En
2006, l’huile d’olive tunisienne s’est très mal vendue à l’étranger et ne
parvient pas, jusqu’à ce jour, à trouver des preneurs, ni à l’extérieur ni à
l’intérieur.
Investisseurs, exportateurs (56) et huileries (1600) se débattent,
aujourd’hui, dans des problèmes de logistique pour gérer un stock invendu de
quelque 80 mille tonnes dont 50 mille tonnes ont été acquises par l’Office
National de l’huile (ONH) et 30 mille tonnes à la charge des privés.
La situation risque de s’aggraver à quelques semaines du démarrage de la
campagne 2006-2007, une campagne qualifiée par le ministre de l’Agriculture,
Mohamed Habib Haddad, de «tout juste moyenne». Elle est estimée à environ 170
mille tonnes.
A l’origine de ces difficultés, une ignorance caractérisée du marché
international et la cupidité de certains spéculateurs. Ces derniers ont été
induits en erreur par des informations erronées, voire des rumeurs
-spéculations de basse facture faisant état d’une baisse significative de la
production du premier exportateur mondial d’huile d’olive, l’Espagne, et son
corollaire l’émergence d’opportunités significatives d’écoulement fort
rémunératrices à l’étranger. Selon cette sous-évaluation d’«amateurs», le
marché mondial aurait été demandeur de 600 mille tonnes pour une
consommation totale estimée, en période normale, à 2,3 millions de tonnes.
Conséquence, propriétaires d’huileries, investisseurs et exportateurs,
convertis en «khaddara» se sont rués sur les oliveraies pour acheter les
récoltes sur pied et en optimiser la rentabilité à la transformation et à
l’exportation. Le marché étant perçu par principe comme porteur. Au grand
bonheur des agriculteurs, le prix du kilogramme des olives est passé de
0,600 dinar à 1,100 dinar.
Cette fièvre de l’or vert a touché l’ensemble des agriculteurs du pays. Les
céréaliculteurs du nord, tout comme ceux du sud et du centre-ouest, ont
commencé à se convertir à l’oléiculture. Cette tendance est confirmée par
les chiffres. D’après des statistiques officielles, la production oléicole,
concentrée jusqu’à une récente date au Sahel, a augmenté de 17% au nord, 20%
au centre et 54% au sud.
L’administration, elle-même appâtée par d’éventuelles consistantes rentrées
de devises, s’est mise de la partie et a presque réquisitionné la production
à des fins d’exportation. Pour elle, le pays ne pouvait pas laisser passer
cette chance, voire cette manne d’or vert, pour compenser le déficit généré
par la flambée des prix du pétrole.
Du coup, les prix ont augmenté du simple au double au plan local, passant de
2,9 dinars à 6 dinars le litre. Le litre conditionné se vendait lui à plus
de 7 dinars dans les grandes surfaces contre 3 à 4 dinars en 2004-2005.
Au plan macroéconomique, les résultats ont été à peine dans les normes. La
Tunisie a exporté, jusqu’ici, plus de 75 mille tonnes, essentiellement sur
le marché de l’Union européenne, dépassant de 15 mille tonnes le quota
convenu (60 mille tonnes).
La Tunisie produit en moyenne 170 mille tonnes par an dont 35 à 50 mille
tonnes sont consommées localement tandis que le reste est réservé à l’exportation, la plupart du temps en vrac, c’est-à-dire dans des conditions
généralement peu compétitives.
L’exportation d’huile d’olive constitue une importante source de devises
tant elle génère des rentrées de l’ordre de 700 millions de dinars par an.
C’est le cas de l’exercice 2004. En 2005, les exportations d’huile d’olive
ont atteint 476,7MD, enregistrant ainsi une régression de 32,7%.
Pour les privés, c’est plutôt la grisaille. A partir du mois de mars 2006,
les prix chutent et un prix plancher a été fixé en dépit de leurs
protestations.
La corporation des oléiculteurs a eu plusieurs réunions avec les ministères
de tutelle mais sans grands résultats tangibles. La plus récente a eu lieu
avec le ministre de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques.
M. Habib Haddad leur a proposé comme solutions «de diversifier leur offre,
d’améliorer la qualité, d’accorder plus d’intérêt à l’emballage et de
déployer davantage d’efforts en vue de mieux faire connaître les
spécificités de l’huile d’olive tunisienne à l’étranger».
Pris de court par la nouvelle campagne, les exportateurs ont continué,
durant deux périodes de consommation de pointe (l’été et le mois de
Ramadan), à ignorer les exigences du marché local et à ne pas pratiquer des
prix abordables, se contentant d’expliquer les stocks par «des retards
d’exportation».
Aujourd’hui, ils sont au pied du mur. Par le biais de leur corporation, ils
multiplient les démarches et contacts afin d’obtenir gain de cause mais
apparemment en vain.
Au final, dans un dernier geste, ils proposent que l’Etat prenne en charge
le manque à gagner qu’ils ont subi durant la saison 2005-2006 et leur
accorde des avantages pour sortir de la crise.
Ces avantages consisteront, selon eux, à leur accorder la priorité
d’exporter les 25 mille tonnes sur les 30 mille tonnes stockées à leur
charge sur l’Union européenne, à retarder la date de démarrage de la récolte
2006-2007 (et ce pour tous les oléiculteurs) au 30 novembre 2006 et
d’instituer en faveur de la profession des incitations financières (
rééchelonnement des dettes des oléiculteurs exportateurs, abandon des
intérêts bancaires, octroi de nouveaux crédits pour gérer la nouvelle
campagne…).
Au delà de cet état des lieux, ces difficultés montrent, plus que jamais,
que le secteur oléicole, après 50 ans d’indépendance, navigue toujours à vue
et a besoin d’une restructuration profonde. Empressons-nous de signaler que
cette restructuration concerne aussi bien les structures d’appui que les
professionnels.
Les pistes à explorer pour promouvoir la filière oléicole sont au nombre de
quatre :
– Premièrement, l’accent gagnerait à être mis sur la promotion de la
recherche dans ce domaine. Les chercheurs sont appelés à étudier les
spécificités de l’huile d’olive locale et lui assurer de nouvelles valeurs
ajoutées propres à améliorer sa compétitivité.
– Deuxièmement, il s’agit de porter un intérêt particulier à l’emballage.
D’où tout l’intérêt de création d’un fonds spécial pour promouvoir
l’exportation d’huile conditionnée. Est-il besoin de rappeler ici que seuls
1 à 3% de l’huile exportée est conditionné alors que le reste est vendu en
vrac.
– Troisièmement, un intérêt particulier doit être porté aux labels de
l’huile d’olive tunisienne. Depuis plus de cinq décennies, l’huile d’olive
est exportée, en dépit de ses qualités internationalement reconnues, d’une
façon anonyme, tout juste comme une huile pour le coupage. Sa valeur ajoutée
est exploitée par les conditionneurs italiens et espagnols. Une question
légitime s’impose dès lors : Quelle est la responsabilité des dirigeants et des techniciens affectés depuis 1956 à l’Office National de l’huile
(ONH) ?
Quant au prix, la seule solution de le maintenir abordable, et pour le
Tunisien et pour le client étranger consiste à accroître la production, et
partant, à étendre les superficies d’oliveraies. Dans cette perspective, il
suffit de visiter l’Espagne pour se rendre compte de la vocation oléicole de
ce pays. Même les montagnes y sont plantées d’oliviers.
Enfin, administration et professionnels ont tout intérêt à créer un
observatoire de l’huile d’olive pour suivre les tendances du marché. Là
aussi, il n’est pas inutile de rappeler que le marché mondial de l’huile
d’olive n’obéit pas à une équation simple d’offre et de demande, mais aussi
et surtout aux mécanismes de lobbysme et de dumping commercial et social. A
bon entendeur !