Le
Sommet Mondial sur la Société de l’Information a été une excellente
opportunité pour afficher l’objectif de la Tunisie de devenir un leader
régional dans le secteur des TIC. D’autant que pour une fois, les opérateurs
locaux des secteurs privé et public ont eu la chance d’échanger des idées et
des informations sur ce qui ce fait de mieux et les tendances dans la
société mondiale de l’information, avec d’éminents spécialistes et
représentants d’institutions internationales. La leçon qu’il faut retenir de
ce sommet est que le développement d’une société de l’information est lié à
un secteur TIC national fort. C’est même le fondement d’une société de
l’information viable. Pour y arriver, la Tunisie sera amenée à bien
comprendre les forces et faiblesses de son secteur TIC, et d’identifier
ensuite la meilleure manière de promouvoir un plan de développement sur le
long terme de la société de l’information tunisienne.
Cet article comporte deux parties. La première analysera le secteur des TIC
du point de vue de l’off-shore tandis que la deuxième partie sera consacrée
à l’on-shore.
1) Le marché international des TIC off-shore.
Le boom des TIC « off shore » ces dix dernières années est du principalement
à l’internationalisation de la production de software. Ce processus est
comparable à celui observé dans l’industrie manufacturière au cours des
années 80 lorsque la recherche du moindre coût incitait à la production
transnationale. Le phénomène de « l’usine software » a permis aux firmes
technologiques de délocaliser les activités de production de software dans
les pays offrant une meilleure qualité/prix que leur pays d’origine. Les
activités de la chaîne de valeur liées aux clients telles que la conception,
le marketing/vente et le service/maintenance restant dans le pays d’origine
et contrôlées par les firmes multinationales.
Le pays ayant profité le plus de cette tendance est l’Inde. Les autres pôles
d’attraction importants sont l’Irlande en Europe, le Brésil et le Chili en
Amérique du Sud ainsi que les nouveaux pays industrialisés d’Asie du Sud-Est
comme Singapour, la Malaisie et la Corée. La plupart des projets TIC
off-shore concernent le traitement de données, le développement de « codes
source », la programmation et le développement d’applications web.
Ces pays ont été très efficaces sur un point: attirer de gros
investissements de la part de firmes multinationales. Le dernier rapport des
Nations Unies sur les Investissement Directs Etrangers définit les sept
facteurs principaux qui influent sur le processus de délocalisation de
services TIC. Il est important de noter que le coût, un des points forts de
la Tunisie, n’est pas considéré comme étant aussi déterminant que
l’accroissement de la taille du marché ou l’accès à une main d’œuvre
qualifiée.
L’avantage traditionnel de la Tunisie, c’est-à-dire sa proximité
géographique avec l’Europe, n’est pas un avantage décisif pour le secteur
TIC depuis qu’Internet a aboli le problème du temps et de la distance
physique. Aujourd’hui, Internet permet à n’importe qui, grâce à un simple «
click », de se retrouver n’importe où dans le monde. Les TIC sont un secteur
basé essentiellement sur la connaissance, ainsi l’individu est le bien le
plus important dans une firme IT. Ainsi, les avantages compétitifs de la
Tunisie doivent être principalement fondés sur le savoir-faire de ses
professionnels en TIC.
2) Le développement des avantages compétitifs
Malgré sa nette expansion, la capacité à l’export du secteur TIC tunisien
est très limitée. En l’an 2000, les exportations étaient estimées à environ
16MDT, dont 75% provenant d’une seule et unique firme. En 2002, moins de 10%
de l’ensemble de la main d’œuvre (510 employés) ont travaillé dans 47
projets à participation étrangère.
Le secteur TIC tunisien montre une faiblesse dans sa stratégie de
développement à l’export, combien même les nombreuses initiatives initiées
par le gouvernement pour le renforcement d’un marché TIC local, quasi
inexistant il y a quelques années. Exonérations pour l’importation de biens,
subvention à la prospection des marchés étrangers ainsi que l’exonération de
la taxe associée à la formation de l’entreprise en sont des exemples. Les
parcs technologiques, comme le Pôle des Technologies et de la Communication
d’El Ghazala, ont créé “des maisons vertes ” où les entrepreneurs disposent
de conditions favorables pour l’installation de firmes TIC. Ces efforts ont
produit de bons résultats en termes de nombre d’entreprises créés.
Cependant, un développement plus soutenu exige un plan stratégique cohérent
et consistant qui aborde les questions principales concernant le secteur :
S’éloigner des avantages liés aux bas salaires : Les salaires des
spécialistes tunisiens en TIC sont très faibles comparés à ceux des pays
développés, et ce comme dans plusieurs secteurs industriels tunisiens. Par
exemple, le coût moyen de l’heure d’un spécialiste TIC tunisien est de 8.8
Euros quand celle d’un français est de 70 Euros. Malgré cet avantage relatif
par rapports aux pays européens, la compétition pour la délocalisation ou la
réalisation de projets provient de pays sous-développés avec lesquels les
salaires tunisiens n’offrent pas un avantage clairement compétitif. C’est le
cas de Maroc, avec qui la Tunisie est moins chère de seulement 11%.
Améliorer le coût total de production : Des salaires bas représentent
seulement l’un des déterminants du coût de production dans le secteur IT.
Les procédures et processus de développement peuvent influencer énormément
le coût total de production d’un software. Le « Best in class » processus et
méthodologie sont deux des facteurs clés dans la création de capacités de
production de software à faible coût. Par exemple, les « bebuggage » et
correction des fautes représentent généralement 50% du temps de
développement, et les problèmes résolus en retard durant le processus de
développement peuvent coûter de 50 à 200 fois plus d’effort qu’un problème
résolu immédiatement. Le tout sans mentionner l’impact que peut avoir sur la
satisfaction du client et la réputation de l’entreprise, un développement de
mauvaise qualité. Mis à part quelques firmes, le manque de connaissances en
terme de processus et de management de projet peut facilement miner les
avantages liés au salaire aux yeux des compagnies TIC multinationales.
Améliorer le niveau de qualification: L’absence d’une main d’oeuvre
abondante et très qualifiée limite la gamme de services que les compagnies
tunisiennes sont capables d’exporter. Un personnel ayant un niveau de
formation basique limite les services de l’entreprise au traitement des
bases de données, la programmation basique et la génération de « codes
source ». L’offre de services plus spécialisés (applications pour
technologie mobile par exemple) reste limitée.
Centrer la capabilité de production sur des marchés « niches » . La taille
des entreprises TIC tunisiennes est trop réduite pour mener à bien de grands
projets de développement de logiciels. La majorité des employés du secteur
TIC travaillent dans des entreprises de moins de 10 employés (300
entreprises sur 345). En 2002, seul 510 professionnels, soit 8% de la
totalité des employés du secteur travaillaient dans 47 firmes à
participation étrangère. De plus, l’afflux annuel de mains d’œuvre dans le
secteur est très petit comparé aux autres fournisseurs TIC internationaux.
Environ 800 nouveaux professionnels TIC intègrent chaque année le marché de
l’emploi, dont seulement 22% sont des développeurs de software. L’Inde, par
exemple, a 67 000 professionnels en TIC de plus par an (83 fois le nombre de
diplômés tunisiens) avec un système éducatif de plus de 850 instituts de
formation. Cette situation limite le potentiel tunisien à être un lieu
stratégique d’investissement pour les grandes compagnies internationales de
software, une des forces motrices du processus d’internationalisation de
l’industrie des TIC. Malgré tout, une stratégie de développement basée sur
la spécialisation pourrait aider le secteur à centrer ses ressources sur des
marchés niches où des avantages significatifs peuvent être développés.
3) Les risques d’une stratégie de développement basée uniquement sur les
exportations:
Suivre un modèle de développement « off-shore » (semblable à celui mis en
place par l’industrie manufacturière) peut, par conséquent, représenter un
risque pour l’économie tunisienne en général. Le secteur TIC est plus qu’un
simple secteur d’activité qui contribuant au PIB du pays ; il joue un rôle
critique dans le développement efficient de quasiment toute l’activité
économique. Le succès d’un bon nombre d’entreprises est directement lié à
leur stratégie TIC du fait que leurs avantages compétitifs sont de plus en
plus basés sur le niveau d’intégration technologique, la gestion des
connaissances et le « time to market ».
Quelques analystes croient que ce retard accumulé en terme d’informatisation
des entreprises tunisiennes est estimé de 7 à 10 ans, alors que le retard en
capacités techniques du service engineering des firmes TIC par rapport aux
normes internationales est estimé à 3 ans. Cette situation est liée à ce que
la plupart des investissements des PME se font en achetant du matériel
informatique, alors que l’investissement spécialisé dans les logiciels de
Supply Chain management, workflow et ERP est encore très limité et dans
plusieurs cas dévalorisé. La faible adoption des TIC par les entreprises
tunisiennes est surtout le fait de sa faible productivité par rapport à
leurs homologues européennes.
Un secteur TIC pour le marché local peut, bien plus qu’un secteur TIC
orienté à l’export, jouer un rôle décisif dans la construction d’avantages
compétitifs pour l’ensemble de l’économie tunisienne.