Un visiteur s’apprête à
toucher un écran simulant une surface aquatique, le 28 avril 2006 au
salon de la réalité virtuelle à Laval
De l’eau virtuelle que l’on saisit dans une coupelle, de petits nains
numériques avec lesquels on joue, un écran élastique où l’on s’enfonce
littéralement dans l’image: l’art virtuel japonais rend la technologie
vivante.
“Please touch the screen” (Merci de toucher l’écran). Les oeuvres d’art qui
jalonnent l'”allée japonaise”, au salon international de réalité virtuelle à
Laval (Mayenne), ne sont pas de celles que l’on protège derrière une
vitrine. Au contraire, c’est l’action du spectateur qui les anime.
“La réalité virtuelle ouvre un espace complètement différent où l’oeuvre
devient dynamique”, où “l’auteur n’est plus unique”, souligne Alain Grumbach,
professeur d’informatique à l’Ecole nationale supérieure des
télécommunications à Paris et spécialiste de l’art virtuel. Les spectateurs
“trouvent l’émotion au travers des images mais aussi dans la possibilité
qu’ils ont d’en modifier le cours”, note-t-il.
L’effet en est presque magique. Curieuse sensation que de plonger une
cuiller de bois dans un bol vide, sous l’oeil de la caméra, et de la voir
simultanément jouer avec une eau pure sur l’écran de retransmission (“Wet-Free
Water”, Nara institute of science and technology, Japon).
Etrange émotion que de pousser une boîte de thé sur la table et de ressentir
la résistance… de minuscules lutins virtuels qui s’opposent de toutes
leurs forces au mouvement et que l’on ne peut distinguer qu’à travers une
petite fenêtre de bois (“Kobito virtual brownies”, Tokyo institute of
technology).
Un peu plus loin dans l’allée, Norimichi Idehara, professeur associé de
sciences de l’information à l’Université Tama de Tokyo, s’inquiète pour sa
planète virtuelle, écosystème sous globe dont “les entités vivantes semblent
destinées à l’extinction” en dépit des mouvements générateurs de pluies
qu’impriment les visiteurs du salon
“C’est de la magie mais les gens savent très bien qu’il s’agit de
technologie”, remarque la professeure Machiko Kusahara, du département
“Lettres, arts et sciences” de l’Université Waseda à Tokyo. “On ne cherche
pas à la dissimuler”.
En grande vogue au Japon, “ces objets tiennent souvent du gadget, mais ils
sont conçus avec une intention artistique soigneusement étudiée”,
relève-t-elle. “Les artistes produisent des produits commerciaux pour la vie
de tous les jours, ils cherchent à atteindre l’audience la plus large
possible”.
Dans la culture japonaise, il n’existe en effet aucune barrière entre un art
qui serait noble et le reste, explique Mme Kusahara. L’art technologique
correspond à cette tradition d’esthétique dans la vie quotidienne, de
“beauté dans l’outil”.
Le bol d’eau virtuelle attire ainsi par la simple beauté de l’image, le son
clair de l’eau qui coule et éclabousse. Pourtant, ni la caméra qui
enregistre le mouvement réel, ni l’ordinateur qui calcule celui du liquide
imaginaire ne sont dissimulés. L’objet constitue d’ailleurs une prouesse
technologique.
Les petits nains de la boîte à thé, eux, sont déjà commercialisés. “Imaginez
votre vie avec Kobito”, dit la publicité sur internet. “Ils vous
réconforteront quand vous en aurez besoin”.
Au bout de l'”allée japonaise”, l’installation d’Hideaki Ogawa imprime sa
marque philosophique. Des sabliers de “Perfect Time” (temps parfait)
s’écoule un fin rideau de grains dorés qu’éclairent en transparence les
projections symbolisant le temps qui passe. Si personne ne verse le sable,
on ne voit rien. La perception du temps est suspendue: le virtuel n’existe
que dans l’interaction entre l’homme et l’objet.