Les Allemands voient
l’économie en rose, les experts tempèrent
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Des ouvriers du
bâtiment à Berlin, le 5 janvier 2006
Prévisions de croissance 2006 revues à la
hausse, moral partout au beau fixe : tout semble sourire à l’économie
allemande, mais cet optimisme fait trop facilement l’impasse sur les graves
problèmes structurels, préviennent les six grands instituts de conjoncture.
Mardi on apprenait que le moral des patrons
allemands frisait l’euphorie, mercredi que l’optimisme des consommateurs
était à son plus haut depuis cinq ans, jeudi que le chômage avait été marqué
par un recul en avril.
Le même jour, les six principaux instituts de
conjoncture du pays, dont l’avis fait référence, ont relevé leur prévision
de croissance économique pour 2006 à 1,8%, contre 1,2% auparavant.
Après des années de morosité, les Allemands
veulent vraiment croire à la reprise. Et au premier abord, les chiffres
parlent le même langage. Une croissance du produit intérieur brut de 1,8%
cette année, telle que la prévoient les instituts, serait deux fois plus
forte que les minces 0,9% de 2005, et la plus élevée depuis 2000.
“L’économie allemande est au printemps 2006
dans une phase de plein essor”, a déclaré jeudi Eckhardt Wohlers, de
l’institut hambourgeois HWWA, lors de la présentation du traditionnel
rapport de printemps des instituts. Les exportations continuent à tirer la
croissance, les consommateurs reprennent le chemin des magasins et le marché
de l’emploi connaît une petite amélioration.
Comme pour lui donner raison, l’Agence pour
l’emploi a annoncé une baisse du taux de chômage brut à 11,5% en avril,
contre 12% en mars.
Mais, commentait cette semaine le ministre
social-démocrate des Finances Peer Steinbrück, “en Allemagne les jugements
sont toujours assortis d’une certaine démesure”. Après des années de
morosité, ses compatriotes voient la situation de façon “trop rose”, selon
lui.
C’est aussi l’avis d’un certain nombre
d’économistes, au premier rang desquels les experts des six instituts
eux-mêmes. “Les problèmes fondamentaux demeurent”, pour M. Wohlers, “la
faiblesse de la croissance ne va disparaître à court terme”.
Et de citer le chômage, qui touchera toujours
4,4 millions de personnes en 2007 selon les prévisions, mais aussi les
déficits chroniques des caisses de sécurité sociale et de retraite, et les
finances publiques en déroute. “Le besoin d’une politique économique active
n’a pas diminué”, ressort-il des conclusions du rapport, qui demande des
réformes radicales.
D’après les six instituts, dès 2007 la
croissance va retomber à 1,2%, principalement sous l’effet de la hausse
prévue, de 16 à 19%, du taux de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au 1er
janvier prochain. Sur le marché du travail, “la dynamique n’est pas telle
que la situation ait changé”, a renchéri Joachim Scheide, d’un autre des six
instituts, l’IfW.
Effectivement, les chiffres du chômage d’avril
renvoient plus aux températures clémentes de ces dernières semaines qu’à une
amélioration structurelle, “mais on n’assiste pas encore à une reprise de
l’emploi”, a reconnu jeudi Frank-Jürgen Weise, le président de l’Agence pour
l’emploi.
Le gouvernement de coalition d’Angela Merkel,
en place depuis l’automne, est crédité d’une partie de l’optimisme ambiant.
“La coalition bénéficie d’un ‘bonus de confiance'”, selon M. Wohlers. Mais
“elle ne devrait pas le gâcher”, a-t-il prévenu.
Or, c’est ce qui risque fort de se passer si
Berlin s’entête à vouloir augmenter les impôts, et en premier lieu la TVA,
préviennent les économistes. “Les instituts jugent que c’est la mauvaise
voie”, a commenté M. Wohlers. Pour M. Scheide, de l’IfW, “il n’y a pas de
concept” à l’heure actuelle pour vraiment faire repartir l’économie.