Avec le développement spectaculaire des technologies durant ces
dernières années, l’humanité vit dans ce monde globalisé de nouvelles
mutations, de nouveaux espoirs mais aussi de nouvelles craintes.
Les mutations se dessinent petit à petit dans le quotidien de tout un
chacun, du plus jeune au plus âgé ; de l’élève en quête d’apprentissage à
l’enseignant en quête de nouvelles connaissances et de savoirs ; de
l’employé en quête de nouvelles aptitudes et de nouvelles compétences à
l’employeur en quête de nouvelles sources de compétitivité et de prospérité
; de l’administré en quête de services plus personnalisés et plus en phase
avec ses attentes au responsable dans l’administration en quête de plus
d’efficacité et de respect des valeurs régaliennes de l’administration
publique. Ces mutations s’accompagnent de nouveaux espoirs pour un monde
meilleur, plus juste, plus humain, plus solidaire, un monde de paix et de
tolérance ; des mutations qui font naître de nouvelles sources de bien-être
social, économique, et culturel.
Ces mutations façonnent une nouvelle société, voire plusieurs nouvelles
sociétés, qui marquent de nouveaux jalons pour l’humanité avec comme fil
conducteur, le degré de dissémination des nouvelles technologies, leur
niveau d’intégration dans l’environnement et d’interaction avec lui et leur
capacité à apprivoiser les différentes formes de savoir. Ce fut la société
post-agraire ou industrielle basée essentiellement sur une organisation
dictée par la production et la consommation massives de biens matériels. Une
société, qui, à l’aube du 21ème siècle, a cédé sa place à la société de
l’information. Caractérisée par une omniprésence de l’information favorisée
par un développement spectaculaire des technologies de l’information et de
la communication (TIC), cette société qui donne la possibilité et
l’opportunité à tout un chacun d’être à la fois consommateur et producteur
d’information, bouleverse bien des ordres établis, des chasses gardées, des
modes d’être, de faire et d’interagir avec autrui loin des contraintes
géographiques et temporelles.
Souvent ramenée de façon réductrice à la société de l’Internet, la Société
de l’Information se construit autour de l’information et par l’information.
Elle se construit par le partage d’un gisement d’informations en continuel
enrichissement résultant de l’apport direct ou indirect de tous.
L’information ainsi générée se transforme en connaissance à travers
l’échange, l’accumulation, la conceptualisation et la formalisation. Ces
éléments de connaissances contribuent, à leur tour, à la genèse de nouveaux
savoirs et à la démultiplication du patrimoine humain en la matière.
Le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), avec ses deux
phases de Genève en 2003 et de Tunis en 2005, organisé suite à une
initiative de la Tunisie, a été une occasion pour faire émerger une
compréhension commune des contours, des perspectives et des enjeux de cette
nouvelle société avec, en toile de fond, une prise de conscience mondiale de
ses corrélations avec le développement humain et par conséquent des
opportunités qu’elle offre, mais aussi des risques réels qu’elle pourrait
engendrer, si rien n’est fait, de voir se renforcer les inégalités entre les
humains à différentes dimensions nationales, régionales et mondiales. De
telles inégalités pourraient être à l’origine de nouvelles incompréhensions,
de tensions et même de conflits.
Avec les développements continus des technologies tant au niveau des
performances qui doublent pratiquement tous les 18 mois, que de l’apparition
avec un rythme accéléré de nouvelles technologies apportant avec elles de
nouvelles perspectives, l’espace humain du possible se trouve
continuellement étendu. Le positionnement de la technologie dans
l’environnement quotidien de l’être humain s’en trouve constamment
re-modelé. De cette dynamique résulte une redéfinition soutenue, avec un
rythme de plus en plus accéléré, de la façon avec laquelle l’homme interagit
avec son environnement dans toutes ses dimensions et sa diversité.
La convergence vers le tout IP (Internet Protocol) partout et à tous les
niveaux, le développement des techniques et moyens de communication à
travers notamment les technologies qui favorisent la mobilité et/ou le
nomadisme tels que la téléphonie mobile, les technologies sans fil WiFi ou
WiMax, les technologies de localisation et/ou d’identification tels que le
GPS (Global Positionning System), le RFID (Radio Frequency Identification)
ou les cartes à puce, la possibilité d’intégrer de plus en plus dans les
objets de l’environnement de l’être humain de l’intelligence à travers
notamment la présence de puces capables d’avoir une certaine autonomie
locale de traitement de l’information, la mise en réseau de façon dynamique
et/ou ad hoc de ces objets et leurs capacités d’interaction entre elles,
contribuent de façon spectaculaire à faire de l’espace humain, un espace de
plus en plus interactif et communiquant. Cette perspective qui est désormais
une réalité dans certains pays, prépare à une nouvelle mutation vers une
Société Intelligente (appelée aussi «ubiquitous society»); une Société basée
sur la connaissance en tant que véritable valeur sociale, économique et
culturelle où l’intelligence est de plus en plus omniprésente et diffuse
partout.
Dans une telle société, la relation entre l’homme et la technologie se
trouve plus étroite que jamais. Elle marque une plus grande complémentarité,
une plus grande interaction et une plus grande intégration. Cette
intégration peut atteindre une dimension physique des plus sensibles tel que
le corps de l’homme, ses habits, ses fonctions, et même ses organes. Elle
peut aussi être dans l’approche fonctionnelle en adoptant, comme le fait la
biotechnologie, des processus et des mécanismes biologiques.
Néanmoins, la Société de l’Intelligence est une société qui s’accommode mal
d’un parterre d’analphabétisme. Elle s’accommode tout aussi mal d’une
infrastructure peu développée ou peu fiable. Elle s’accommode encore moins
d’un environnement qui ne soit pas ouvert à la créativité, à l’innovation, à
l’inconnu ou à l’imprévisible ; un environnement où les talents ne puissent
pas s’exprimer librement chacun à sa façon, selon son imagination, son
inspiration et ses motivations. N’est-ce pas Albert EINSTEIN qui disait que
«l’imagination est plus importante que le savoir».
Les pays qui se sont le mieux préparés à cela sont ceux qui ont misé sur
l’homme en priorité, car l’homme est la finalité de toute œuvre humaine, car
l’homme est la richesse fondamentale sans laquelle rien ne peut réussir et
enfin, car l’homme, à la tête bien faite, est une œuvre de longue haleine
qui nécessite, hélas, du temps qui se mesure en générations.
Les pays qui ont su anticiper, et réunir correctement les différentes pièces
du puzzle, ont pu en un temps record bousculer le haut du classement des
nations les mieux positionnées en tant que société candidate à la Société de
l’Intelligence et saisir ainsi les opportunités qui s’offrent aux pionniers.
Tout retard pris, par une nation à ce niveau, non seulement recule les
échéances et lui fait manquer des opportunités, mais aussi lui rend le
chemin plus difficile. En effet, le temps fait du «droit d’accès» au cercle
restreint des plus performants, une condition de plus en plus difficile à
réunir et seule «une nouvelle rupture peut offrir la chance d’un nouveau
raccourci».
A cet égard, l’exemple de la Tunisie, pays émergent ayant abrité la deuxième
phase du SMSI, qui a su faire preuve d’une grande capacité d’anticipation,
est particulièrement édifiant. L’initiative pour l’organisation d’un sommet
mondial sur des aspects que peu de pays en avaient réellement conscience
tels que la fracture numérique et son impact sur le développement et
l’accentuation de la fracture économique, la politique menée en faveur de la
promotion des TIC, l’orientation en faveur de l’investissement dans l’homme
avec plus de 7% du PIB dédié à l’éducation, la promotion de la condition de
la femme en tant que potentiel certain de la société tunisienne, sont tous
des choix qui ont permis à la Tunisie, de se hisser à la place qui est la
sienne actuellement. Le puzzle est en voie d’être complété, ses morceaux les
plus difficiles ont été placés comme il faut et quand il faut. Cependant,
tout comme pour beaucoup d’autres pays, les choix faits ont été porteurs de
profondes mutations.
La profondeur de ces mutations de différentes natures déjà observées, aux
côtés de celles à venir, fait apparaître auprès d’aucun des craintes
d’effets négatifs accompagnant notamment la dissémination de ces nouvelles
technologies. Même si ces craintes peuvent être, dans une certaine mesure,
justifiées, il est important de prendre conscience que la technologie est
neutre ; aucune technologie n’est bonne, ou même mauvaise car elle est le
fruit de la Science. Seuls les usages qu’on en fait peuvent être qualifiés
de bons ou de mauvais. Or, les usages et les utilisations sont à imputer à
l’homme. Ils sont le reflet de ses capacités et de ses qualités morales et
de celles de la Société dans laquelle il évolue. Ceci nous ramène à
considérer que l’homme reste au centre de toute oeuvre, et que toute œuvre
doit s’inscrire dans une vision d’un projet sociétal, car comme dirait
SENEQUE, «il n’y a pas de vent favorable pour ceux qui ne savent pas où ils
vont».
L’histoire récente des développements technologiques touchant
particulièrement le grand public tels que la télévision par satellite, les
services audiotels, l’Internet, la téléphonie mobile, etc., ont remis à
chaque fois au devant de la scène publique la question de la place de la
technologie et suscité les débats les plus animés. Avec un certain recul, on
constate que la technologie a continué son chemin et s’est intégrée, à des
degrés différents, au quotidien de l’homme. Les bénéfices tirés et les
casses éventuelles enregistrées, ont été souvent le reflet des valeurs de la
société et par conséquent de l’homme. L’équilibre entre ce qui relève des
libertés et choix de la personne, et ce qui relève du devoir de la société
et donc du devoir de l’Etat, n’est pas toujours facile à maintenir et ne
peut être abordé de façon universelle.
La mondialisation et la globalisation aidant, l’Oeuvre n’est pas de toute
simplicité. Elle requiert un fort leadership qui porte le projet et le fait
partager à toutes les parties prenantes, avec une cohérence et une
continuité dans la mise en oeuvre. Elle requiert aussi une ferme volonté de
dépasser les obstacles, les idées préconçues, les sujets tabous car comme
disait le même SENEQUE «ce n’est point parce que les choses sont difficiles
que nous n’osons pas mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont
difficiles».