmission’’.
Compte tenu de l’importance du thème, les organisateurs ont pris soin
d’inviter deux officiels, à savoir le gouverneur de la Banque Centrale et le
secrétaire d’Etat auprès du ministre des Finances chargé de la Fiscalité.
Tout un symbole !
Il faut dire qu’au départ, les organisateurs sont partis d’un certain nombre
de constats.
Premièrement : au début des années 70, l’Etat tunisien a encouragé
l’initiative privée par l’octroi de lignes de crédit, ce qui a permi la
formation d’un tissu industriel relativement diversifié.
Deuxièmement : en 1987, sous la houlette des institutions financières
internationales, la Tunisie adopta le Plan d’ajustement structurel (PAS)
–remède ‘’miracle’’ sensé alors guérir le mal de développement des pays du
tiers monde- pour s’orienter vers une économie libérale au début des années 90,
et ce qui créa une nouvelle donne pour les entreprises industrielles…
Troisièmement, et conséquence de cette libéralisation, les entreprises
tunisiennes commencèrent à montrer quelques signes de faiblesse aux plans de
la productivité, de l’organisation managériale, de l’investissement dans
l’innovation et de l’investissement… Il ne pouvait en être autrement,
puisque, protégées qu’elles étaient, les entreprises se retrouvent d’un coup
face à une concurrence à laquelle elles n’étaient pas habituées.
Et comme la plupart des entreprises familiales ont été créées dans les
années 70/80, en plus des soucis de compétitivité, elles ont à affronter la
préoccupante question de la passation de pouvoir.
Mais que faut-il donc retenir de cette journée ?
Bien évidemment, il serait fastidieux de vouloir répondre de façon
exhaustive à cette question. Toutefois, on peut dire que cette rencontre a
permis de faire l’état des lieux ; et à notre sens, cela n’avait jamais
été fait auparavant. C’est donc un point positif, surtout que le CJD, par
la voie de son président, compte poursuivre ce travail.
Ainsi, nous apprenons à travers l’intervention de M. Mondher Khanfir, q’une
des forces des entreprises familiales, c’est justement le profond
attachement que leurs vouent leurs propriétaires. L’objectif de ces derniers
étant de développer leurs affaires dans une perspective
trans-générationnelle. Et M. Khanfir de souligner que les décisions
stratégiques dans les entreprises familiales couvrent des horizons plus long
terme que dans les entreprises non familiales. Ce qui contribue d’ailleurs
aux succès de bon nombre d’entre elles, et explique la tendance observée
dans les entreprises familiales à favoriser l’accroissement de la valeur au
sein de l’entreprise.
Par ailleurs, M. Khanfir s’attardera sur le rôle du fondateur, dont la
vision est l’élément clé de la pérennité de l’affaire familiale. La manière
dont le fondateur arbitrera les conflits entre intérêts de l’entreprise et
ceux de la famille aura un impact important sur le développement de
l’affaire.
Toujours dans le même ordre d’idées, Mondher Khanfir parlera de différents
schémas possibles de la transmission, qui doivent à terme conduire à une
scission entre les trois sphères, à savoir le management, l’actionnariat et
la famille.
Pour M. Khanfir, il est clair que la création d’un marché de la transmission
«hors famille» devrait contribuer à sauver un plus grand nombre
d’entreprises familiales.
Ainsi, en plus des différentes formes et caractéristiques de l’entreprise
familiale, il faut admettre avec M. Maher Kallel que la transmission de
l’entreprise familiale est avant tout un enjeu humain : réticences de la
génération qui est aux commandes à «passer la main» au bon moment tant en ce
qui concerne le capital que la direction de l’entreprise ; incapacité à
attirer et à retenir des successeurs motivés et compétents au sein de la
famille ; rivalités fraternelles qui échappent à tout contrôle et
interdisent tout consensus sur le choix du successeur ; existence de
tensions non résolues entre les cultures respectives de la famille, du
conseil d’administration et de l’entreprise ; incapacité à financer la
croissance sans provoquer une dilution du capital familial (la détention de
la totalité du capital étant considérée comme un principe sacro-saint par de
nombreuses familles).
Pour Adel Grar, les points de fragilité des entreprises familiales sont :
– le blocage de la croissance pour insuffisance de capacité de financement ;
– certains membres de la famille sont plus concernés par la rémunération que
par l’avenir de la société ;
– pour maintenir le contrôle de la majorité relative, on refuse certains
investissements ;
– l’incapacité du fondateur à planifier son départ signe souvent l’arrêt de
mort d’une société ;
– la centralisation du pouvoir conduit à une utilisation non optimale des
ressources humaines au sein de la société.
Cependant, l’entreprise familiale recèle également plusieurs aspects
positifs : elles sont fortes parce qu’il y a en elles, souvent, un profond
attachement sentimental des propriétaires à leur affaire ; il y a aussi
l’objectif de création de richesses comme condition de survie de
l’entreprise et comme moyen de “maximiser” d’autres valeurs (entrepreneuriales
ou familiales, par exemple) ; une stratégie d’entreprise bien formulée ; une
culture du changement…; le recours à des systèmes de gestion, et
l’utilisation d’indicateurs de performance et de référentiels de management
formalisés.
Par ailleurs, au plan législatif, on retiendra avec Fayçal Derbal que
la législation ne contient aucun chapitre consacré à la transmission de
l’entreprise familiale proprement dite, mais que, en attendant, on peut se
contenter de ce qui existe concernant les différentes formes de cession et
transmission d’entreprise quelconque –qui peut tant bien que mal cadrer avec
la transmission d’entreprises familiales.
En fin de compte, à l’absence d’une solution législative, il serait
judicieux de retenir les solutions proposées par M. Maher Kallel, à savoir
‘’manager les conflits, définir clairement et à l’avance les règles et les
procédures, mettre en place un Conseil d’administration, ou d’un Conseil de
famille…’’.
Et M. Kallel de recommander de :
–
prendre un avocat de famille (suivi rigoureux de la question de la gestion
du patrimoine) ;
– prendre un conseiller externe et même introduire des membres externes à la
famille dans le conseil d’administration ;
– assurer une transparence totale ;
– s’assurer que le successeur croit dans l’entreprise, ses valeurs et jouit
d’une crédibilité et d’une confiance similaire à celle du fondateur ;
– préparer la transmission, c’est préparer l’avenir. Devenir patron ne
s’improvise pas (EDM, IMD).