Inutile de chercher la signification de ce mot dans un dictionnaire, il ne s’y trouve pas. C’est un mot que j’ai inventé pour l’occasion en m’inspirant de vocables analogues tels que bureaucratie, démocratie, médiocratie et autres termes se terminant par le même suffixe.

Dans la syntaxe de la langue française, ce suffixe qualifie un régime, un système ou un mode de fonctionnement, c’est-à-dire «une combinaison d’éléments qui se coordonnent pour concourir à un résultat».

Aussi, le dictionnaire définit-il la médiocratie comme «un système de gouvernement des médiocres». Il s’agit plus précisément d’un ensemble d’éléments qui se coordonnent pour créer, entretenir et développer la médiocrité. De façon analogue, on peut définir la bureaucratie comme un système de gestion constitué d’un ensemble d’éléments qui se coordonnent pour créer, entretenir et développer l’inadaptation (due à la lenteur, au caractère routinier et tatillon des procédures et des comportements).

Il s’ensuit qu’un système est toujours constitué «d’un ensemble d’éléments qui se conjuguent» pour aboutir à la réalisation d’un résultat. Ce dernier peut être volontaire ou involontaire, désirable ou indésirable, positif ou négatif, perceptible ou imperceptible.

Or, dans un ensemble d’éléments, il y a toujours un élément fondamental qui commande le reste du système et détermine donc le résultat. Le corps humain, par exemple, est un système constitué d’un ensemble d’organes qui se coordonnent pour donner un résultat : la vie. Quand le cœur d’une personne s’arrête de battre, tous les autres organes cessent de fonctionner. Résultat: La vie disparaît et fait disparaître avec elle toutes formes d’action. On dira alors que le cœur est l’organe fondamental du corps humain. Il en est de même pour n’importe quel système.

Ceci dit, il importe de savoir quel est l’élément fondamental d’un système médiocre de gestion, c’est-à-dire l’élément qui, une fois extirpé du système fait disparaître tous les autres éléments de la médiocrité ? Réponse : l’Excuse, surtout lorsqu’elle est enracinée dans le système ou érigée en sous-système. L’excuse devient alors pour l’entreprise ce qu’est le système nerveux pour le corps humain, un sous-système parmi d’autres : système respiratoire, système digestif, etc.

Nous voici donc arrivés à notre terme quelque peu biscornu : L’Excucratie. C’est un système constitué d’un ensemble d’éléments qui se conjuguent pour créer, entretenir et développer des EXCUSES.

Dans ce type de système, l’excuse est à la fois un résultat d’un problème mineur (ou considéré comme tel) et la cause d’un autre problème beaucoup plus profond (mais imperceptible ou difficilement perceptible). L’astuce consiste alors à mettre en avant le problème mineur pour cacher, volontairement ou involontairement, un autre problème beaucoup plus grave. C’est l’arbre qui cache la forêt.

Voici quelques exemples d’excuses bien familières à un bon nombre d’entreprises:

L’excuse qui cache l’insuffisance de formation ou la mauvaise affectation du
personnel
: Pourquoi avons-nous perdu ce client ? La concurrence lui a offert un prix plus avantageux que le nôtre !
L’excuse qui cache l’inorganisation, la mauvaise gestion du temps ou le manque de sérieux: Avez-vous préparé le rapport que vous m’avez promis ?
Pas encore, j’étais très occupé la semaine dernière !
L’excuse qui cache l’irresponsabilité, la fuite en avant ou le chevauchement
des responsabilités
: Comment se fait-il qu’on ait tant d’impayés ? Je n’y peux rien, c’est la faute du service financier !
L’excuse qui cache le manque d’intérêt, le «ras le bol» ou la baisse du moral des employés: Encore une fois, vous êtes arrivé en retard, n’est-ce pas? C’est encore une fois à cause de l’embouteillage !

On peut multiplier les exemples à l’infini.

Ce qu’il faut bien percevoir ici, c’est que la gravité d’une excuse ne réside pas dans son existence, car il n’y a pas un système qui en soit totalement dépourvu. La gravité d’une excuse, c’est sa familiarité. Or, une excuse est d’autant plus familière qu’elle est fréquente. Et elle est d’autant plus fréquente qu’elle est acceptable. Et elle est d’autant plus acceptable qu’elle est considérée comme l’une des règles du jeu du système.

Que pouvez-vous reprocher à quelqu’un qui vous dit «j’étais malade» ?
Lisez, SVP, cette histoire véridique, puis arrêtez-vous un moment pour y réfléchir sérieusement :

Un conseiller d’une grande entreprise commerciale avait remarqué qu’un des directeurs régionaux de cette même entreprise avait réalisé, pendant 3 années successives, les résultats les moins bons de ses pairs. Un jour, ce conseiller lui dit : Vous n’avez pas honte de vos résultats ? Et le directeur de répondre : «Pas du tout. C’est le système : Ici, plus vous parlez, plus vous êtes apprécié. C’est la règle. Alors, ma tactique est la suivante: Chaque semaine, je m’efforce de trouver au moins une bonne raison pour justifier mes mauvais résultats. Ce faisant, dans la réunion annuelle d’évaluation, je pourrais présenter au moins 52 raisons valables (sous entendu: excuses) pour justifier mes mauvais résultats» !!

Le comble, c’est que renseignements pris, les faits ont donné tout a fait raison à ce directeur : Il a été régulièrement promu durant les dix dernières années ! Mieux encore, son supérieur croit dur comme fer qu’il est intrinsèquement le meilleur élément de son groupe ! Tout le monde ou presque était persuadé que ses mauvais résultats étaient dus à la région qui lui a été attribuée ! C’était la région la plus difficile pensait-on ! Son supérieur défendait corps et âme son maintien à ce poste, il était convaincu qu’aucun de ses collègues n’était capable d’obtenir de meilleurs résultats dans cette région !! (Sans commentaires)

Dans leur livre intitulé «LET’S GET RESULTS, NOT EXCUSES !», James M. Bleech et David G. Mutchler illustrent la gravité des excuses par une histoire drôle mais significative. En voici une traduction a peu près correcte de cette histoire.

Un loup voulait attaquer un troupeau de moutons. Il avait cependant remarqué que ce troupeau était solidement bien gardé par un berger un peu trop attentif et consciencieux. Pour tromper le berger, le loup s’était déguisé en agneau en se faisant couvrir par la peau d’un mouton qu’il avait volée d’une des maisons du village du berger. Le lendemain, déguisé en agneau, le loup s’était astucieusement infiltré dans le troupeau et arrivait à conduire un des agneaux dans un coin isolé, bien protégé, loin des yeux du berger.

Là, tranquillement, il avait dévoré sa proie. La besogne était tellement facile pour le loup qu’il était arrivé ainsi à rafler les  3/4 du troupeau du berger. (Fin de l’histoire)

Le berger était donc ruiné. Pourquoi ? Parce que la perte d’un agneau tous les deux ou trois jours était devenu, pour lui, une sorte de fatalité, un cas de «force majeure», un phénomène inexplicable ! Aussi, cet événement était-il devenu tellement acceptable et familier pour ce berger qu’il ne s’est pas rendu compte de sa gravité.

Imaginons maintenant que quelqu’un lui pose la question suivante : Comment se fait-il que vous ayez une perte si considérable ? Il rétorquerait probablement : Je n’y pouvais rien, c’était plus fort que moi ! (L’excuse)

Le berger n’aurait pas menti, mais le résultat est là.

Moralité de l’histoire :  L’excuse est, pour l’entreprise, ce qu’est le loup déguisé pour un troupeau de moutons.

Que faire ? C’est tout un programme. Nous en parlerons peut-être un jour dans un séminaire de formation. Je préfère vous dire pour l’instant ce qu’il faut éviter à tout prix :

1- Dire de quelque façon que ce soit à votre personnel qu’à partir de maintenant «il n’y a plus d’excuses». Cela ne marchera pas.
2- Commencer de douter de la véracité de tout ce qu’on vous dit. Vous n’en sortirez plus. De plus, vos entretiens avec vos collaborateurs ressembleraient à des interrogatoires !
3- Mettre en place un système de vérification des excuses. Votre entreprise ressemblerait à un centre de renseignements secrets. De plus, l’important n’est pas de vérifier si l’excuse est valable ou non. L’important, c’est de découvrir le problème qui se cache derrière l’excuse indépendamment du fait qu’elle soit vraie ou fausse, acceptable ou inacceptable.
4- Améliorer les procédures de recrutement, de promotion et de formation. Vaines tentatives : Le problème n’est pas seulement dans les personnes mais dans le système.

Mohamed Moncef KACHOURI – Formateur Conseil