Les gazoducs, une nouvelle
arme politique très recherchée
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Un gazoduc près de Kiev
en Ukraine, le 1 janvier 2006
Face à la flambée des prix et à la croissance
de la demande, les pays producteurs de gaz ou de pétrole cherchent à
disposer d’un nouvel atout: les pipelines, arme politique idéale pour
contrôler le trafic international de l’énergie, mais délicate à manier.
Des projets de méga-gazoducs sont actuellement
en cours en Amérique du Sud, en Russie, en Asie ou au Moyen-Orient. Le tout
avec un seul objectif: améliorer l’accès à l’énergie, notamment pour les
nouveaux voraces que sont la Chine, l’Inde et le Brésil.
Mais à l’heure où la chaîne d’approvisionnement
est plus tendue que jamais, la construction de gazoducs présente d’autres
enjeux, bien plus importants. Il s’agit de décider quels pays seront
connectés, donc dépendants, et du même coup de former des alliances, de
dicter des conditions, de prendre des revanches.
“Les pipelines, ça veut dire politique, ça veut
dire pouvoir”, explique Bruce Evers, analyste à la banque Investec.
“Si vous voulez empêcher vos clients de
recevoir le pétrole ou le gaz, il vous suffit de tourner le robinet, de
fermer les valves, et le tour est joué”, explique-t-il.
On se souvient ainsi de la crise gazière de
janvier, quand la Russie avait coupé ses livraisons de gaz à l’Ukraine à la
suite d’un désaccord sur les tarifs, et réduit du même coup ses exportations
vers l’Europe, qui transitaient par le même gazoduc.
Depuis, les Européens ont multiplié les appels
à réduire leur dépendance envers Moscou, à qui ils reprochent notamment son
monopole sur les gazoducs dans la région. Et ils comptent entre autres sur
la mise en route, cet été, après près de dix ans de travaux, de l’oléoduc
BTC qui reliera l’Azerbaïdjan à la Turquie.
Des soldats irakiens
sécurisent un pipeline à Bassorah, le 30 avril 2006
La Russie –accusée d’utiliser son gaz “comme
un instrument de manipulation et de chantage” par le vice-président
américain Dick Cheney en mai– a tout simplement menacé d’exporter ailleurs
qu’en Europe si les dirigeants occidentaux contrariaient ses projets
d’expansion.
Moscou négocie d’ailleurs un vaste projet de
gazoducs reliant la Sibérie au Japon et à la Chine, deuxième plus gros
consommateur d’énergie après les Etats-Unis.
L’Iran cherche lui aussi à desservir un gros
consommateur d’énergie, l’Inde. Mais ce projet de gazoduc se heurte
cette-fois à l’opposition des Etats-Unis, qui voient d’un mauvais oeil un
rapprochement entre ces deux pays, et aux réticences de New Delhi, qui
craint que le tracé du pipeline via le Pakistan ne donne à son voisin une
nouvelle arme dans le conflit qui les oppose depuis des années.
“Quand les inquiétudes montent sur la sécurité
de l’approvisionnement en énergie, il n’est pas surprenant de voir les
pipelines et leur futur tracé devenir un enjeu capital, touchant de près aux
questions politiques”, observe Kevin Norrish, analyste à la banque Barclays.
Un bon exemple est le projet pharaonique, en
Amérique du Sud, d’un gazoduc reliant les gisements du Venezuela à une
dizaine d’autres pays, dont le Brésil.
D’après les experts, ce projet, considéré comme
une vraie folie d’un point de vue financier –son coût pourrait atteindre 23
milliards de dollars–, marque la préférence de Caracas d’exporter vers des
pays culturellement proches, plutôt que vers les Etats-Unis.
Les gazoducs transfrontaliers existent depuis
déjà plus d’un siècle, mais ce n’est qu’avec la flambée des prix que leur
importance stratégique a réapparu.
Les oléoducs ont par contre moins à offrir, car
deux tiers des exportations de brut se font par pétrolier.
D’après M. Norrish, le talon d’Achille des
pipelines est cependant “leur vulnérabilité aux sabotages”.
En Irak, les opposants au nouveau régime ont
quasiment bloqué depuis deux ans les exportations de pétrole par le nord du
pays, en sabotant régulièrement l’oléoduc reliant les champs de Kirkouk au
port turc de Ceyhan.