Des investisseurs
vietnamiens surveillent le cours de la Bourse à Ho Chi Minh-Ville, le
26 mai 2006
La Bourse, “ça descend quand on vend beaucoup,
ça monte quand on achète”, résume Nguyen Quoc Truong, petit restaurateur de
49 ans, en fixant les tableaux du marché des valeurs de Ho Chi Minh-Ville
(sud). Manifestement, il n’en sait guère plus.
Avec sa casquette blanche, une imitation de
marque américaine, et ses sandales en simili-cuir, Truong n’a pas
franchement l’air d’un golden boy. Mais il a investi depuis quelques mois
près de 300 dollars à la bourse de l’ex-Saïgon.
“Avec un billet de loterie, on a moins de
chance de gagner”, résume-t-il devant les tableaux de la Saigon Securities
Inc, une société de courtage. “Je choisis la compagnie qui a le plus gros
capital, c’est plus sûr”, dit-il.
En 2000, l’ouverture de la première Bourse du
pays communiste avait résonné comme un symbole clinquant de sa transition
vers l’économie de marché. Longtemps, le marché a végété.
Mais la croissance du pays dépasse désormais
les 8% annuels et la bourse, ces derniers mois, a explosé: la valeur des
titres est passée de 250 millions de dollars l’an passé à presque 2
milliards aujourd’hui. En janvier, la banque d’affaires Merrill Lynch a
publié un rapport dithyrambique, louant un pays où la “richesse se créé à
vitesse grand V”.
“L’argent s’ennuie au Vietnam. Avant, au café,
on parlait immobilier. Maintenant on parle Bourse”, explique Doan Viet Dai
Tu, du cabinet de consultant et d’investissement Open Asia.
Sauf que cette explosion est trop immature pour
inspirer une vraie confiance.
Plus de 90% des acteurs sont de petits
investisseurs sans expérience, qui tentent la chance à la bourse quand
d’autres parient sur le football, jouent aux cartes sur le trottoir ou
s’adonnent au populaire “so de”, un pari sur les deux derniers numéros de la
loterie d’Etat.
La transparence des comptes et des opérations
est encore loin des standards internationaux. Qu’importe, elle est remplacée
par les articles de presse approximatifs et le bouche-à-oreille.
“Je joue pour pouvoir investir dans les études
de mes enfants”, explique Hoa, une comptable de 45 ans, mère de trois
enfants. “Je regarde sur internet et je tiens compte des informations
recueillies par mes amis”.
“Les petits investisseurs ne comprennent pas
vraiment le système”, avoue Kevin Snowball, du fond d’investissement PXP
Vietnam Asset Management. “Le niveau de sophistication est ridiculeusement
bas. C’est de la confiance aveugle dans ce que racontent les autres
investisseurs”.
Ces dernières semaines, le gouvernement
vietnamien a tenté de calmer la fièvre, en demandant aux banques de ne plus
prêter d’argent pour les achats de titres, de crainte qu’une chute brutale
ne produise de l’insolvabilité en chaîne.
Certains experts racontent que l’arrivée de
trois étrangers en même temps dans la salle des marchés peut provoquer une
hausse des cours. Des “joueurs” dépensent leurs gains avant même de se
retirer, comme si la machine ne pouvait être orientée qu’à la hausse.
Mais une réalité moins rose commence à émerger.
La semaine dernière, les titres ont tous évolué à la baisse. “Il n’y a pas
trop de danger tant que ça monte. Mais on commence à constater un peu de
volatilité”, relève Kevin Snowball.
A terme, les experts attendent que la Bourse
s’étoffe, en espérant notamment l’arrivée de groupes étrangers, des
opérateurs locaux de téléphonie mobile, de sociétés-phares comme Vietnam
Airlines.
Reste l’inexpérience. Les investisseurs
institutionnels vietnamiens et les étrangers maîtrisent le processus, mais
les petits porteurs vont devoir apprendre la complexité du système.
“Certains vont souffrir parce qu’il y a trop d’excitation”, estime Doan Viet
Dai Tu. “La maturité prendra quelques années”.