A la
question classique “où faut-il investir en 2006 ?”, les 11.000 dirigeants
d’entreprise du monde entier interrogés par les enquêteurs du World Economic
Forum (WEF) ont répondu : en Suisse ! La petite Suisse a donc détrôné les
Etats-Unis, qui se retrouvent relégués en 6e position de ce classement de
125 pays, tandis que l’Angola ferme la marche. Quant à notre Belgique, elle
patine à la 20e place pour la deuxième année consécutive.
A
priori,
l’enquête est sérieuse puisqu’elle repose sur des données économiques et sur
l’avis, en principe autorisé, de 11.000 patrons. A vrai dire, lorsqu’on
creuse un peu plus profondément, on se rend compte que ce classement est
biaisé et mérite quelques nuances.
Prenons
le cas de la Belgique. Son rang est en partie imputable à sa lourde dette
publique. Le constat est correct si l’on s’en tient à une image comptable,
donc forcément figée à un instant donné. En revanche, une vision dynamique
montre que notre dette publique est passée, en quelques années, de 130 % du
PNB à environ 90 % aujourd’hui.
Au
point d’ailleurs que les trois principales agences de notation -Moody’s,
Standard & Poor’s et Fitch- chargées d’évaluer notre solvabilité collective
viennent coup sur coup d’améliorer leur notation des obligations de l’Etat
belge. Les 11.000 patrons interrogés l’ignorent, mais, à ce jour, la dette
publique belge bénéficie d’une notation se situant juste en dessous du
maximum accordé par ces trois agences. Difficile de faire mieux. Pourtant,
cela n’est pas reflété par le classement du World Economic Forum.
Autre
critique : sur la base d’un sous-classement intitulé “Meilleur environnement
macroéconomique”, le WEF place les Etats-Unis en 69e position sur un
classement de 125 pays, et l’Algérie en 1ère place (!). La raison ? En
termes de surplus budgétaire, de taux de change effectif, de dette publique
et d’épargne nationale, les Algériens sont mieux positionnés que l’Oncle Sam.
Ce pays, qui ne vit que de son gaz et de son pétrole, est ainsi propulsé,
par le miracle des statistiques, au statut de nouveau “tigre économique” de
l’Afrique du Nord.
Las
pour les experts du WEF, les souvenirs de la guerre civile qui a coûté
200.000 vies humaines sont encore présents dans les esprits. Preuve qu’un
classement établi hors du contexte géopolitique ne vaut pas tripette. Pareil
classement ferait rire les millions d’immigrés Algériens partis en Europe
avec l’espoir d’un sort meilleur. A quand le retour en masse pour profiter
des largesses du “tigre algérien” ?
Plus
sérieusement, ce classement de la compétitivité mondiale pose un troisième
problème : il met en avant les performances des pays scandinaves. Après la
Suisse, la Finlande occupe la 2e place, devant la Suède (3e) et le Danemark
(4e). Bref, pour être au top de la compétitivité, mieux vaut être européen,
et de préférence scandinave. En France comme en Belgique, il n’est pas un
homme politique qui ne vante les mérites du “modèle suédois”. Le seul
hic, c’est que ce fameux
modèle, tout le monde en veut sauf… les Suédois.
Pour
preuve, la gauche sociale-démocrate, qui a gouverné le pays pendant 64 des
75 dernières années, a perdu le pouvoir le 17 septembre dernier. La cause ?
A défaut de vouloir totalement abandonner l’Etat providence, les Suédois ont
exprimé leur crainte que trop de comportements “parasitaires” ne remettent
en cause son équilibre financier. Traduction : les Suédois savent que, si le
taux officiel du chômage n’est que de 5,7%, ce chiffre est tronqué par le
fait qu’un million de chômeur sont sortis des statistiques en étant classés
comme “handicapés” ou “en formation”.
Bref,
le vrai taux de chômage serait plus proche de 15% ou 16% selon McKinsey.
Est-ce vraiment cela, le signe de la compétitivité ?