[07/09/2006 08:46:56] NEW YORK (AFP) Dans ce vaste ensemble d’immeubles des bords de l’East River, les résidents expriment tous la même prophétie: la vente annoncée de leur quartier sonne le glas de la classe moyenne dans un Manhattan désormais réservé aux plus riches. “New York est maintenant la ville des très riches, ou des très pauvres. Tous ceux au milieu sont chassés”, soupire Charles Lyman, septuagénaire installé depuis 55 ans dans ce complexe de brique rouge où les loyers contrôlés ont permis à des générations de fonctionnaires, policiers, infirmières de rester au coeur de la ville. L’assureur Metropolitan Life vient d’annoncer son intention de vendre ces ensembles de Stuyvesant Town et Cooper Village, soit 110 immeubles (11.200 appartements) répartis de la 14e à la 23e Rue. MetLife n’a pas confirmé le prix souhaité, mais des experts avancent le chiffre de 5 mds de dollars, ce qui en ferait la transaction immobilière record aux Etats-Unis. “Nous estimons les conditions du marché très favorables”, dit Robert Merck, responsable des investissements de MetLife. Au niveau national un ralentissement immobilier s’annonce, mais l’effet se fait peu sentir à New York. Des appartements s’y vendent jusqu’à 45 M de dollars, tandis que les résidents de Harlem manifestent contre les expulsions et que, hors de Manhattan même, Brooklyn voit les projets de standing proliférer. Construit après la Guerre par MetLife aidé des pouvoirs publics, “Stuy Town” était à l’époque destiné aux anciens combattants et familles du baby-boom. Non sans polémique (noirs et célibataires étaient au début refusés), il est devenu un quartier recherché, avec ses bâtiments à taille humaine, ses parcs et surtout ses loyers. Sur des bancs, des personnes âgées prennent l’air. Les clients défilent au fast-food, chez le teinturier. Sylvia Ilan vit là depuis 33 ans: “Mon fils aimerait revenir mais il y a une liste d’attente”, dit cette administratrice en gériatrie.
Le secret des lieux: trois quarts des loyers restent protégés par une loi ancienne limitant les augmentations. Un T3 y vaut “entre 800 et 1.500 dollars”, dit M. Lyman, ex-président de l’association des locataires. Soit la moitié du prix du marché. Avec un nouveau propriétaire, les résidents craignent les reconversions en logements de luxe, la hausse des prétentions, la rentabilisation des espaces verts. “Peut-être des gratte-ciel seront-ils construits”, s’alarme Carolyn Maloney, élue locale. L’affaire n’arrange pas la mairie, qui a promis de créer ou aider à conserver 165.000 appartements à loyer modéré d’ici 2013. Or en même temps, d’innombrables lots sortent chaque année de la loi sur les loyers contrôlés. Et loyer “modéré” ne signifie pas abordable, souligne Andrew Beveridge, professeur de sociologie au Queens College. La vente de Stuy Town “symbolise la fin de la classe moyenne à Manhattan”, dit-il, blâmant les choix politiques des années 80-90. “Les industries ont disparu, on ne jure que par la finance. C’est dangereux de placer tous ses oeufs dans le même panier”. Dalton Conley, sociologue à l’Université de New York, déplore la ségrégation sociale, source de difficultés accrues pour les démunis, perte d’authenticité pour les plus favorisés. “Manhattan sera bientôt une île pour les super-riches. Harlem change, le Lower East Side change. La dernière étape sera la conversion des HLM publics,” prévoit-il, sceptique quant aux chances des mesures publiques face aux forces du marché: “Le m2 à Manhattan est parmi les plus chers. Quel poids a l’intégration sociale?” Mais Stuy Town refuse de l’entendre. Sénateur et élus à leurs côtés, les résidents ont créé un collectif pour tenter d’acheter le quartier. Avec en tête l’exemple rare des West Village Houses – 400 logements rachetés par leurs habitants avec des aides publiques – ils veulent sauver Stuy Town, “(leur) symbole du rêve américain”. |
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