« La France a accueilli à Paris, du 13 au 15
septembre dernier, au Centre de Conférences internationales, la première
conférence de “l’Atelier culturel Europe-Méditerranée-Golfe”, dont Jaques
Chirac avait pris l’initiative à Barcelone, lors du sommet
euro-méditerranéen de novembre 2005.
M. Hassen Zargouni, Statisticien Economiste Expert en Médias et DG de Sigma
Conseil, a participé à l’Atelier “Images et Ecrits” visant la proposition de
projets audio-visuels valorisant la “destinée commune” des peuples de la
région et donnant des éléments pour y parvenir.
1.2 De la suffisance côté Nord…
Il est indéniable que les Occidentaux, pensaient que leur dispositif
médiatique appuyé par la puissance technologique et le taux particulièrement
élevé de moyens de réception des chaînes satellitaires chez les foyers
arabes (plus de 40% des foyers en sont équipés, plus de 68% en 2010), allait
envahir les écrans du Sud par une production audiovisuelle abondante et
attractive, et par de là permettre d’installer la culture, les valeurs et le
mode de pensée à l’occidental auprès des téléspectateurs du Sud. Le meilleur
exemple pour cela est le cas de la diffusion en terrestre hertzien de la
chaîne France 2 (jadis Antenne 2) en Tunisie avec la volonté affichée des
pouvoirs publics français de l’époque (notamment le chef de l’Etat F.
Mitterrand) « d’exporter » (l’expression est de lui) le modèle français
(occidental) à travers les images de France 2 reçu en 1989 sur tout le
territoire tunisien. Il aurait fallu la détermination d’un certain Fredéric
Mitterand, fan de la Tunisie pour s’intéresser à l’Autre, pour que France 2
n’ignore pas cette partie de son auditoire mais aussi présenter une certaine
vision du Sud à son auditoire primaire (la France) par la programmation
d’émission de variétés et des reportages centrés sur le Maghreb et
principalement la Tunisie. L’exemple de TV5 sur Télé Liban s’apparente aussi
à cette pratique, qui s’est soldé à chaque fois par un échec cuisant faute
de s’intéresser à l’Autre, à sa culture, à ses valeurs, à sa situation en
terme de maturité politique, …
Cette attitude empreinte pour le moins d’une forme d’arrogance et de
condescendance s’avère une erreur stratégique fatale. C’était, en effet,
sans compter avec la susceptibilité post coloniale particulièrement aiguisée
chez la population arabe (l’importance des mots et des symboles est grande)
et un environnement géostratégique des plus défavorables (conflits violents
au Proche et Moyen Orient). Mais aussi, on a longtemps sous estimé l’impact
des chaînes panarabes sur les publics arabes, d’abord MBC (saoudienne,
privée, généraliste), ensuite ANN (syrienne, privée, chaîne info) et enfin
la quatarienne Al Jazeera, véritable phénomène planétaire, en passant par Al
Arabia sa consoeur (saoudienne) en moins flamboyant. Ces chaînes sont d’une
excellente qualité d’exécution avec des lignes éditoriales clairement
définies adaptées à la segmentation de l’auditoire arabe en matière de
besoins en information télévisuelle. Al Horra l’américaine et bientôt la BBC
en arabe sont tout autant de réponses au succès constaté tardivement de ces
chaînes arabes totalement en diapason avec la rue arabe. Une chaîne comme Al
Jazeera tient son succès auprès de ceux qui s’intéressent à l’information
dans le monde arabe (minoritaires, tout de même, devant ceux qui cherchent
la fonction « loisir » dans la télé), dans sa façon de poser les problèmes
qui est particulièrement proche de la logique et l’état d’esprit dans lequel
sont inscrits ses auditeurs : elle a réussi à attirer les classes aisées,
instruites, pourtant attirés jadis par les médias occidentaux en langue
étrangère (anglaise au Machrek et française au Maghreb, principalement).
Vu du Sud, le traitement par l’information audiovisuelle occidentale de la
1ère guerre du Golf, de la 2ème guerre du Golf, des événements du 11
septembre, de la Guerre en Afghanistan, et plus récemment de la Guerre du
Liban, le tout sur fond d’Intifada palestinienne matée par la force du feu
et du sang volontairement humiliante, a révélé un antagonisme difficile à
combler aujourd’hui malgré les gestes qu’on constate ça et là de pays ou
médias considérés comme modérés (discours de De Villepin à l’ONU, certaines
émissions d’analyse qui sortent du lot), mais qui en fait partagent
l’essentiel de la logique occidentale et participent à un immense jeu de
rôle où chacun a sa place (les méchants, les gentils et les instruments qui
vont avec). L’auditoire arabe (y compris sa classe « éclairée ») est
désormais détourné des médias occidentaux, et à leur tête les médias
américains, jadis considérés comme étant exemplaires (Washington Post, …).
Un fait essentiel en matière de traitement de l’information que ce soit du
côté occidental ou oriental et qui a une importance capitale dans le langage
des médias pour les gens du Sud : c’est la question (ou « cause »)
palestinienne, clef de voûte de tout discours informationnelle, l’étalon
avec lequel les arabes, tous les arabes mesurent la « sincérité » ou «
l’objectivité » d’un média. Avec cet instrument de mesure, les Arabes ont
été très longtemps déçus par le vocabulaire occidental totalement inféodé à
la cause d’une présence Israélienne bafouant toutes les notions du droit
international, faute, il est vrai, de pouvoir, de proposer au Monde le
vocabulaire qu’ils pensent être plus justes.
En matière de communication institutionnelle et de crise, les Arabes
s’avèrent très en retard (une fois de plus ?) par rapport au standard
mondial. En l’absence de gestion intelligente de la prise de parole telles
que l’adaptation des portes paroles aux médias qui cherchent l’information,
ce que pratiquent parfaitement les professionnels israéliens (témoignage
d’une famille d’origine New-yorkaise quand il s’agit de s’adresser à des
médias américains, des israéliens d’origine française pour un public
français qui s’identifiera davantage …même Tsahal est très rôdée en matière
de communication grand public !). C’est le rapport du dominant au dominé (on
y revient), c’est le principe des deux poids et deux mesures pratiqués par
les médias occidentaux sans aucune paranoïa ou délire de persécution (dont
les Arabes font preuve de temps en temps). Cela ne rate quasiment jamais, à
part quelques éclaircies rendues possibles grâce à des reportages terrain du
genre pratiqué par l’agence Capa ou alors quelques émissions de talk show
sur ARTE (présence sur le plateau d’authentiques contradicteurs),…
La logique de la recherche effrénée de l’audience dans les médias
occidentaux (dominées par les fictions au style réaliste et les reality
show) pour des raisons commerciales évidentes, impose aux programmateurs des
chaînes TV généralistes des choix où la présence de l’offre venant du Sud,
déjà faible et mal « markétée », est complètement exclue. Cette même logique
ne laisse pas non plus la place à des expériences audiovisuelles où on se
donne le temps de connaître l’Autre, sans a priori.
Au niveau de la production médias consommée, nous voilà avec un monde arabe
où l’Occident est l’absent (informations) – présent (fictions cinéma) et un
monde occidental où l’Orient est l’absent (informations) – absent
(fictions), en somme un dialogue de sourds, un dialogue par médias
interposés.