Depuis quelques jours, les
téléspectateurs maghrébins francophones (et francophiles) ont la rage contre
TPS. Le bouquet satellite français a modifié ses cryptages et mis tout le
monde en touche et ce à la veille du démarrage de la Coupe du Monde de
football.
L’autre bouquet français Canal SAT a modifié depuis belle lurette ses codes
déjouant ainsi tout le savoir-faire des pirates tunisiens, marocains et
algériens. A première vue, c’est dans la logique des choses et la
modification des codes de TPS et Canal Sat ne peut être contestée. Il faut
bien qu’ils défendent leurs droits face à nos pirates qui s’en sont donnés à
cœur joie (en toute impunité) des années durant.
A première vue seulement. Car à voir de près, ce public maghrébin, il nous
semble fort que les deux bouquets français avaient une vue restreinte avant
de prendre leurs décisions de cryptage. Cryptage dont l’objectif est de
priver les pirates de France (et non du Maghreb) de regarder les programmes
des deux bouquets gratuitement. Voici les raisons qui nous mènent à penser
ainsi de TPS et Canal Sat :
• Le public maghrébin téléspectateur de TPS et Canal Sat se compte par
millions. On se demande d’ailleurs même s’il n’y a pas plus de paraboles et
récepteurs numériques au Maghreb qu’en France.
• Ce public, en étant téléspectateur de la télé française, va être,
inévitablement, consommateur et demandeur de produits de l’industrie
française mis en évidence par les programmes et par les spots publicitaires.
• TPS et Canal Sat pourraient mettre en évidence ce large public (facilement
identifiable si l’on se donne la peine de lire les enquêtes locales
d’audimat) en vendant leurs espaces publicitaires. Une pub de Peugeot ou
Renault ne se vend pas au même prix à un public strictement français
résidant à l’Hexagone qu’à un large public résidant au Sud de la
Méditerranée.
• Que ce public ne soit pas intéressé par toutes les pub (celles des
assurances ou des banques par exemple), c’est une évidence, mais de nombreux
produits dépassent largement les frontières françaises (autos, produits de
grande consommation, produits alimentaires, textiles, etc.).
• Offrir ces bouquets aux Maghrébins, c’est permettre à la francophonie de
résister et de garder sa place dans la région. C’est aussi s’assurer les
marchés de demain, car ce public a des enfants qui vont parler français et
consommer (demain) français.
• Ce public, privé de ses émissions françaises, n’a d’autre choix que
d’aller voir des émissions d’autres chaînes (arabes généralement pour ne pas
dire toujours) et on ne misera plus gros sur la longue vie de la langue de
Molière dans la région. Et on ne parle pas des chaînes intégristes arabes et
les fâcheuses conséquences qu’elles peuvent avoir sur les populations
maghrébines.
• Le concours de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) peut
intervenir. Cette organisation peut conclure un accord pour que les citoyens
du Sud (Maghreb et Afrique francophone) accèdent aux émissions des deux
bouquets à un prix préférentiel (puisque les prix en France sont très élevés
par rapport aux budgets locaux).
• Dans leur business plan de démarrage, les deux bouquets ne visaient que la
France. Avec les paraboles qui existent aujourd’hui au Sud Méditerranée,
c’est un grand bénéfice non prévu qu’ils peuvent obtenir en conquérant ces
marchés encore inexploités (voire inexplorés).
• L’investissement dans le Maghreb ne risque pas d’être aussi élevé qu’en
France, à notre avis. Alors qu’en France, on était obligés de vendre le
récepteur (ou décodeur), les pays du Maghreb ne demandent qu’une carte
d’accès. Les récepteurs étant déjà acquis. D’ailleurs, le bouquet saoudien
ART ne propose que des cartes d’abonnement sur ce marché où il est implanté
depuis des années. Il y gagne assez bien grâce notamment à la Coupe du monde
puisqu’il a acquis les droits exclusifs de la Coupe du Monde.
• La maison mère de Canal Sat était présente au Maroc et en Tunisie il y a
quelques années (à travers Canal Horizons), mais elle a dû quitter la région
à la suite du passage d’un certain Jean-Marie Messier. La direction actuelle
(qui a rattrapé plusieurs erreurs de Messier) ne peut-elle pas repenser sa
stratégie Maghreb en y réinvestissant de nouveau ?
• Combien coûterait un bureau de représentation dans la région chargé
d’assurer la vente des cartes et de résoudre les (éventuels) problèmes
techniques ? Au vu de la capacité d’absorption de ce marché fort demandeur
de ce produit, les deux bouquets ont, a priori, tout intérêt à venir
proposer leurs abonnements. Ils couperont ainsi l’herbe sous les pieds des
pirates. Au Maghreb, comme ailleurs, on ne cherche pas spécialement une
gratuité illégitime quand on peut se payer le même produit légalement et à
un prix honnête. On espère que les décideurs des deux bouquets pensent un
peu à leur intérêt, à l’intérêt de la langue, de la culture et de l’économie
françaises et à ce grand public maghrébin composé de plus de 70 millions
d’habitants.