On en parle peu, mais la
Tunisie dispose d’un important gisement d’eaux de source ou d’eaux froides,
connues sous l’appellation ‘’thermalisme’’. Au moment où de plus en plus de
maladies dues aux différentes activités de la vie moderne font leur
apparition, le domaine du thermalisme est sollicité de toute part.
D’ailleurs, en novembre dernier, lors de son discours pour le 18ème
anniversaire du Changement, le chef de l’Etat a ordonné non seulement le
lancement d’une étude globale sur le secteur, mais également la construction
de deux stations thermales.
En même temps, une coopération internationale multiple avec certains pays se
met en place.
Pour en savoir davantage, nous avons rencontré le Directeur général de
l’Office du thermalisme, M. Daoues Frej, homme de terrain, méthodique et qui
a laissé son empreinte partout où il est passé. La station balnéaire de
Sousse El Kantaoui peut en témoigner. Il nous dit tout sur l’état des
lieux, et les perspectives du secteur, mais également son ambition voire son
dessein –implicitement cela s’entend-, à savoir faire de la Tunisie une
destination thermale dans le Bassin méditerranéen ! Mais aura-t-il les
moyens de ses ambitions ?
Pourriez-vous présenter à nos
lecteurs le secteur du thermalisme en Tunisie ?
Frej Daouas : Pour l’Office du thermalisme, qui est devenu aujourd’hui
pratiquement l’autorité directe sur le secteur, soit pour les eaux de source
ou pour les eaux froides, son rôle c’est d’abord contrôler la qualité de
l’eau qui touche directement à la santé de la population, mais également de
développer au maximum le secteur aussi bien pour la santé que pour le
tourisme.
Et dans les traditions tunisiennes depuis la nuit des temps, les familles
tunisiennes se déplacent dans les endroits où l’on trouve des sources
naturelles et riches pour des soins naturels, que ce soit pour le
rhumatisme, la dermatologie, l’ORL, soit pour des soins rénaux. En général,
le malade est souvent accompagné de sa famille qui, à l’occasion, profite
pour faire du tourisme local.
Il est reconnu par tous les spécialistes que la Tunisie dispose d’une
importante et bonne eau thermale, comme la zone de Kourbous dans le
gouvernorat de Nabeul, Hammam Bourguiba dans le gouvernorat de Jendouba,
Jbel Oust dans celui de Zaghouan, Jerba (où le promoteur a pensé à tout être
humain, car la station est construite à 50% pour les gens normaux et 50%
pour les gens handicapés), sans oublier d’autres sources de moindre
importance tels que Hammam Zriba, Hammam Bent Jedidi, Hammam Mellègue,
Hammam Sayala ou Hammam Chefia, etc. Pratiquement, on trouve de l’eau
thermale dans tous les gouvernorats de Tunisie.
Que fait l’office pour valoriser
toute cette richesse ?
L’Office du thermalisme, avec l’aide financière de l’Etat, a fait des études
hydrologiques, de reconnaissance de source en analysant l’eau thermale afin
de déterminer la composition chimique de chaque source. Les données
recueillies ont été illustrées sur des brochures, dans une première phase,
puis sur des CD et qui ont été présentés à chacun des gouvernorats (environ
50%) dans l’objectif de les intégrer dans le cadre du développement
régional. Car cette ressource naturelle offre d’énormes possibilités non
seulement pour la création de l’emploi, mais également pour
la population.
Qu’ont-ils fait de ces données, ces
gouvernorats ?
Cela commence à donner des résultats, puisque pour le 11ème Plan, nous avons
deux grands projets à réaliser : le projet d’El Khbeyet à El Hamma de Gabès
et celui de Hammam Mellègue dans le gouvernorat du Kef, auxquels vont
s’ajouter d’autres petits et moyens projets dans d’autres gouvernorats.
En quoi consiste ces deux projets ?
El Khbeyet à El Hamma de Gabès est un ensemble de hammams populaires connus
pour leurs eaux thermales ; ils sont fort visités par la population
tunisienne mais aussi par des touristes étrangers, notamment algériens et
libyens compte tenu de la proximité de ces deux pays et la facilité de
développement essentiellement par voie terrestre.
Pour revenir au projet proprement dit, El Khbeyet est projeté sur un terrain
nu qui représente la construction d’une ville thermale avec toutes ses
composantes, tous les équipements collectifs : la station thermale, un
hôtel, trois genres d’appartement (isolés, jumelés et groupés), un jardin
d’enfants, une mosquée, un centre de congrès, des commerces, ainsi que des
habitations du personnel qui va travailler dans cette ville thermale.
Géographiquement, cette ville sera située sur la route de Kébili (à 12 km de
Gabès vers Kébili). Et d’après les essais qu’on a effectués jusqu’à présent, on
est à 70 l/s et une température de l’eau atteignant les 65% environ. C’est
donc très bénéfique en termes de soins et de cures, notamment pour le
rhumatisme -puisque l’eau est très chargée en phosphore, calcium et en
calcaire- et pour le dermato, l’ORL et autres maladies gynécologiques.
L’investissement global est estimé à environ 20 millions de dinars, dont 4
millions de dinars pour l’extra muros (avec une participation direct de
l’Etat), et 16 millions de dinars dans le cadre du projet (ou investissement
intra muros).
Concernant le projet Hammam Mellègue, je puis me permettre d’annoncer déjà
que, dans son budget 2006, le gouvernorat du Kef a prévu la construction de
la route qui mène à la station (pour 1 million de dinars), puisqu’elle se
trouve à 12 km de la ville du Kef.
Il faut signaler que Hammam Mellègue est connu depuis l’époque romaine, et
il est visité à la fois par les populations locales et par des étrangers.
Comme pour El Khbeyet, l’eau de Hammam Mellègue est réputée pour plusieurs
cures, mais essentiellement pour les maladies gynécologiques.
Du point de vue infrastructure, il y aura la construction de la station
thermale et d’un hôtel d’une capacité moyenne d’environ 150 lits afin
d’offrir les meilleures conditions de séjour pour les résidents et pour les
curistes.
Pour l’heure, le schéma d’investissement n’est pas encore arrêté, puisque
l’étude de faisabilité n’est pas achevée.
Mais il ne s’agit pas des seuls projets, car il y a d’autres projets de
moindre importance dans d’autres gouvernorats et qui seront réalisés par des
privés. Au niveau de l’Office, nous suivons de très près tous les projets,
et nous avons fini de préparer les plans types de construction
des hammams à base thermale tout en laissant la liberté absolue aux régions
d’adopter à la structure régionale aux hammams sous forme de station
thermale.
A travers ce que vous dites là, on en a l’impression qu’il y a une stratégie
nationale en termes de thermalisme qui se met en place aujourd’hui. Est-ce
vraiment le cas ?
Évidement. Pour preuve, lors de son discours à l’occasion du 18ème
anniversaire du Changement, le président Zine El Abidine Ben Ali a ordonné
le lancement d’une étude stratégique pour le secteur thermal mais aussi la
mise à niveau des stations thermales existantes.
C’est l’Office du thermalisme qui est chargé de l’élaboration de cette
étude et du programme de mise à niveau des stations thermales dont le
résultat final sera présenté au ministère du Tourisme.
Par ailleurs, il faut savoir que le thermalisme est devenu une culture, et
traditionnellement, cette culture vise à éviter à la population la
consommation –parfois abusive- des médicaments. Les résultats sont palpables
et ce pour tous les genres de maladies que j’ai citées plus haut.
Aujourd’hui, près de 4 millions de Tunisiens soit plus de 40% de la
population tunisienne se déplacent chaque année dans les stations thermales
ou des bains à base de l’eau thermale. C’est pour cette raison, et dans le
cadre du développement du tourisme intérieur en Tunisie –qui est devenu très
diversifié-, que l’Office du thermalisme se donne pour objectif de
développer le thermalisme dans tous ses aspects au niveau des sources
existantes, enrichissant ainsi le tourisme de santé dans le pays. Car, à la
différence de la thalassothérapie, le développement du thermalisme doit se
faire à partir des sources naturelles existantes ; et 20 ans en arrière,
l’accès à ces sources était extrêmement difficile faute d’infrastructures.
Mais aujourd’hui, cet accès est facilité dans l’ordre de 95%
(les 5% restants seront faits dans le cadre de l’aménagement global du
secteur).
Alors, est-ce que les privés
s’intéressent à ce secteur ?
Tout à fait, beaucoup de privés s’intéressent au secteur thermal et veulent
y investir, et nous espérons que le 11ème Plan va donner un coup
d’accélérateur au développement des stations thermales.
Dans ce cas, qu’auriez-vous envie de dire aux privés qui hésitent ou qui
pensent que le thermalisme n’est pas rentable ?
Comme je l’ai déjà souligné, je pense que le thermalisme –surtout sous sa
forme moderne ou modernisée- offre des belles perspectives en matière de
tourisme en Tunisie. Pour les privés, leur première satisfaction c’est
d’offrir des conditions thermales nécessaires avec un personnel qualifié
pour les soins. Et aujourd’hui, l’université tunisienne a créé
des disciplines pour la formation universitaire en kinésithérapie, en
analyse des eaux (de source, de mer…).
Puis, il faut travailler sur le plan commercial ; et là, nous saisissons
toutes les opportunités pour participer aux différents salons et foires
touristiques qui ont lieu un peu partout dans le monde afin de promouvoir le
produit et surtout faire comprendre qu’on a le thermalisme en Tunisie, tout
en faisant des actions promotionnelles auprès des marchés notamment
asiatiques (Chine, Japon…), parce que ce genre de clientèle ne cherche pas
la mer mais le tourisme culturel, écologique, de santé. Pour ce faire, il
est indispensable de se rapprocher des organismes décideurs qui sont à même
de drainer plusieurs milliers de clients intéressés par le tourisme de
santé, d’autant plus que dans presque tous les pays de par le monde, il
existe des prises en charge de ce genre de tourisme.
C’est pourquoi nous faisons tout notre possible afin de faire connaître la
destination Tunisie comme une destination touristique en général mais comme
une destination thermale en particulier. Nous avons l’offre thermale, et
nous cherchons à la faire connaître auprès de ces marchés.
Certes, aujourd’hui, le budget consacré à la promotion du produit thermal
par rapport au budget accordé à la promotion du tourisme tunisien est encore
très faible ; relativement, puisque le nombre d’établissements
hôteliers et de lits n’est pas comparable au nombre stations thermales avec
à peine 2.000 lits.
Ceci étant, dans le cadre de la réalisation des nouvelles stations
thermales, il est tout à fait normal que le privé participe à l’action de
promotion du secteur aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Déjà, le
gouvernement lui a préparé l’assise nécessaire et indispensable pour
réaliser son projet, avec tous les avantages qu’il faut…
En tout état de cause, la promotion du secteur se fait et se fera à travers
le ministère du Tourisme (y compris l’Office du thermalisme), puis les
missions diplomatiques, le ministère de la Santé publique, les médecins, la
CNSS, etc.
Quels sont les avantages accordés aux investissements dans le secteur
thermal ?
Il existe d’importants avantages pour les promoteurs, notamment la
réalisation des études de faisabilité qui est prise en charge en grande
partie par l’Etat, ainsi que les taxes douanières qui vont disparaître à
l’horizon 2008 pour les équipements. Mais le grand avantage pour les
promoteurs, c’est qu’ils trouvent toutes les facilités, d’autant plus que
l’Office se charge de présenter l’étude achevée dans l’ordre de 95% au
niveau de la faisabilité, de la rentabilité, des autorisations, etc., ce qui
constitue un énorme temps gagné pour le promoteur ; il ne lui reste plus
qu’à exécuter son projet tout en respectant un cahier de charges élaboré et
mis en place par l’autorité de tutelle.
Sur le plan international, quels
sont les pays avec lesquels la Tunisie a signé des conventions de partenariat
dans le domaine du thermalisme ?
Il faut rappeler tout d’abord que le thermalisme n’est pas nouveau en
Tunisie : Kourbous existe depuis un siècle, par exemple… Nous avons des
conventions avec plusieurs pays dont l’Italie, la France, la Turquie, la Bulgarie,
la Russie… et dernièrement l’Iran. En outre, la Tunisie est membre de la
Fédération mondiale du thermalisme et du climatisme, dont la 58ème assemblée
générale s’est tenue en Tunisie, à Hammam Bourguiba dernièrement.
Concrètement, en quoi consistent ces
accords ?
C’est entre autres la formation, les échanges d’expérience, mais également
la construction des stations thermales dans le cadre de partenariats
promoteur tunisien/promoteur étranger.